Chapitres pour les Oblats 1873-1899

      

Il faut présider, mais comment présider?

Chapitre du 19 mai 1897

“Les supérieurs locaux ne sont en charge que trois ans. La prolongation de ce terme doit avoir des causes graves, dont le Supérieur, aidé de son Conseil, reste le juge. Le Supérieur général doit faire, de temps en temps, la visite des maisons de l’Institut” (Const., Art. VIII:9; p. 37).

A l'heure qu'il est, le monde ne se laisse pas conduire comme autrefois: l'autorité est peu respectée. Il suffit qu'on parle d'autorité, pour soulever le mécontentement, les réclamations de tous. Il faut donc que nous prenions d'autres procédés.

Il faut d'abord que le supérieur soit lui‑même bon religieux, qu'il pratique bien la Règle, avant de la faire pratiquer par ceux dont il a la charge. Le premier et grand moyen, c'est la prière, et cela pour toutes choses. Vous êtes directeur d'un collège, vous avez là une responsabilité qui vous pèse: c'est une charge écrasante. Vous avez des vues particulières, vous avez telle ou telle difficulté: priez. Jamais vous ne pourrez aboutir sans cela. Ce serait irraisonnable même d'essayer. Les temps sont difficiles; la malveillance, le mauvais vouloir sont autour de vous. Cette malveillance n'est pas encore parvenue jusqu'à ceux que vous dirigez, sans doute. Mais enfin! Tout le monde ne répète‑t‑il pas un peu le même air? Priez. Il faut d'abord et toujours prier, recommander à Dieu les choses, les personnes, les affaires. À l’oraison, dans votre bréviaire, à la sainte messe, songez‑y et demandez à Dieu de vous aider. Soyons des gens surnaturels.

Voilà pour le premier. Il y en a un second. Il faut que le supérieur ait la charité pour ceux qui l'entourent. Il faut aimer ceux dont nous sommes chargés. Mais comment aimer un caractère diamétralement opposé au vôtre? Il a ses manières de voir opposées aux vôtres. Physiquement même vous êtes dissemblables. Lui, il aime le repos et vous, 1'activité. Il aime le bruit, et vous aimez le silence. Eh bien, il faut que vous trouviez dans l'amour de quoi effacer ces divergences, et il faut que ces difficultés même soient un lien pour vous tenir uni à lui. Vous, en effet, vous n'avez pas tout ce qu'il faut, et lui, il vous complétera. Dites‑vous bien: “Si j'avais quelqu'un d'absolument semblable à moi, réussirais‑je?” Non, sans doute. Aimons donc un chacun. Faisons la part des caractères, des milieux dans lesquels se sont trouvés ceux dont la collaboration ne vous plaît pas. Mettez tout cela, comme dit saint François de Sales, dans le creuset, dans l'alambic. Dites‑vous bien: “Voilà ce qu'il faut que cela me rende, un bon et franc cognac”. Aimons dans le plus défectueux ce que le bon Dieu a mis de bon en lui, le don de Dieu. Voyons‑le de ce côté-là, dans tous nos rapports avec lui, dans notre appréciation et nos jugements. Sans doute s'il est délinquant, il faut y veiller. Il ne faut pas que la charité aille jusqu'à la faiblesse. Mais, s'il faut reprendre, reprenons toujours avec affection et qu'on sente vraiment qu'il y a là de l'affection. Aimons nos subordonnés de cette manière. Et alors qu'arrivera‑t‑il? C'est que ceux qui nous entourent nous estimeront d'abord, et nous obéiront et nous aimeront ensuite. Ils auront confiance en nous.

Autrefois, au petit séminaire, j'avais pour professeur M. l'abbé Auger, un saint et un savant. Ce qui m'a frappé le plus en lui, c'est le respect qu'il portait à tous ses élèves, même aux moins intelligents. Il faut, mes amis, que nous aussi nous respections nos élèves, tous ceux qui nous sont confiés. Il n'en est pas de si dépourvu qui n'ait en lui‑même un rayon du bon Dieu. Partez de là, de ce rayon‑là, pour le traiter toujours avec tout le respect convenable. Mais pour agir ainsi, reconnaissez‑le, il faut une dose de bon sens, de jugement qui n'est pas commune. Il ne faut pas mettre à côté, et savoir apprécier la valeur réelle de celui à qui l'on a à faire. Encore une fois, voilà un grand point.

Il faut étendre cette manière de faire à tout ce que nous rencontrons dans la vie, à tout. Nous sommes dans un couvent. Il faut soutenir la supérieure auprès de ses religieuses, et ne pas battre en brèche son autorité. Dans la famille il faut tâcher de donner raison au père et à la mère, ou tout au moins, si la vérité et la justice ne le permettent pas, il faut s'efforcer de les excuser, de les justifier, il faut sauvegarder le respect, sinon toujours toute l'autorité. Encore une fois, en suivant cette règle, on s'attire la confiance, on fait du bien. Mais il faut que la personnalité disparaisse dans le jugement que nous portons. C'est le don de Dieu qu'il faut envisager d'abord. Regardez d'abord cela avant de regarder la personnalité d'un tel ou un tel. Et puis mettez aussi et surtout de côté votre propre personnalité, pour ne voir que l'œuvre divine. Et il faut faire cela partout.

Quand vous êtes ordonné, quand vous recevez le sacerdoce, on vous dit: “Il faut présider”- [“Oportet preesse”]. Mais comment présider? Il faut présider l'âme qui vient se mettre sous votre direction, les affaires de ceux qui vous sont subordonnés, le collège ou la maison dont vous êtes supérieur, les élèves que vous avez en classe. Qu'est‑ce que “présider”? C'est se tenir là en avant, au-dessus, pour regarder, voir, juger, soutenir, défendre. Mais que notre personnalité ne soit pas un étouffoir, ni un éteignoir de la lumière de Dieu, de l'Esprit-Saint qui est dans cette âme. Voilà la condition essentielle pour bien présider. La première conséquence de cette présidence, c'est le respect que nous devons porter à nos confrères, à nos élèves, aux âmes qui viennent à nous. Ainsi, nous préparons des enfants à la première communion. Dans chacune de ces âmes d'enfants il y a un don de Dieu. Respectons‑le. Ce respect que vous aurez témoigné à l'enfant restera dans son souvenir reconnaissant. Il aimera plus tard à se rappeler ce grand jour, car l'impression produite aura été grande et elle subsistera.

Encore une fois, voilà notre méthode d'éducation, notre modus vivendi avec les personnes soumises à quelque titre que ce soit à notre autorité. A l'endroit où finit la capacité du sujet, s'il voit qu'on respecte cette limite, il vous est reconnaissant, il s'attache à vous. Le gouvernement des âmes, ce n'est pas une affaire d'administration qui se traite par le moyen d'un papier plus ou moins officiel: ce sont des âmes, des intelligences, des cœurs. Ce n'est pas parce qu'on a imaginé une industrie, un procédé de perfection, un moyen qu'on croit infaillible, que tout ira bien. Pour construire une maison, il faut prendre les matériaux là où ils sont. C'est avec les âmes que vous avez en main, bien plus qu'avec vos idées et vos industries. C'est en prenant ces âmes comme elles sont, avec le don de Dieu qui est en elles, que vous réussirez. Que chacun se mette donc bien à sa tâche et se dise: “Voilà ce qui est à faire, voilà ce qui m'est marqué, voilà ce qui m'est donné à faire. Et voilà aussi ce que je dois faire faire. Celui à qui je dois le faire faire, je l'aiderai dans ses faiblesses”. Il faut que les Oblats soient des hommes de cœur et de jugement qui sachent se mettre bien en face de ce qui est, en face du but à atteindre. Avec la prière, la réflexion, la prudence on arrive et on fait du bien.