Chapitres pour les Oblats 1873-1899

      

Les deux préparations pour bien prêcher

Chapitre du 25 janvier 1899

“Les Pères ne devront jamais prêcher sans se souvenir du Sauveur Jésus-Christ, qu’ils reçoivent à la Messe, et qui doit parler par leur bouche” (Dir., Art. XV; p. 118).

Ce que saint François de Sales pose en principe dans toutes les questions, c'est l'union à Notre-Seigneur: c'est une pensée bien juste. Le prêtre, qui reçoit si souvent le Sauveur, vit de la vie de Notre-Seigneur. Sa bouche, sa langue deviennent la langue et la touche du divin Maître, comme dit saint Paul (2 Co 13:3). Qui donc oserait lutter contre lui? Ce qu'il dit, ce n'est pas sa pensée à lui, c'est la pensée et la parole de Dieu. Une fois descendu en nous, Notre-Seigneur nous donne lumière et confiance, et l'on peut parler sans crainte ni inquiétude, car notre assurance ne s'appuie pas sur nos mérites ou notre talent, mais sur la grâce du Sauveur. Voilà un beau sujet de méditation.

Plus tard quand vous serez appelés à annoncer la parole de Dieu, pénétrez‑vous de ces sentiments et commencez par vous unir à lui par un vif esprit de foi. Ce ne sont pas les grands prédicateurs qui font le plus de conversions, ce sont les grands saints. Dans les grands séminaires, on expose les principes de l'art oratoire, les lois de la diction, les sources à consulter. On n'insiste pas assez peut‑être sur ces dispositions que je vous rappelle, on les laisse à  la conscience de chacun. Chez nous il faut s'y arrêter, car sans elles on ne peut opérer aucun bien. “Tant que je suis dans le monde, je suis la lumière du monde” disait Notre-Seigneur (Jn 13:3). Est‑ce assez singulier que des prêtres oublient ce point élémentaire. Ils sont les organes du Sauveur! Et au lieu d'aller prendre leur direction, leur mot d'ordre en lui, c'est dans un sermonnaire, dans un livre qu'ils cherchent leur principale, leur unique inspiration. Les païens étaient plus logiques que certains prédicateurs. Ne disaient‑ils pas: “Le commencement, c’est en Jupiter” [“Ab Jove principium”]? Pour parler avec fruit, il faut tenir son âme bien pure et exempte de toute faute volontaire, dans l'esprit de pénitence, qui consiste, pour les enfants de saint François de Sales, à accepter la vie telle que la Providence nous la ménage, avec les épreuves et les souffrances de chaque jour, les frottements de caractères, les manques d'égards et de charité dont nous sommes victimes.

Tout cela, recueillons‑le comme un trésor précieux, nous souvenant que la souffrance, était pour Notre-Seigneur la garantie de sa parole et que saint Paul fondait sur la mortification tout le succès de sa prédication: “Je meurtris mon corps et le traîne en esclavage, de peur qu’après avoir servi de héraut pour les autres, je ne sois-moi même disqualifié” (1 Co 9:27). Que nos jeunes religieux se forment à ces manières‑là, et alors il en restera quelque chose. Cette pratique du reste s'applique à tout enseignement religieux: catéchismes, sermons, conférences, etc. Mais quelle intention devons-nous avoir?

“Leur fin et intention doit être de faire ce que Notre-Seigneur est venu pour faire en ce monde; et voici ce qu’il en dit lui-même: “Ego veni ut vitam habeant, et abundantius habeant”. Je suis venu afin que mes brebis aient la vie, et l’aient plus abondamment. La fin donc du prédicateur est que les pécheurs morts en l’iniquité vivent à la justice, et que les justes qui ont la vie spirituelle l’aient encore plus abondamment” (Dir., Art. XV; p. 121-122).

La sainteté produit la sainteté. Si nous la possédons, les âmes recevront à notre contact lumière et vie, la sainte Eglise sera aidée et le paradis enrichi. Un saint prêtre réalise en chaire des merveilles. Rappelez-vous l'histoire de M. Merger.

"Pour la préparation au sermon, il est bon qu'elle se fasse dès le soir, et que, le matin, on médite pour soi ce que l’on veut dire aux autres. La préparation faite auprès du Saint Sacrement a grande force” (Dir., Art. XV; p. 124).

À la préparation surnaturelle dont il vient d'être question, il faut joindre la préparation du travail. Quand vous serez vieux, vous aurez vos provisions toutes faites, et vous pourrez parler d'abondance, comme M. Boigegrain, le fondateur des Sœurs de la Providence de Troyes. Un jour de fête de la Présentation de la sainte Vierge, j'entrai dans la chapelle des Sœurs. Elles allaient faire la rénovation de leurs vœux, et le P. Boigegrain leur faisait l'instruction. Il était bien âgé. Il parlait tout simplement et paternellement. Il leur disait: “Avec qui allez-vous renouveler vos vœux? Avec Marie, avec Jésus. Il faut faire comme faisait Marie au jour de sa Présentation, et comme faisait Jésus au jour de la Purification. Les sentiments de Marie étaient les mêmes que ceux de Jésus, parce que Jésus les lui avait appris par avance”. Et il se mit à développer les sentiments de Jésus et ceux de Marie en termes si simples mais si profondément touchants que j'en étais ému jusqu'aux larmes. Sur la fin de l'instruction, il s'aperçut qu'il y avait un prêtre dans la chapelle, et ayant appris que c'était moi il me fit venir: “Je vais vous demander quelque chose, monsieur l'abbé. Promettez‑moi de me dire la vérité. Vous voyez, je suis bien vieux. J'ai 77 ans. Autrefois j'écrivais mes sermons et je les apprenais par coeur. Maintenant la vue et la mémoire me font défaut. Croyez-vous qu'en conscience je sois encore capable de prêcher à nos Sœurs? J'ai peur de profaner la parole de Dieu”. — “Rassurez‑vous”, lui dis‑je. “Oui, vous en êtes encore capable, et si bien que tout à l'heure vous m'avez fait pleurer”.

Mais pour parler, il faut un fonds. Où puiser? La théologie vous fournira ses définitions, ses thèses, avec leurs preuves tirées de la sainte Ecriture, de la tradition et de la raison humaine.
Il faut donc connaître sa Bible, l'avoir lue et relue. Il faut avoir une idée juste et un peu détaillée des Saints Pères, et il faudra surtout savoir approprier tout cela à votre auditoire.

Sous quelle forme? C'est l'assistance qui doit tout déterminer et régler. Vous ne ferez pas un prône de village sur le ton d'un sermon prêché à la cour de Louis XIV. Vous voulez faire comprendre et aimer telle vérité. Servez‑vous de toutes vos connaissances pour en tirer un ensemble intelligible, intelligent. Si vous ne savez rien sur le sujet que vous traitez, ne croyez pas pouvoir instruire des ignorants. Vous leur rendriez la vérité deux fois plus obscure.

Pour acquérir un fonds solide, il faut de toute nécessité prendre des notes. Réunissez des feuilles de papier dont chacune porte un titre: Amour, Charité, Foi, Travail, etc. Chaque fois que vos études, vos lectures, vos réflexions vous présentent à ce sujet une idée utile, notez‑la, sous le titre correspondant. Au bout d'un certain temps, si vous êtes fidèles à cette règle, vous aurez amassé des matériaux immenses, bons pour vos catéchismes, vos instructions, conférences, et aussi la direction des âmes. Et non seulement vous aurez alors toujours quelque chose à dire, mais ces idées, appropriées à la tournure de votre intelligence, à vos goûts, à vos sentiments seront éminemment personnelles. Vous ne serez plus un écho vide; on vous écoutera, vous serez vous‑mêmes.

Tout peut servir à ce but, même les mathématiques et les sciences naturelles. Ainsi l'eucalyptus, dont la graine est extrêmement fine, et qui devient un arbre immense, au bois dur et résistant, à la senteur embaumée et bienfaisante. N'en peut‑on pas tirer une comparaison frappante avec la grâce dont la moindre parcelle, bien reçue dans l'âme, peut produire rapidement d'incomparables résultats? Les découvertes de la science vous fourniront également des similitudes capables de frapper les esprits instruits. Tout ainsi, en vous, contribuera au ministère de l'évangélisation.