Chapitres pour les Oblats 1873-1899

      

Nul n’est plus libre que celui qui obéit à Dieu seul

Chapitre du 12 avril 1899

Il faut que tous, mes amis, vous soyez bien sérieux. Vous n'êtes pas des séminaristes, ni des collégiens. La vie religieuse exerce  son empire surtout sur les jeunes gens. Saint Louis de Gonzague, saint Stanislas Kostka étaient d'admirables religieux, et Dieu n'a pas attendu l'âge mûr pour leur donner la couronne. On peut donc atteindre la perfection religieuse dès sa jeunesse. Il le faut même, car alors la volonté est plus souple, les idées sont moins arrêtées, l'égoïsme est moins enraciné. Sanctifiez‑vous dès maintenant. Vous le verrez et constaterez plus tard, ce qui vous restera, c'est précisément ce que vous aurez acquis à l'heure qu'il est. Voilà la pensée, la conviction qui rendra votre vie intérieure. Le reste pourra la soutenir, la confirmer, mais le fonds, c'est aujourd'hui que vous le disposez. Voilà une chose d'expérience. Si maintenant vous vous appliquez bien sérieusement à l'étude, par exemple, toute votre vie s'en ressentira. Mettez‑vous bien dans l'esprit qu'en ce moment même vous préparez votre avenir éternel, et celui de beaucoup d'âmes, et que si vous manquez à votre tâche, bien des hommes sans doute seront privés du salut.

Cette pensée doit‑elle vous rendre la vie triste et insupportables? Non. Ceux qui suivent bien leur règle y trouvent toujours la paix et le bonheur. Abandonnez généreusement votre cœur au service de Dieu et du prochain, et plus tard vous le retrouverez agrandi, plus fort pour le bien. Dilapider les années de sa jeunesse, c'est un malheur immense. Un jour vous le reconnaîtrez. Loin de renoncer ainsi à votre liberté, vous en jouirez davantage, car nul n'est plus libre que celui qui obéit à Dieu et à Dieu seul, et qui est en union constante avec la volonté divine. Dans la prière, dans le travail ainsi compris, vous trouverez un soutien dans vos ennuis, au milieu des difficultés que vous causent votre caractère et celui des autres, les frottements de la vie commune. Du reste n'aurions-nous aucune raison d'endurer la souffrance, que nous devrions nous estimer bien honorés de goûter au calice que Notre-Seigneur a but tout entier! L'épreuve, quelle qu'elle soit, résolument acceptée, établit en nous un fonds solide. Il n'y a pas à envisager autrement la vie religieuse. On n'y vient pas pour gagner son morceau de pain, mais pour assurer, par la vie crucifiée, le salut de son âme.

Mes amis, nous autres Oblats, nous avons une mission à remplir. Je vous ai raconté bien des fois notre entrevue avec le Pape, ses approbations, l'ordre qu'il nous donna d'aller auprès de tous les évêques de France demander aide et protection. Or nous avons été précédés dans cette visite par M. Chaumont, prêtre saint et zélé, qui a établi une grande œuvre dont les membres s'appellent les Fils et les Filles de saint François de Sales. Un grand nombre de curés, de grands vicaires, de dames du monde, de demoiselles en font partie. Ils étudient saint François de Sales, le vénèrent, se mettent à sa suite, se recommandent de lui et de son patronage et de sa doctrine. Eh bien! maintenant qu'ils ont en quelque façon vulgarisé saint François de Sales, nous, que venons‑nous faire?

Cette congrégation nouvelle est bonne. J'ai connu et j'estime beaucoup M. Chaumont. Mais je dois dire qu'il me semble qu'il a adopté non pas tant l'esprit de saint François de Sales que celui de saint Ignace. Je ne l'en blâme pas. Son idée était bonne, puisqu'elle a réussi. Nous, nous avons établi aussi une Association pour les personnes du monde, qui porte le nom donné par le Cardinal Richard lui‑même, d'Association de saint François de Sales. Comprenons bien la portée de ce mot. Quand des marchands sont associés, ils ont les mêmes intérêts, les mêmes affaires, une caisse commune. Ainsi, nous, nous n'avons avec saint François de Sales qu'une même pensée, une même vie, une même manière d'agir. Nous l'imitons dans le plus intime de sa conduite.

Le fils n'a pas toujours le même métier que son père. Les Fils de saint François de Sales, ses Filles, font profession de mener la vie spirituelle en suivant le saint docteur comme tout autre peut le suivre. Nous et les Associés, nous pratiquons son Directoire, nous partageons ses travaux, ses procédés, cette voie de Notre-Seigneur dans laquelle marche la Visitation, voie si douce en apparence et si puissante en réalité.

M. Chaumont a des principes qui quelquefois, me semble‑t‑il, s'écartent volontiers des principes de saint François de Sales. Ainsi à une de ses premières réunions à Paris, à laquelle j'assistais, une domestique de la duchesse de R.*** se leva de sa place, sur l'ordre de M. Chaumont, et vint appliquer à sa maîtresse une bonne paire de soufflets. C'est original, si vous voulez, mais certes ce n'est pas salésien du tout! Mais souvent il suffit qu'une chose soit bizarre pour que tout le monde l'adopte.

Autre exemple. On m'a remis une petite feuille telle qu'on les emploie pour l'admission des Filles de saint François de Sales. On y demande l'âge, la santé, la fortune, les relations, l'influence, l'héritage de la jeune fille. Ce n'est pas dans nos habitudes. À ceux qui nous demanderont pourquoi cette nouvelle Association de saint François de Sales, quand il en existe déjà une autre florissante, vous pourrez répondre que saint François d'Assise voit bien 7 ou 8 familles religieuses se placer sous son vocables: Capucins, Observantins, Cordeliers, Réformés, etc. et que saint François de Sales peut bien avoir, lui aussi, plusieurs héritiers, ses Fils et Filles, les Pères de Don Bosco, les Missionnaires d'Annecy, nous enfin.

Chacun sans doute se croit, au fond, le meilleur. Quant à nous, nous ne devons avoir d'autre prétention que d'hériter de la doctrine que le saint évêque a léguée avec le Directoire à la Visitation, doctrine dont la bonne Mère Marie de Sales a été l'apôtre infatigable, doctrine assez tranchée pour que certaines personnes mal inspirées l'aient taxée de singularité et d'innovation. À ce reproche, nous n'avons qu'à opposer l'approbation de la sainte Eglise, les encouragements du Cardinal Vicaire au P. Rollin, ceux de Monseigneur le secrétaire de la Propagande, les résultats déjà obtenus, la vérification des promesses de la bonne Mère qui, toutes, se réalisent de point en point, de telle sorte que j'ai dû moi‑même finir par y croire, à toutes, enfin les témoignages réitérés de ceux qui nous connaissent.

[Notre Père lit une lettre sur l'entrevue du P. Lebeau avec la Comtesse Golukowska.]

Que M. Chaumont suive la méthode des Exercices de saint Ignace, c'est bien. Cependant, je me défie un peu de ces exercices très violents. On sort de ces grandes retraites muni de résolutions formidables, mais, pour un démon qu'on a chassé, on en trouvera sept plus dangereux. De là des chutes désastreuses parfois. J'en parle par expérience. Nous, nous nous contentons de suivre le Sauveur. Avec lui nous travaillons, nous souffrons. Quand nous nous sentons faibles, avec confiance nous lui tendons les bras et nous marchons les pieds dans la trace de ses pas. C'est plus fécond et plus sûr. Est‑ce plus facile? Non. Cela demande plus de courage, de volonté, et surtout de jugement. Voilà notre lot: faisons-le fructifier.