Chapitres pour les Oblats 1873-1899

      

Les menus assujettissements ont leur importance dans la communauté

Chapitre du 26 janvier 1898

Au noviciat,  nous allons nous mettre à l'observance exacte et prendre les moyens indiqués par saint François de Sales, puisque voilà nos Constitutions définitivement approuvées. Ce sont de petites choses peut‑être, mais certes ce n'est pas rien. Voyez le signe de la croix, c'est peu de chose en soi. Et pourtant combien a‑t‑il soutenu de martyrs, encouragé d'actes héroïques.

À ce propos, il me revient à la mémoire un fait dont j'ai été témoin quand j'étais encore petit garçon au petit séminaire. Nous allions souvent en promenade à Fouchy. Or ce jour‑là, le vieux pont avait été à moitié emporté par les eaux de la Seine débordée. Il ne restait plus, pour rejoindre les arches du milieu, qu'une poutre, une grosse planche inclinée sur laquelle le charpentier le plus hardi aurait hésité à se risquer. Arrive une femme en deuil, un livre de prières à la main, qui évidemment se rendait à une messe d'enterrement à Sainte‑Maure. À l'aspect de ce contretemps, son visage exprima la plus vive contrariété. Mais soudain, faisant le signe de la croix, cette femme s'élance et passe. Jamais cet acte de foi ne m'est sorti de la mémoire. De même, mes amis, les moindres observances, pénitences, enclins, etc. ont leur importance.

Jeune prêtre, j'allais faire ma retraite à la Chartreuse de Bosserville. Il y avait là un ancien curé de Saint-Sébastien de Nancy que le maître des novices me fit visiter. Il venait justement de recevoir plusieurs de ses anciens paroissiens: “Pourquoi nous avoir quittés?” lui demandaient-ils? — “Ah!” répondait‑il, “comme vous ne tiriez aucun profit de mes exhortations, j'ai cru vous être plus utile en venant prier pour vous ici. Mais c'est bien triste”, ajoutait‑il, “je suis déjà vieux et je ne me sens plus assez souple pour observer les enclins de la Règle. Je ne voudrais pourtant pas malédifier mes frères, ni non plus me priver des grâces qui sont attachées à ces exercices. M. l'abbé”, me disait‑il avec des larmes dans la voix, “priez pour que je surmonte cette difficulté”.

Assurément, mes amis, ces assujettissements, ces menues pratiques religieuses, ont plus d'effet encore sur le cœur de Dieu et dans le travail de la perfection que les jeûnes eux‑mêmes et les disciplines, car cela exige une plus grande humilité et une plus grande immolation de soi-même. Plus tard nous établirons aussi tous ces petits usages dans nos communautés, quand nous donnerons le Coutumier. La Constitution ne peut pas entrer dans tous ces menus détails, mais il faut bien garder ceux que nous avons déjà et qui sont établis par l'usage. Sainte Thérèse, à la cuisine, ramassait un haricot, une lentille, avec grand respect, parce que c'était une chose appartenant à Dieu. Et certes, ce n'était pas un petit esprit, sainte Thérèse!  Le curé d'Anglure jadis trouvait qu'elle en avait trop. De concert avec quelques curés voisins, il voulait faire réviser son décret de canonisation!

Les hommes n'attachent pas moins d'importance que sainte Thérèse à ces riens. Voyez les francs‑maçons eux‑mêmes. Ils écriront des volumes entiers où il n'y aura pas trois idées sensées. Par exemple, ils tiennent avec une sollicitude sans pareille au moindre détail de leurs grotesques cérémonies, à la manière de relever leur tablier, de se serrer la main, de marcher, etc. Nos pratiques religieuses sont dignes d'un esprit intelligent et d'un cœur généreux.

Je voudrais , mes amis, ajouter un mot sur la doctrine de la bonne Mère. Cette doctrine ne se trouve pas seulement dans les lettres, toujours si relevées, si profondes, mais il y a aussi ses entretiens à la communauté et ses relations avec les personnes du monde, tous empreints d'une doctrine admirable. Voici entre autres une instruction sur l'humilité. Combien de traités ont été composés sur ce sujet, indiquant les moyens à prendre: examens généraux et particuliers, pratiques de toute sorte, etc. Je connais tel Père Jésuite qu'on avait en grande estime et qu'on avait choisi comme assistant du noviciat. Un beau jour, devant tous les novices, le Père maître lui jette son trousseau de clefs, en s'écriant: “Que vous êtes négligent! Voyez tel, tel endroit; qu'ils sont mal tenus!”  Le pauvre Père y va; tout était bouleversé, sali et chacun des novices put le constater. La pratique était rude, et il lui fallut bien un acte quelque peu héroïque pour l'accepter, tout surpris qu'il était de l'aventure. Maintenant voyons ce que dit la bonne Mère de l'humilité.

[Notre Père lit une instruction de la bonne Mère sur l'humilité.]

L'humilité est déjà bien difficile à définir, combien plus difficile à pratiquer. Les exercices que font faire à ce sujet les PP. Jésuites ou autres sont excellents, sans aucun doute, mais notre bonne Mère ne procède pas de même. Puisque Dieu est notre Père, qu'il a tout organisé dans notre vie en vue de notre salut et aussi de notre perfection, pourquoi nous mettre à la recherche de pratiques nouvelles et extraordinaires? Il suffit d'acquiescer à chaque instant aux occasions qui se rencontrent et que Dieu permet. Essayons‑en durant cette quinzaine. Que tout se révolte en nous et nous suscite une profonde répulsion, tant mieux, cela augmentera nos mérites. Comme cela procure du recueillement à l'âme, de la paix à la conscience, de la force au cœur, de la dignité à la vie. Il n'y a rien là de bâti sur des considérations plus ou moins bien imaginées. C'est un chemin uni, solide et sûr.

Ayons un grand respect pour les enseignements de la bonne Mère. Efforçons‑nous de les comprendre en les rapprochant de la doctrine de saint François de Sales et de sainte de Chantal. Nous y trouverons une lumière toute particulière. Et comme il ne suffit pas de lire pour devenir habile, joignons‑y la pratique.