Chapitres pour les Oblats 1873-1899

      

De la bonne manière de commencer chacune de nos journées

Chapitre du 16 février 1898

Du lever des Frères
Article II.
“Premièrement, les Frères doivent à leur réveil jeter leur âme tout en Dieu, par quelques saintes pensées, telles que celles-ci: ...” (Dir., Art. II; p. 15-16).

Il faut, aussitôt notre réveil, jeter notre âme tout en Dieu. Ceux qui ont pris cette bonne habitude dans leur première éducation ou au séminaire, peuvent conserver leur petite pratique particulière. Ceux qui n'en ont point, doivent s'y mettre dès demain matin, apprendre par cœur ces pensées du Directoire et se les réciter à eux‑mêmes jusqu'à ce qu'ils les sachent par cœur. Cette pratique que nous apprend le Directoire est en effet une garantie pour toute la journée. Quand elle commence bien, elle continue bien. Si elle débute mal, il y a tout à craindre.

Il faut bien se souvenir que les paroles tirées de la sainte Ecriture ou de la liturgie ont une grâce spéciale qui y est attachée. Les prières les plus belles que nous puissions dire sont celles qui ont été inspirées par l'Esprit-Saint et dictées par la sainte Eglise. Ainsi la formule la plus parfaite est le Pater noster, puisqu'elle a été composée par Notre‑Seigneur lui‑même. Notre saint fondateur dit qu'en le récitant nous pensions que Jésus-Christ le dit et que nous le répétons mot par mot après lui. Faisons de même pour les prières inspirées par le Saint‑Esprit.

“Commençant à se vêtir, faisant le signe de la croix, ils diront: Couvrez-moi, Seigneur, du manteau d’innocence, et de la robe de charité. Hé! mon Dieu! ne permettez pas que je paraisse nu de bonnes oeuvres devant votre face”  (Dir., Art. II; p. 17-18).

Cela fait une multitude d'exercices. Faut‑il les suivre rigoureusement tous? Non. Pour ceux qui le peuvent, c'est excellent, mais tout le monde n'en est pas capable. L'important, c'est qu'on récite quelque prière, ou que l'on garde quelque bonne pensée en s'habillant. Le mieux certainement serait de suivre pas à pas le Directoire, qui est la volonté actuelle de Dieu sur nous. Puis on dit l'Angelus et on fait l'exercice du matin.

“Ils feront leur lit, et s'il se peut, se laveront les mains et la bouche, devant l’oraison, et pour cela il sera besoin qu’ils soient très diligents à se lever et habiller” (Dir., Art. II; p. 19-20).

Se lever, faire son lit, se laver, se brosser, cela ne paraît guère surnaturel. Mais si nous le faisons en union avec Dieu, cela devient un acte excellent. Dans le catéchisme, on demande: “Fut‑il nécessaire que Jésus‑Christ souffrît et qu'il mourût pour nous racheter?” Et l'on répond: “Non, la moindre de ses souffrances, la moindre de ses actions suffisait pour nous racheter, car la divinité de Jésus‑Christ donnait à chacune de ses actions une valeur infinie”.

Unissons‑nous à Jésus‑Christ et le moindre et de nos actes, ainsi uni, participera à la valeur des mérites du Sauveur. Cirer ses souliers en s'inspirant du souvenir de Notre‑Seigneur, cela vaut mieux qu'une oraison très belle, spéculativement parlant, mais souvent en réalité bien imparfaite, et en résultat peut‑être bien inutile. Méditer les perfections divines, c'est une jouissance, comme lire du Bossuet ou du Saint-Thomas. Quand c'est le moment de le faire, c'est très bon. Est‑ce plus méritoire? Cela dépend de vos dispositions. Et si ce n'est pas l'heure de la lecture spirituelle, et que vous fassiez alors cette lecture, emporté par votre attrait, vous n'aurez plus de mérite du tout. Nous nous sanctifierons, en faisant notre lit, en balayant soigneusement la place de notre lit, avec des aspirations vers Dieu. À Nazareth, l'enfant Jésus remplissait cet office‑là.

En visitant la sainte maison de Lorette, je voyais tout le monde pleurer. Je m'étais bien promis de n'en rien faire, mais je dus en passer par là comme tous les autres. On me montra une assiette qui, d'après la tradition, avait servi à l'enfant Jésus. C'était tout à fait comme les assiettes qu'on vendait autrefois à la foire de Sézanne. L'émail était trop mince et cédait sous le couteau. “Allons donc”, me disais‑je, “on ne me fera pas croire celle‑là. Y mettre mon chapelet? Jamais”. Or à Naples, quelques jours après, parmi les objets exposés au musée et trouvés à Pompei, je trouvai des assiettes identiques à celles qui se conservent à Lorette. J'étais convaincu cette fois. Et quand je suis repassé par Lorette, j'ai mis moi aussi mon chapelet dans la petite assiette du Sauveur.

Ainsi donc Notre‑Seigneur étant Dieu, un seul de ses actes avait la vertu de sauver le monde: “Exaucé en raison de sa piété”, dit saint Paul (He 5:7). Cela ne veut pas dire que sa prière était plus excellente que ses autres actions: il les divinisait toutes. Et nous, il nous faut aussi diviniser nos moindres actes: balayer, brosser, faire ce que l'obéissance nous confie. La sainteté n'est pas ailleurs. Il ne faut pas aller la chercher au troisième ciel, nous n'y pouvons atteindre. Nous n'irons pas la chercher dans des pensées sublimes, nous n'en sommes pas capables. Allons la chercher où elle est.

Après cela, on peut aller à l'oraison: la préparation est complète. Est‑ce qu'à l'oraison on va chercher une nouvelle sainteté? Non. Voyez saint Vincent de Paul, saint Liguori, saint Bernard. Pour lui Clairvaux, c'est presque le ciel. À chaque instant, Dieu s'y manifestait. “Je ne fais pas un pas dans la Claire Vallée”, disait-il, “sans y rencontrer Dieu, ou sa sainte Mère, ou les anges. Si j'écoute, j'entends les chants des bienheureux, ou les cris des âmes du Purgatoire. C'est vraiment le parvis du paradis”. Et ce qu'il dit sur son moulin, dont le tic‑tac répète: “Jesu! Maria!”, ou sur la petite fontaine qui lui faisait rappeler les eaux de la grâce que Dieu faisait couler si doucement dans les cœurs. Et avec cela saint Bernard était à la tête du mouvement de son siècle. Il communiquait avec le Pape et les rois de la terre. Cela ne gênait pas l'activité de son esprit, ni l'éloquence de son génie. Il est certain que depuis deux siècles, on avait fait une faute immense concernant la préparation de la journée. On lit, dans la vie de saint Louis de Gonzague, qu'il eut beaucoup de peine à se former à l'oraison, parce qu'on voulut le forcer à suivre une méthode de méditation savante et compliquée. Il y gagna des maux de tête qui hâtèrent sa fin. Il était pieux. Il se mettait en présence de Dieu et lui demandait la grâce de bien remplir tous les devoirs de la journée, en toute simplicité. Cela ne suffisait‑il pas?

Je proteste contre cette méthode de la méditation savante: ce n'est pas la bonne. L'homme n'est pas un être tout spirituel, un ange, une intelligence pure. C'est un être qui mange, qui boit, qui travaille. N'allez donc pas faire de l'oraison un exercice d'esprit qui n'avance à guère, car combien avec cela tombent dans des fautes énormes. Nous nous sanctifions avec tous les actes de notre vie, et pas  seulement avec la prière. “Ce n’est pas en me disant: «Seigneur, Seigneur» qu’on entrera dans le Royaume des Cieux, mais c’est en faisant la volonté de mon Père qui est dans les Cieux” (Mt 7:21). Cirer ses souliers, se brosser, c'est la volonté de Dieu. Il faut donc que l'oraison soit la préparation de toutes ces actions de notre journée. Donc la méthode exclusive des  méditations ne vaut pas grand-chose. Je n'ai connu dans ma vie qu'un homme qui y ait réussi. Pour les femmes, c'est plus commode d'y réussir. Avec leur imagination elles s'en tirent toujours. L'autre méthode, au contraire, celle que nous enseignons, convient à tous. Combien ai‑je vu, même de simples bonnes femmes, s'en acquitter parfaitement!

Il faut apprendre aux fidèles à faire ainsi, à préparer leur journée avec le Sauveur. Ils l'aimeront, ils s'y attacheront, puisque c'est si conforme à la raison qui veut que, pour atteindre un but, on commence par le bien viser.

“Exercice de la préparation
Puisque la préparation est comme un fourrier à toutes nos actions, ils prendront pour sujet de leur exercice les actions de la journée, et leurs obligations religieuses, relatives au Directoire et aux Constitutions; ils s’y occuperont, selon la diversité des occurrences, et tâcheront, par le moyen d’icelle, de se disposer à bien et louablement traiter et pratiquer leurs affaires” (Dir., Art. II; p. 21-22).

La journée, il faut la préparer non seulement avec son esprit, mais encore avec son cœur. Il faut dire à Dieu: “J'ai ceci, j'ai cela à faire, soyez avec moi”. Et l'on prend son Directoire au premier chapitre, et ainsi de suite. Puis il faut s'ouvrir à son confesseur, lui découvrir son attrait, suivre ses avis. Il est bien remarquable que les saints qui avaient commencé par suivre une autre voie ont dû en arriver à s’en servir eux aussi. Saint François de Sales, en grand stratégiste, ne va pas réunir toute une batterie contre l'obstacle, quand il y a un chemin qui en fait le tour. Ce procédé donne à l'âme une grande dignité, une influence énorme sur l'intérieur et l'extérieur. Ce n'est pas autre chose que l'Evangile, que la simplicité de vie que pratiquait saint Joseph. L'homme n'a pas à se créer une sainteté. Dieu se charge de lui fournir, heure par heure, ce qu'il lui faut pour arriver à lui. Il n'y a donc qu'à s'efforcer d'y répondre. Que notre bonne  Mère nous y rende fidèles.