CINQUIÈME
INSTRUCTION
L’esprit
des Oblats
“C’est l’esprit qui
vivifie” (Jn 6:6). C'est l'esprit d'une société qui est sa vie et son œuvre.
Il faut que nous vivions de notre vie propre. Les fleurs, les fruits sont bons
et beaux s'ils restent attachés à l'arbre. Quand ils s'en séparent tant
soit peu, ils meurent et deviennent inutiles. Quel est donc notre esprit? Dieu
a pourvu par les ordres religieux aux besoins du monde. Aux premiers siècles,
l'ennemi, c'étaient le paganisme et cette secte des gnostiques qui suintait
le sensualisme. Dieu n'envoya pas comme il le fit plus tard, de véritables
corps d'armée pour les combattre. Il n'en était pas besoin, car ces édifices
décrépits tombaient d'eux-mêmes. Les moines mortifiés, les religieux aux
austérités effrayantes furent la protestation vivante de Dieu contre ce
sensualisme: saint Siméon Stylite, les premiers Pères des déserts, les
moines de Scété, de la Thébaïde, de la Haute-Egypte. Puis le monde devint
chrétien. Aujourd'hui, disait saint Augustin, il n'en est plus qui blasphèment
Jésus par leur bouche, mais combien le blasphèment par leurs œuvres! Ce
monde chrétien un jour se réveilla arien, hérétique. Alors les religieux
se groupèrent, s’organisèrent pour la lutte; tel un saint Pacôme, et plus
tard un saint Basile et enfin un saint Benoît. Puis, au XIIe siècle,
viennent les Manichéens. Dieu suscite deux grands ordres religieux: saint
Dominique, la science, et saint François, la pauvreté. Et le Pape voit que
ce sont ces deux hommes qui soutiendront les deux piliers principaux de la
Basilique de Latran; et il leur accorde ce qu'ils lui demandent. Plus tard,
alors que l’Eglise règne et commande, et qu'on pouvait vraiment chanter:
“Christus regnat, Christus imperat”, Luther vient la découronner, les
princes se font chefs d'églises. On détruit, on brûle, on pille. Certain
prince d'Allemagne, dont la famille règne encore, orna ses vêtements et ceux
de sa troupe des galons d'or et d'argent enlevés aux vêtements sacerdotaux.
On appelle cela encore maintenant des brandebourgs. Contre ces voleurs et ces
révoltés il fallait une armée. Saint Ignace se lève, il était soldat, il
fait de sa Compagnie une troupe de soldats qui marche en avant en poussant son
cri de guerre: “Ad majorem Dei gloriam”. C’était bien, c'était le
moment et l'heure du combat. Mais aujourd'hui faut-il lutter? Contre qui? Nous
sommes revenus au temps de l'Evangile. Il n'est plus de ruines à relever, de
murs à défendre. Le souffle de la Révolution a tout balayé. Il faut
construire. Il faut que le Sauveur lui-même vienne faire son oeuvre. Voilà
ce que nous dit la Mère Marie de Sales. L'esprit de l'Oblat, c'est de ne
faire qu'un avec Jésus-Christ; c’est de réimprimer l'Evangile dans les âmes.
L’enfant. Il faut prendre le
petit enfant, le séparer du monde, le mettre en face du Sauveur, lui
apprendre à l'aimer, à l’imiter. Jésus à Nazareth doit vivre dans
l'enfant. La famille. La famille de Nazareth doit être le modèle. La plupart
d'entre vous peut-être ont vu cette petite maison qui est maintenant à
Lorette; c'est là qu’il faut aller et conduire la famille. Oh! ne dénaturez
pas ma pensée! Ne brusquez rien, insinuez cela dans les cœurs sans en parler.
Agissez sur le chef de famille, sur la mère de famille pour que, peu à peu,
sans rien forcer, avec prudence, en tenant compte en une certaine mesure des
exigences de la position, on en revienne à cette vie modeste dans les vêtements,
frugale dans la nourriture, à cette vie laborieuse et sainte de Nazareth.
Sans doute, il ne faut pas vivre en sauvage et prêcher la sauvagerie, mais il
ne faut pas non plus faire trop de cas du monde. Le monde est l’ennemi du
Sauveur.
La politique.
Que Jésus soit en cela notre modèle. Que la politique des chrétiens
soit celle que me disait un jour le nonce, actuellement Cardinal Czacki:
“Mettre Dieu à sa place !” A ce propos de politique, je recommande à vos
prières Mgr le duc de Bordeaux, ou plutôt le comte de Chambord, qui est au
plus mal. Il meurt de la mort des saints, et c’est une grande grâce que
Dieu lui fait. Il avait trop de vertus, et Dieu l’aimait trop pour le faire
régner sur un peuple de voleurs. Et puis il est bien difficile, sur le trône,
d’aller droit son chemin sans dévier. ”Je me confie en la miséricorde de
Dieu,” dit-il lui-même. Priez beaucoup pour lui.
Les journaux. Qu'un curé dans
sa paroisse, qu’un vicaire lise le journal, cela est bien; il est bon
qu’il soit au courant de ce qui se passe. A mon dernier voyage en Belgique,
il y a deux ans, j'étais dans une petite paroisse près de Liège. Le bon curé,
qui était un saint, me disait: “Voyez comme Dieu est bon. Je suis paralysé,
on me porte à l’église, et quand je suis sur les marches de l'autel j’ai
encore assez de force pour dire la messe, puis on me rapporte. J'ai un bon
vicaire et je passe ma journée à prier Dieu. Et puis, ajouta-t-il en
souriant, je lis bien un peu ma petite gazette". Voyez quelle délicatesse
et quelle petite place seulement il laissait à sa petite gazette. Mais un
religieux, qu'a-t-il à faire de politique et de journal? N'en lisons aucun.
Nous avons notre Directoire et notre Règle: voilà notre politique et notre
journal. Laissons les morts ensevelir leurs morts.
La
bonne Mère Marie de Sales — j’en
parle souvent, j'ai vécu quarante ans avec elle —
souvent je lui disais: “ Tout ce que vous me dites m'ennuie et
me fait perdre mon temps et m’empêche de travailler. Il faut qu'un prêtre
soit dans les livres, et moi je n'ouvre plus de livres!” — “Ah!, me répondait-elle,
un jour viendra où vous trouverez tout dans le livre”. J'ai vu depuis que
tout était dans le livre! Nous
avons entre les mains une perle, un diamant. Si l'on veut agir sur le diamant,
y mêler quelque chose, le décomposer, qu'en fait-on? Du charbon, une poussière
noire et inutile. Ne mêlons rien à Jésus.
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