Chapitres pour les Oblats 1873-1899

      

A quoi servent les observances?

Chapitre du 22 septembre 1897

Il est une chose que vous apprendrez tous, mais que moi, mes amis, j'ai apprise bien tard. C'est que pour faire une communauté, une agrégation, il faut que les hommes se soumettent à beaucoup de choses qui paraissent puériles. Voyez les francs-maçons, leurs formules. Ce qu'ils disent, ce qu'ils font est rempli de choses singulières, puériles, ridicules. Pourquoi? Parce que c'est nécessaire pour attacher les hommes à quelque chose. Il faut, pour réussir, quelque chose qui dépasse, ou même outrage un peu la raison privée.

Dieu lui‑même n'agit‑il pas dans ce sens? Dans les mystères, il nous fait soumettre notre raison à des choses que cette raison ne comprend pas, qu'elle regarde même quelquefois comme impossible. J'avais cru qu'on pouvait faire une Congrégation seulement avec des choses acceptables pour la raison. Je vois maintenant que non. Je me demandais pas exemple: À quoi servent les coulpes? À quoi servent les obéissances multipliées et nombreuses? Quelle utilité, faire ceci ou cela? Or, il est à remarquer que les communautés qui ont vécu depuis longtemps dans la ferveur de leur observance sont les plus attachées à ces sortes de choses.

Prenez les Chartreux. Je voyais à la Chartreuse de Bosserville un prince, cousin de la Reine d'Espagne. Il servait la messe. Le P. Retournat, le maître des novices, le voit faire une faute: il s'était trompé dans un mouvement. Et voici qu'après la messe, il s'étend sur le pavé de l'église et reste là prosterné longtemps. Je demande au P. Retournat pourquoi une pareille punition. “Il a fait une faute à la messe” — “Mais enfin, voilà une pénitence qui pourrait le rendre malade. Le pavé est glacial, il pourrait en attraper une fluxion de poitrine”. — “Non, il a bonne santé; n'ayez pas peur. Mais au moins il se souviendra”.

Je voyais aussi le P. Stanislas, déjà âgé de 60 ans au moins qui, nouvel arrivé, s'exerçait à faire l'enclin comme on le fait à la Chartreuse. Son épine dorsale n'était plus tout à fait flexible: il n'arrivait pas à prendre la position. Il travaillait à cela depuis trois mois. Cela le chagrinait de ne pas obtenir de grands résultats, mais il espérait y arriver avec la grâce de Dieu.

Je vois que ces petits coutumes, ces petits moyens sont absolument nécessaires pour arriver à ce qu'il y ait quelque chose. Autrement tout s'évapore. On mène la vie commune, ordinaire, terre à terre: on n'est pas religieux. Tout ce préambule, mes amis, est pour dire que nous allons faire tout ce que nous pourrons pour que la Règle et l'observance soient bien pratiquées. Nous y gagnerons tous beaucoup en paix intérieure, car plus on donne à Dieu, plus on a le cœur content.

Je me propose de faire mercredi la visite du Grand Collège. La visite est ordonnée par les Constitutions. Le supérieur ne peut pas s'y soustraire. Quand le supérieur viendra pour la visite, la communauté se réunira à la chapelle, puis il se retirera dans une chambre qui sera désignée, et chacun viendra faire ses remarques sur son compte personnel, sur la façon dont il accomplit la Règle et les devoirs de la vie religieuse. Il y ajoutera ce qu'il croira en conscience devoir dire. S'il voit quelque chose qui se fait contre la Règle, il le dira avec une grande simplicité, une grande candeur d'âme, se souvenant de ce qu'il vaut lui‑même. S'il voit une remarque utile à faire sur l'ensemble et la marche générale de la maison, s'il éprouve telle ou telle difficulté dans son emploi, il le dit avec simplicité. Cet aveu confiant active la grâce de Dieu. Il y a là quelque chose qui se rapproche de l'efficacité des sacramentaux. Il faut faire cette démarche avec l'esprit du Directoire, avec la direction d'intention. Un grand secours y est attaché.

Chez les Chartreux, on lit sur les murs des cloîtres: “Sol. si. vi. Carthusianus permanet in vi”. C’est-à-dire: “Solitudine, silentio et visitatione, permanet Carthusianus in vi”.- “C’est grâce à la solitude, au silence et à la visite que le Chartreux se maintient dans la ferveur”. C'est donc en partie par la visite que le Chartreux garde sa ferveur. Nous ferons la visite dans la même pensée; ce sera un des principaux moyens de nous maintenir dans la ferveur de l'observance.

Quand le supérieur peut faire la visite de toutes les maisons, il la fait lui‑même. S'il ne peut accomplir ce devoir que pour quelques‑unes, il fait faire la visite des autres maisons par l'assistant ou un autre conseiller. Je n'ai pas besoin d'ajouter que le visiteur tiendra une note absolument discrète et secrète des remarques et confidences qui lui auraient été faites. Après la visite, le supérieur réunit de nouveau la communauté pour donner l'ensemble des remarques, faire les observations utiles et indiquer la marche à suivre. On termine par le salut du très saint sacrement. Il est d'usage de dire dans toutes les communautés une prière pour attirer les lumières du Saint‑Esprit dans cette occasion. Nous dirons tous à partir d'aujourd'hui le Veni Creator à cette intention de bien profiter de la visite qui est, je le répète, un grand moyen de se maintenir dans le ferveur.

À partir de la visite, on s'en tiendra à ce qui a été dit au chapitre général pour ce qui regarde les voyages et les congés. De même pour les sorties en ville, on demandera toujours la permission du supérieur. Si la sortie devait être de longue durée, on s'en rapporterait au conseil et à la décision du supérieur général. Que chacun de nous se prête bien à cela. N'oublions pas que Dieu distribue des grâces abondantes quand on fait un sacrifice pour lui.  Je ne crois pas que ce soit bien facile pour chacun de nous de bien faire ce que demande la Règle. Je ne suis pas surpris de voir que l'on a de la peine à se ranger à ceci ou cela, d'autant que ces sortes de choses demandent une grande force habituelle. Tout le monde dit que si les Oblats font bien ce qu'ils ont à faire, ils seront les meilleurs religieux du monde. Chaque chose en son temps. Nous sommes venus à notre heure. Nous avons grâce pour notre époque, pour les besoins du milieu où nous vivons. Aussi devons‑nous nous mettre en mesure d'être à la hauteur de notre tâche. Prions la bonne Mère, maintenant vénérable, qui nous donnera des témoignages de sa puissance auprès de Dieu. Priez pour l'établissement solide du noviciat, pour que les novices se forment bien dans l'esprit de la Congrégation.

Une remarque. Quelques-uns sont délicats et ont des répugnances nombreuses pour la nourriture, les différentes sortes d'aliments. Ils ne mangent pas de ceci, pas de cela. Il faut faire quelque effort. En se forçant un peu au commencement, on arrive à manger volontiers certains aliments pour lesquels on éprouvait tout d'abord une certaine répugnance. Je ne parle pas, évidemment, de certaines répugnances invincibles. En prenant d'abord un peu, puis un peu plus, puis davantage, on finit par manger de tout, par aimer tout. C'est comme la nappe qui descend du ciel dans la vision de saint Pierre, et qui renferme toutes sortes d'animaux: “Allons, Pierre, immole et mange”. — “Oh non! Seigneur, car je n’ai jamais mangé rien de souillé ni d’impur” (Ac 10:13-14). C'est le Seigneur qui te l'envoie!  Tâchons de vaincre nos répugnances là‑dessus. Je me rappelle qu'au petit séminaire, quand on nous expliquait les détails du règlement, on terminait par ces mots que je vous laisse: La paix, la joie, le bonheur sont attachés à l'accomplissement de ces règles.