Retraites 1883

      


HUITIÈME INSTRUCTION
La mission des Oblats

Notre-Seigneur, pour répondre aux besoins de l’Eglise naissante, a répandu sur elle l’esprit d’intelligence. Saint Denys l’Aréopagite atteste que le courant de son époque fut la science. Témoins aussi la doctrine et les écrits des premiers Pères. Chaque époque a ses besoins particuliers. Plus tard il vint un temps où l’amour semblait vouloir disparaître de la terre pour faire place à la crainte. Les âmes étaient atrophiées par le Jansénisme. La dévotion au Sacré- Coeur fut donnée pour ranimer ce souffle de confiance et d’amour. Elle releva les âmes, elle les garda au milieu de l’ouragan de 1793; et il est à remarquer que les sociétés qui s’établirent sous le vocable du Sacré-Coeur datent en partie de cette époque. La société des Sacrés-Coeurs fondée par un saint prêtre qui a vécu quelque temps à Troyes, M. Coudrin, et une dame, prit naissance sous les verrous de la Convention.

C’est une belle et sainte chose que la dévotion au Sacré-Coeur: il faut que nous l’ayons bien vive au coeur, mais suffit-elle à notre époque? Non. Il faut la compléter. Elle suffisait au siècle dernier, quand il y avait encore de la vie, de la foi, mais aujourd’hui, où est la vie vraiment chrétienne, où sont les familles qui élèvent chrétiennement les enfants? Sur cent, il n’y en a pas deux. Où sont les familles où l’on apprend le renoncement, où on apprend aux enfants à laisser ce qui flatte leurs sens, ce qui est bon à manger, ce qui est beau à voir? C’est de l’éducation païenne. Je n’exagère pas: il n’y a plus rien. On se croit chrétien parce qu’on prie Dieu matin et soir et qu’on a conservé quelques pratiques chrétiennes; mais ce n’est pas la vraie vie chrétienne. Dans un pareil état de choses, la dévotion au Sacré-Coeur suffit-elle? Comment aimer quand il n’y a plus rien pour aimer. Ah! avant de monter au Coeur il faut faire comme Madeleine, nous jeter aux pieds du Sauveur. C’est le disciple bien-aimé, c’est Jean qui s’appuie sur le Coeur. Il faut nous attacher aux pieds du Sauveur et le suivre pas à pas, le reproduire.

Et voilà la portée de la révélation de la Mère Marie de Sales; c’est un moyen nouveau d’aller au Sauveur, nouveau non en soi, non dans la doctrine, mais dans la pratique. Il faut nous attacher à reproduire le Sauveur, à nous unir à notre chef comme les pieds, les mains, les yeux sont unis au chef, à la tête, comme les branches, les feuilles, les fruits sont unis au cep. Il faut marcher avec les pieds du Sauveur, toucher avec ses mains, voir avec ses yeux, entendre avec ses oreilles, parler avec sa bouche et son coeur. Cette doctrine est-elle nouvelle? Non, c’est celle des premiers Pères, c’est celle du premier des Pères, de saint Paul. Lisez saint Paul, prenez le texte dans son sens littéral, c’est la doctrine que vous trouvez partout: “Jusqu’à ce que le Christ soit formé en vous” (Ga 4:19). C’est la doctrine de l’Épître aux Hébreux, dans laquelle néanmoins il a pris toute espèce de ménagements pour ne pas rebuter les Juifs. Ce que je vous dis là, et l’autorité que je donne à la révélation de la Mère Marie de Sales, est-ce mon opinion personnelle? Oh non! Je voudrais vous citer tous les évêques qui ont confiance en cette mission. L’un d’eux me disait encore dernièrement: “Vous avez, vous Oblats, une grande mission à remplir; vous êtes les hommes de ce temps.” J’ai résisté longtemps à ce que me disait la Mère Marie de Sales. Puis enfin est venu un ordre divin.

Chaque jour ma foi en ces choses grandit. Quand j’étais l’année dernière aux pieds de Léon XIII, je le trouvais croyant plus que moi à ces doctrines de la Mère Marie de Sales. Et quand je lui exposais tout cela, et lui racontais les miracles que Dieu opérait, le P. Deshairs est là pour le dire, le Pape croisa ses mains sur sa poitrine, il se recueillit en lui-même dans une prière profonde —  il semblait disparaître. Puis, se levant, d’une voix forte il nous dit: “Tout ce que vous avez fait, c’est la volonté de Dieu; et tous ceux qui travaillent avec vous font personnellement la volonté de Dieu. Que vous manque-t-il maintenant? L’autorisation de la Sainte Eglise? Moi, le Souverain Pontife, je vous la donne, et qui plus est, je vous envoie. Allez à la France. Ceux qui travaillent avec vous, il leur faudra vivre de sacrifices, “jusqu’à l’effusion du sang”. L’approbation du Souverain Pontife, cette mission qu’il nous a donnée, sur quoi porte-t-elle? Sur les doctrines de la Mère Marie de Sales, sur cette vie d’union que nous devons avoir au Sauveur; et nous devons travailler à cette union de notre volonté à la sienne, jusqu’à l’effusion du sang.