SIXIÈME
INSTRUCTION
La
prédication
“C’est l’esprit qui
vivifie” (Jn 6:64). C'est l'esprit qui donne la vie; continuons
l'instruction de ce matin, et voyons quel doit être notre esprit dans la prédication.
Nous devons prêcher comme Jésus prêchait. On ne sait plus prêcher
aujourd'hui. Le dernier Concile, je le tiens de bonne source, voulait
s'occuper de cette matière si importante de la prédication, et donner des règles,
et tracer une route autre que celle que l'on suit. On n'enseigne plus la
parole de Dieu d'une manière proportionnée aux besoins des âmes. On prêche
comme on prêchait au XVIIe et au XVIIIe siècles, et l'instruction et la manière
de vivre ne sont plus les mêmes. Saint Chrysostome dit dans son Traité du
sacerdoce : “J'ai vu le prêtre étendre la main et laisser tomber à
terre le corps du Sauveur; j'ai vu un prêtre en chaire ouvrir la bouche et
laisser tomber à terre le Verbe divin qui ne pouvait arriver jusqu'aux âmes”.
La parole des prédicateurs ne va pas jusqu'aux âmes. Ce sont de savantes
dissertations, des thèses, de beaux développements; mais qui les comprend,
qui les écoute?
Si vous prêchiez devant Léon
XIII et sa cour, je le comprendrais. Le Pape a conservé le vieil usage
d'aller tous les mercredis au sermon. Si vous prêchiez devant un auditoire de
théologiens, rien de mieux. Mais où sont les théologiens dans votre
auditoire? L'Oblat de saint François de Sales doit prêcher comme
Notre-Seigneur Jésus-Christ. Que l'exposition doctrinale, que les
raisonnements soient courts et clairs. Adressez-vous à vos auditeurs,
mettez-vous à leur portée, soyez pratique dans ce que vous leur direz. Voyez
le Sauveur. L'exposition doctrinale (à part le sermon après la Cène fait
aux seuls Apôtres, les disciples n'y étaient pas ) est courte. Et le Sauveur
l’explique, la met, par des comparaisons, des paraboles, à la portée de
ses auditeurs. Voyez le sermon sur la montagne (Mt 5). Il s'adresse à chacun
de ses auditeurs, il se met à la portée de chaque esprit. Parle-t-il à des
pêcheurs? “Le royaume des cieux est semblable à un filet jeté dans la mer”.
(Mt 13:47) Se trouve-t-il à Capharnaüm, station douanière et ville de
commerce? “Le royaume des cieux est semblable à un négociant”. Il parle
de banque (Mt 13:45). S'adresse-t-il aux laboureurs de Galilée? “Le royaume
des cieux est semblable à un champ”. C'est le semeur (Mc 4:3-20), c’est
l'ivraie (Mt 13:24-30). Quand il parle à des jeunes gens:
“Un père avait deux fils; le plus jeune vint lui demander sa part
d'héritage”. (Lc 15:11-32). Quand il se trouve devant des jeunes filles, il
leur parle d'une noce; il leur dit: “Le royaume des cieux sera semblable à
dix vierges” (Mt 25: 1-13).
Voilà comment il faut prêcher.
Etudier son auditoire, s'adresser à lui simplement, ne pas se servir de
phrases amphigouriques, bien tournées, bien étudiées. Ce serait profaner le
Verbe de Dieu. Gardez à la parole de la vérité sa robe virginale. Vous
connaissez la parabole de cette Académie de l’Inde où les savants lisaient
et commentaient les livres remarquables. Un jour l’Evangile leur tomba entre
les mains. Le président prit le livre et lut et, la lecture finie, au lieu de
la commenter, il se tut. “Mais vous ne dites rien? et le commentaire?” Le
savant prit un vase et l'emplit d'eau de façon à ce qu’on n'y pût mettre
une goutte de plus, une feuille même sans le faire déborder et il dit:
“Voilà le livre que nous avons lu, on n’y peut rien ajouter tant il est
complet, tant il est plein”.
Prêchez donc l'Evangile. Et prêchez-le
comme l'a prêché le Sauveur, en le pratiquant d'abord, en pratiquant les
vertus que vous voulez enseigner: “Jésus a fait et enseigné” (Ac 1:1).
Vous prêchez la pénitence, faites pénitence. Pendant trente ans,
Notre-Seigneur a pratiqué toutes les vertus avant de les enseigner aux autres.
Un jour de la Présentation de la Sainte Vierge, je sortais de la Visitation
et j'entrais dans la chapelle des Sœurs de la Providence. On allait faire la
rénovation des voeux, et leur fondateur, le Père Boigegrain, faisait
l'instruction. Il était bien vieux, il leur parlait tout simplement et familièrement.
Il leur disait. “Avec qui allez-vous renouveler vos voeux? Avec Marie, avec
Jésus. Il faut faire comme faisait Marie au jour de la Présentation, et
comme faisait Jésus au jour de la Purification, et les sentiments de Marie étaient
les mêmes que ceux de Jésus, parce que Jésus les lui avait appris par
avance”. Et il se mit à développer les sentiments qu'éprouvaient Jésus
et Marie à pareil jour en termes si simples mais si profondément touchants
que j’en pleurais. Sur la fin de l'instruction, il s'aperçut qu’il y
avait un étranger, et apprenant que c'était moi, il me fit venir: “Je vais
vous demander quelque chose, monsieur l'abbé, promettez-moi de me dire la vérité.
Vous voyez que je suis bien vieux. Autrefois j'écrivais mes sermons, mais je
ne peux plus écrire ni lire, croyez-vous qu'en conscience je sois encore
capable de prêcher à nos Sœurs?” Je lui répondis qu'il en était encore
si capable, qu'il m’avait fait pleurer. Voyez l'humilité et la simplicité
de ce bon vieillard qui était si éloquent en faisant parler Jésus et Marie!
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