Chapitres pour les Oblats 1873-1899

      

Unissons-nous aux souffrances du Seigneur

Chapitre du 22 mars 1899

Nous sommes dans le temps de la Passion. Cette semaine nous célébrons les souffrances de Notre-Seigneur, la compassion de la sainte Vierge. Or il est une chose qu'il faut que l'Oblat comprenne mieux que tout le monde: la nécessité de nous unir étroitement à la pensée de l'Eglise aux différentes époques liturgiques, au moment des fêtes. Autrefois dans les familles chrétiennes on avait l'habitude de certaines pratiques religieuses spéciales pour sanctifier chaque temps de l'année. Et c'est bien juste. L'Eglise est la continuation de Jésus-Christ et du mystère de l'Incarnation, dont les fêtes nous rappellent les principales phases et renouvellent la diffusion des grâces apportées par le mystère. Eh bien, les Oblats sont les enfants de l'Eglise par l'affection du cœur, par l'union intime à sa vie, à sa doctrine.

Nous nous unissons aux souffrances de Notre-Seigneur dès le matin à l'oraison, en venant préparer auprès de lui notre journée. Cela vaut bien mieux que de nous servir d'un livre. Si vous étiez marchand, vous chercheriez, dès le matin, à organiser vos affaires, à préparer vos gains. Mais le ciel n'est-il pas comparé à un négociant, ou encore à une perle précieuse qu'on a cherchée longtemps, qu'on a acquise au prix de toute sa fortune? Si un mystère se rencontre qui vous touche tout particulièrement, méditez‑le à loisir.

J'ai connu un saint prêtre qui trouvait un sujet d'édification toujours nouveau à contempler Notre-Seigneur souffrant de la soif auprès du puits de Jacob: “Je resterais dans cette pensée, disait‑il, des heures, des jours, des années”. Tous nous ressentons une tendance à aimer telle parabole, telle circonstance de la vie du Sauveur. Tenons‑nous‑y. C'est notre lot. Le bon Dieu est un bon père, et il donne à chacun son pain de tous les jours. Prêtez alors les oreilles de votre cœur, faites fructifier ce don. Ne cachez pas votre talent dans votre mouchoir pour l'enfouir dans le jardin. Au contraire, sachez le distinguer et le faire profiter. Autrement, comment pourriez‑vous plus tard comprendre celui des autres? Il nous faut une grande attention pour comprendre ce que le bon Dieu a mis dans notre âme. Ne soyez donc pas légers, inconsidérés, “des arbres de fin de saison, sans fruits, deux fois morts, déracinés” - [“arbores autumnales, infructuosae, bis mortuae, eradicatae”] (Jude, 12). Ces arbres aux feuilles jaunies, à moitié déracinés, que le vent pousse à droite et à gauche, incapables de profiter de la sève du printemps qui devait leur faire porter fleurs et fruits.

L'homme n'est pas que mains ou pieds, il est cœur aussi, et surtout. Ce cœur, il faut l'alimenter en recueillant avec soin tout ce qui peut le nourrir, le réchauffer, l'encourager. Il faut lui ménager aussi ces repos qui rendent ensuite le travail plus facile, ce repos auprès du divin Maître, comme 1e laboureur qui, après avoir ensemencé son champ, attend avec patience la récolte. Si vous voulez que Notre-Seigneur vous aime, suivez‑le même et surtout sur le Calvaire. Devenez des hommes sérieux dont l'âme vivra des pensées de la Passion. Quand les fidèles sentent le contact de pareilles âmes de prêtres, elles sont gagnées. Elles trouvent de quoi se désaltérer. Le prêtre, mes amis, n'est fait que pour cela.

L'Eglise, c'est Notre-Seigneur qui se continue sur la terre: “Et voici que je suis avec vous pour toujours jusqu’à la fin du monde” (Mt 28:20). Nous devons donc en user avec elle comme avec lui, et nous identifier à lui par les moyens qu'elle nous indique, la sainte messe par exemple, qui n'est pas autre chose que le sacrifice de Notre-Seigneur. Cela nous apprendra à l'aimer, à nous préparer au sacerdoce, et le jour où nous monterons à l'autel, Dieu viendra au-devant de nous pour nous combler de ses faveurs.

Qui doit comprendre ces vérités mieux que nous? Personne. Qui doit les pratiquer plus fidèlement? Personne. C'est notre doctrine à nous, c'est celle de la bonne Mère dont nous sommes les dépositaires. Si vous en êtes pénétrés, comme il vous sera facile de faire passer vos convictions chez les autres! Lisez Bossuet. Qui lui a révélé ces magnifiques considérations sur les mystères, sinon ses méditations continuelles? Pourquoi les a‑t‑il répétées avec tant d'éloquence, sinon parce qu'il en était profondément convaincu?  Et vous aussi, méditez vos obligations religieuses, les principes de votre vie d'Oblat. Alors vous vaudrez quelque chose et votre parole ne sera pas un écho vide, mais un accent de foi qui portera dans tous les cœurs vos propres convictions.