Retraites 1890

      


DEUXIÈME INSTRUCTION (Mardi 19 août 1890)
Ayez bon courage

Saint François de Sales avait souvent à la bouche une parole analogue à celle-ci: “Ayez bon courage!” Cette parole doit avoir pour nous une grande importance, car dans la bouche de notre saint Fondateur elle signifiait quelque chose, elle signifiait beaucoup. Ayez bon courage! C'est qu'en effet le courage, le bon courage se soutient toujours, en toute circonstance, et c'est une grande preuve de force d'âme. Il faut une grande énergie pour maintenir toujours au même niveau sa résistance, son activité et son bon jugement. Cette parole de saint François de Sales, nous ferons bien de la méditer pendant la retraite; et de même qu'hier je vous disais qu'il fallait faire notre emploi passionnément bien, aujourd'hui je vous dirai: “Ayez bon courage dans toutes les circonstances de la vie”, et ce courage sera le témoignage que vous êtes un vrai Oblat de saint François de Sales. Il faut certes une grande force d'âme pour soutenir son courage au milieu des travaux qui font l'occupation habituelle de notre vie. Les mêmes choses reviennent souvent. C'est une lutte continuelle qu'il faut subir contre cette espèce d'oppression: revenir au même point souvent, constamment. Il faut un grand courage, et nous ne manquerons pas à en prendre les moyens que je vous dirai tout à l'heure.

Il faut un grand courage dans les occupations de tous les jours pour supporter l'épreuve soit qu'elle vienne des autres, soit qu'elle vienne de nous-mêmes. Il faut du courage pour endurer un caractère tout à fait opposé au nôtre. Si l'on ne se trouvait qu'une fois en face de semblable difficulté, ce ne serait pas très difficile. Mais lorsque ces renoncements se multiplient, lorsque cette contrainte se perpétue, il est certainement bien nécessaire d'avoir bon courage pour maintenir son âme dans la paix, dans la quiétude, dans la bonne volonté vis-à-vis du prochain et de l'obéissance. Que d'injustices! je ne dis pas parmi nous, mais dans le monde. On juge mal de vous, on interprète mal vos actes. Cela vient du dehors, mais cela entre au‑dedans souvent. Tel jugement qui a été formulé au loin, revient un beau jour, et cela fait autour de nous une espèce d'atmosphère où il est difficile de respirer et de vivre. Cette difficulté ne fait que grandir en suite des mauvaises dispositions qui résultent de l'impiété universelle, de l'action diabolique qui s'exerce sur les gouvernements eux‑mêmes. Il faut une grande énergie pour ne se point décourager. Ayez donc bon courage.

Ayez bon courage dans l'obéissance. L'obéissance est dure. Elle est tellement dure que le monde qui ne pouvait être racheté que par un sacrifice immense a été racheté par la seule obéissance. Il faut avoir bon courage pour soumettre constamment sa volonté et son jugement, pour dire toujours oui, sans si, sans mais, comme le dit notre saint Fondateur. Ayez bon courage dans la tentation. La tentation vient soit du démon, soit de nous‑mêmes. Notre vie n'est pas établie sur le roc, pas même sur la terre ferme. Nous sommes voyageurs: notre vie, la sainte Ecriture le dit, est portée comme sur les flots. Il y a le long de la route toutes les épreuves, tous les dangers possibles. Ces dangers et ces épreuves sont les tentations qui assaillent chacun de nous. Qui n'est pas tenté d'orgueil, le sera de sensualité. Qui n'est pas tenté de sensualité, le sera contre la charité. La tentation, elle est, dit le saint homme Job, le pain quotidien de l'homme qui marche sur la terre. Elle est pour ainsi dire les éléments de notre vie: “La vie de l’homme est un épreuve sans fin” - “Vita hominis tentatio sempiterna”  Or, la tentation, comment la surmontera‑t‑on? Les théologiens, les Pères de la vie spirituelle ont donné des indications moyennant lesquelles on peut surmonter les tentations. Elles sont nombreuses. Je ne vois pas que saint François de Sales en indique beaucoup. Mais il est un moyen sur lequel il revient constamment: Ayez bon courage! Ne vous laissez pas abattre dans la lutte; multipliez les retours vers Dieu dans la tentation. Et même si la chute a suivi la tentation, ayez courage, surtout alors, de regarder Dieu avec confiance, avec amour.

Beaucoup s'imaginent que la tentation est un obstacle au bien, que c'est surtout un obstacle à la vocation religieuse. Voilà deux profondes erreurs. Le bien n'existera dans les âmes qu'en mesure de la tentation. Dans mon long ministère, je déclare que je n'ai trouvé de la sainteté que dans la tentation, et là seulement. Voilà cet homme du monde qui est chrétien; croyez‑ vous qu'il n'ait à subir que les tentations du dehors, qu'il n'a pas des tentations dix fois plus fortes au-dedans de lui-même? C'est élémentaire. Qu'est‑ce que dit saint Paul? “La puissance se déploie dans la faiblesse” (2 Co 12:9). Vous avez des tentations. En conclurez-vous que vous ne pouvez rien faire de bien? Sans tentation au contraire, il est impossible de faire aucun bien. Pouvez‑vous être religieux avec des tentations? Je dis que, sans tentation, il vous est impossible d'être religieux, entendez bien, vraiment religieux, religieux fortement constitué. Que dit encore saint Paul? A quoi compare‑t‑il la vie chrétienne et à plus forte raison la vie religieuse? A un combat, à une lutte dans le stade, dans l'arène. Lui-même qui avait été élevé au troisième ciel deux fois dans sa vie en quelques instants, qui avait été tant favorisé de Dieu, voyez ce qu'il dit dans son épître. Or tout cela finit par la tentation la plus difficile à supporter. Il prie Dieu de l'en délivrer: “Ma grâce te suffit”, lui est‑il répondu, “car la puissance se déploie dans la faiblesse” (2 Co 12:9).

C'est ce que saint François de Sales dit quelque part: Ceux qui ne sont pas tentés, que savent‑ils? Les plus grands théologiens, saint Liguori dont la doctrine est si douce, saint Liguori qui a propagé cette admirable doctrine du probabilisme, qui aide tant dans l'exercice du saint ministère, qui donne une règle si complète, si satisfaisante dans les cas difficiles, saint Liguori a eu de grandes tentations. Voyez sa vie. Qu'est‑ce qui fait que saint  Liguori a si bien enseigné ce qu'il y a à faire pour lutter, a donné des moyens si certains pour arriver à vaincre? Il avait étudié cela en lui‑même, il s'en était rendu compte, il savait ce qu’il fallait faire.

Donc dans la tentation et dans la tentation surtout, ayez bon courage. Ayez bon courage au premier combat, au second, au centième, au millième et toujours. Faites à Dieu la demande que lui faisait saint Paul, si vous voulez. Si Dieu ne vous juge pas capable de surmonter la tentation, il l'écartera. S'il vous en juge capable, il vous répondra comme il répondit à saint Paul. Ayez bon courage même après la chute. Cela ne veut pas dire que la chute soit une bonne chose et qu'il ne faille pas la regretter. La chute est un mal, c'est un malheur, mais cela peut se réparer. On ne peut pas la réparer avant, on le peut après. On jette un regard de contrition et de confiance et d'amour vers Dieu, et ce regard lui est tellement agréable que certains saints ont dit que ce regard‑là rendait à l'âme non seulement sa première innocence, mais une augmentation de force. Est‑ce que Pierre, après son reniement, a été moins cher au cœur de Notre-Seigneur? Et des deux sœurs qui habitaient la maison de Lazare, quelle était celle que le Sauveur aimait le mieux? N'était‑ce pas celle à laquelle il avait le plus pardonné? Courage donc même après la chute, courage pour rapporter à Dieu un cœur repentant et tout renouvelé dans ses premières bonnes dispositions.

Mais quel est le moyen d'avoir ce bon courage si nécessaire? Notre saint Fondateur dans le Directoire nous donne un excellent moyen, c'est de regarder Notre-Seigneur dans l'épreuve que nous subissons. Si nous avons à lutter par rapport à la charité, si nous trouvons de l'ingratitude, de la malveillance, des calomnies, des injustices, prenons la croix de Notre-Seigneur, regardons ce qu'il a souffert pendant sa passion. Arrêtons notre regard sur lui; et le regard qu'il laissera tomber sur nous, comme dit notre saint Fondateur, nous aidera, nous consolera. Voilà le moyen que donne le Directoire.

Un moyen bien sûr aussi, bien appuyé et certain, c'est le moyen de l'obéissance. Le religieux a de ce côté un immense privilège: il n'a pas la responsabilité de ses actes. Toutes les fois qu'un religieux fait quelque chose en suite de l'obéissance, il fait bien, et très bien. Quel est l'homme du monde, le prêtre séculier qui peut dire: “Tout ce que je fais est bien”? Un seul homme l'a pu, Notre-Seigneur: “Qui d’entre vous me convaincra de péché?” (Jn 8:46). Le religieux peut répondre comme Notre-Seigneur quand il fait l'obéissance: “Ce que je fais est bien, est très bien, est excellent. Toute ma vie n'est qu'une suite d'actes très bons. Comment n'aurais‑je pas le courage, puisque je ne fais que des actes parfaits?” Et c'est là que conduit l'obéissance fidèle.

Voilà un religieux qui a des scrupules, des inquiétudes. Il vient à son Supérieur, à son Maître des novices. Il leur expose son embarras. Son Supérieur lui dit: “Allez à la sainte Table; montez au saint autel”. Quelle assurance, quelle stabilité c'est pour le religieux qui peut aller désormais sans trouble de conscience! On peut bien avoir bon courage, quand on est ainsi appuyé et soutenu, quand on n'est pas responsable de son acte. Mettons donc, comme on disait au temps de saint Paul, dans nos proverbes, ces deux paroles: Ayons bon courage, et, faisons passionnément bien tout ce que nous faisons. Le bon courage établit en nous la paix, la sérénité; il nous donne une grande force. Le chrétien, le prêtre même bien souvent, chancelle dans ses bonnes résolutions. Ses convictions sont parfois semblables à un monceau de sable qui s'aplatit, qui prend toutes les formes qu'on lui donne. Le Religieux est quelque chose de sûr, de solide qui résiste à tout, qui se maintient contre tout effort. Efforçons d'être ainsi, et Dieu nous fera la grâce d'être vraiment ses serviteurs, et les serviteurs de l'époque à laquelle nous vivons.

Voyez, mes chers amis, comme l'apostolat devient difficile. Qu'est‑ce qu'il produit? J'entends la parole, le ministère de la prédication. Exemple: Avant‑hier dimanche, à Saint‑Parres, il y avait deux personnes à la messe: une femme et un petit garçon. Il n'est pas mal de supposer que la femme était la servante du curé, et le petit garçon l'enfant de chœur. Voilà des faits. Et cela doit probablement se passer en d'autres endroits encore du diocèse. Que fera alors la parole? À qui s'adressera‑t‑elle? Se servira‑t‑on de la presse? Il n'y a pas beaucoup de lecteurs qui lisent les bons journaux ou les bons livres. Et pourtant ce sont des âmes que Dieu veut sauver. Il faut trouver les moyens de les sauver. On dit le zèle des âmes. C'est très beau, mais où sont-elles, les âmes? Où irez‑vous les chercher? Voilà, mes chers amis, l'époque où nous sommes venus, voilà le moment où Dieu nous a envoyés sur la terre. C'est celui de l'abstention de tout culte, de tout office religieux. Quel sera le moyen de parvenir à ces âmes?

Le moyen est donné par saint François de Sales. Il consiste à nous sanctifier personnellement. C'est par le bon exemple, c'est par la bonne odeur de Jésus-Christ, que nous avons quelque chance de réussir auprès de gens qui n'ont plus ni dogme ni morale, bien peu du moins, à supposer qu'il en reste encore. C'est cette bonne odeur de Jésus-Christ qui seule peut opérer. L'odeur s'impose, elle impressionne l'odorat, elle prend au nez, on la subit.

Vous avez vu ce qui se passait chez les Romains, quand le combat devenait périlleux. Les Romains avaient un moyen infaillible de vaincre l'ennemi: ils faisaient la tortue, testudo. Tous les soldats mettaient par-dessus leur tête leur bouclier de manière à former un toit impénétrable aux javelots, aux flèches et aux pierres. Quand un corps d'armée faisait la tortue, il passait impénétrable et sortait sain et sauf. Unissons nos efforts, nos volontés. Une communauté bien compacte, bien unie par la charité est impénétrable. Il en est ainsi de nous. Notre communauté est unie, j'en bénis Dieu chaque jour. Continuons et accentuons cette union toujours de plus en plus, et nous serons invulnérables.

Le mot de notre saint Fondateur était bien aussi celui de la bonne Mère. Elle disait souvent: Il faut avoir bon courage! Et sa prière accompagnait ordinairement ce mot: on s'en allait consolé, fortifié, encouragé. Demandez bien cela pendant la retraite. Que Notre-Seigneur nous traite vraiment en ami, qu'il nous donne ce que nous venons chercher auprès de lui dans cette retraite, la force, le courage, l'union des volontés. Les moyens sont à lui, ils lui appartiennent; recevez ce qu'il vous donnera. “Mais je n'ai rien”. Restez dans ce rien, adorez ce rien. Le rien opère de bien grandes choses. La retraite agit par elle‑même, ne l'oublions pas. Lorsque les Israélites eurent passé par le désert, ils arrivèrent dans la terre promise. Demandez donc à la bonne Mère d'être vraiment ses fils, d'être vraiment fondés dans son esprit, dans sa manière d'être. De la sorte nous la retrouverons au ciel, où nous serons récompensés suivant l'étendue de notre cœur, de notre courage, de l'amour et de la place que nous aurons faite à Notre-Seigneur dans notre cœur.