Chapitres pour les Oblats 1873-1899

      

Le coup de clairon de Léon XIII

Chapitre du 8 mars 1899

Nous avons un grand événement à vous signaler. C'est la lettre que sa Sainteté Léon XIII vient d'écrire, pour maintenir les principes sur lesquels nous, les religieux, sommes établis [“Testem benevolentiae”; 22 janvier 1899]. Je dois vous la faire remarquer, parce qu'elle doit exercer une grande influence sur notre conduite, nos pensées, nos actes. Depuis un certain temps, un courant d'idées tend à s'établir. Aux Etats-Unis, à la suite du P. Isaac Thomas Hecker (1819-1888), et en France, de jeunes abbés, directeurs d'œuvres, disent que les vœux et la pratique des conseils évangéliques ont fait leur temps. L'Eglise, disent‑ils, marche comme le monde. Et le monde actuel ne veut plus de lisières, ni d'assujettissements. Donc, plus d'entraves au développement spirituel. Les vœux disparaissent et sont remplacés par les motions que le Saint-Esprit communique personnellement aux âmes. À chacun de recevoir les impressions immédiates de Dieu pour sa perfection et la direction de son zèle. L'Eglise entrera ainsi dans une voie nouvelle, appropriée à l'état des esprits. Elle convertira les protestants, elle rapprochera les dissidents.

Or le Saint Père condamne absolument cette doctrine. Il assure que le zèle particulier est une chose excellente, mais à condition qu'il aboutisse à la diffusion de la charité, à l'oubli de soi‑même, et qu'ainsi les vœux religieux, garants des conseils évangéliques, loin d'être repoussés, doivent être mis en honneur et préférés à toute autre méthode. Et de fait les vœux religieux ne sont que l'application des principes de Notre-Seigneur. Il ne peut y avoir de moyens de sanctification plus efficaces. Saint Paul même va plus loin: quand 1'âme n'est pas entre les mains du bon Dieu, en union avec lui, ses travaux ne valent rien. C'est bien là notre enseignement. Donc le Pape confirme nos principes et tient à les voir exécuter. Ne m'avait‑il pas dit d'aller trouver tous les évêques de France et de leur demander, en son nom, aide et protection? Comme enfants de saint François de Sales, c'est à nous qu'incombe la tâche. La volonté du Pape est qu'on pratique les conseils évangéliques, et à notre manière précisément. Le Pape dit positivement que la besogne que chacun fait ne vaut que ce qu'il vaut lui‑même, par son propre détachement et son union à Dieu.

Je voudrais que cela entrât bien en vos jugements et en vos volontés. Vous avez une mission immense. Comme le disait le secrétaire de la Propagande: “Vous ne pouvez pas vous douter des effets que cette doctrine est appelée à produire”. C'est ce que me confirme encore une lettre du P. Rollin à qui le Cardinal Vicaire recommandait de recueillir toutes les paroles de la bonne Mère et de les répandre, pour ne pas priver l'Eglise d'un pareil trésor. Pour nous, appliquons‑nous à l'observance exacte de nos vœux. À quoi reconnaît‑on qu'on aime Dieu? “Ce n’est pas en me disant: «Seigneur, Seigneur» qu’on entrera dans le Royaume des Cieux, mais c’est en faisant la volonté de mon Père qui est dans les cieux” (Mt 7:21). Pratiquons ainsi l'obéissance, pratiquons la chasteté, et cela non seulement en nous détournant du mal, mais encore en réservant toute notre affection pour Dieu, quand même nous ne sentirions ni plaisir, ni goût. Pratiquons et aimons la pauvreté, la pauvreté d'esprit qui fait qu'on ne s'attache pas aux niaiseries dans la nourriture, le vêtement, le mobilier, mais qu'on s'adonne à la pauvreté du Sauveur. En dehors de là il n'y a rien: des pluies d'arrière saison stériles.

Faites de tout cela l'objet de vos méditations, et ne ressemblez pas à des enfants, à des collégiens. Relisez dans les Annales, ou dans la petite brochure qui en a été tirée à part, le discours de M. Fragnières sur la “Voie”. Méditez‑le, mettez‑le en pratique et avec cela vous réaliserez des choses admirables.

Cette méthode, elle est bien simple. Eh bien, il est extraordinaire de la voir pratiquer. À notre dernière réunion sacerdotale, des vieux prêtres me disaient: “Oh! mon Père, quel bien vous nous faites!” — “Mais vous saviez cela depuis longtemps” — “Sans doute, mais nous ne le comprenions pas suffisamment”. Un prêtre du séminaire d'Annecy, M. Descombes, l'a bien compris, lui. “Votre vie”, m'écrit‑il, “c'est l'essence de l'Evangile. C’est la vie de Notre- Seigneur”. La perfection ne consiste pas dans les actes extérieurs, mais à vivre de la vie de Notre-Seigneur lui‑même, à le suivre. Et voilà justement, mes amis, où nous mènent nos vœux, pratiqués dans l'esprit du Directoire.

Vous êtes jeunes. N'oubliez pas que cela est extrêmement sérieux. Ne vous faites pas de votre vie un idéal vulgaire. Elle a une portée considérable, votre vie!  Tout cela paraît bien assujettissant. Eh bien, mettez‑vous-y en déterminés. Attachez‑vous à votre Directoire. La grâce arrivera à propos. Le chemin est sûr. Estimez grandement votre communauté. Eh! sans doute, nous sommes de petites gens. Mais les Apôtres n'étaient‑ils pas d'humbles pêcheurs? Nous valons moins qu'eux sans doute, mais Dieu avec des pierres peut faire des enfants d'Abraham. Mettons‑nous‑y. Notre Saint-Père le Pape a donné le coup de clairon; à nous de répondre: “Présent”.