Chapitres pour les Oblats 1873-1899

      

Le supérieur général élu à vie et ses vertus

Chapitre du 12 mai 1897

“L’Institut est gouverné par un supérieur général élu à vie en chapitre général”

Dans les congrégations qu'on établit maintenant, on a peine à obtenir le supérieur général à vie. Lorsque nous sommes allés à Rome présenter la première fois nos Constitutions, nous sommes passés par Turin et nous sommes allés demander conseil à Don Bosco. “Restez avec nous”, dit‑il tout d'abord. — “Cela ne se peut pas”, lui répondis‑je. “Je vais précisément de ce pas demander à Rome l'approbation de nos Constitutions”. Je lui dis quelques mots de notre œuvre et de la mission de la bonne Mère Marie de Sales. “Alors”, reprit‑il, “demandez en premier lieu, et tâchez d'obtenir avant tout, un supérieur général à vie. C'est extrêmement important pour une congrégation naissante. Nous, nous avons eu beaucoup de mal à l'obtenir. Allez trouver tel prélat de ma part. Il plaidera votre cause, il a de l'influence. Il faut tenir à ce point des Constitutions. Quand le supérieur n'est pas élu à vie, cela peut susciter bien des difficultés. Les ambitieux convoitent d'être supérieur général, et cela crée des partis et par conséquent des difficultés très grandes. L'autorité n'est pas affermie comme il faut qu'elle soit. Des fondations peuvent être faites par le supérieur et détruites de son vivant, parce qu'elles n'ont pas été comprises et appréciées à leur valeur. Cette manière de faire ne donne pas à une Congrégation les moyens de se fonder. Elle demeure plus ou moins instable. Demandez à Rome un supérieur à vie et, si vous l'obtenez, vous aurez obtenu beaucoup”.

J'ai suivi le conseil de Don Bosco, et nous n'avons pas obtenu la première fois ce que nous demandions. En présentant de nouveau les Constitutions, nous avons réitéré la demande d'un supérieur général à vie et on nous l'a accordée définitivement.

Pour mon compte personnel, et s'il ne s'était agi que de moi, je ne l'aurais certainement pas demandée. Pourtant il est bien certain qu'on ne trouve jamais que ceux qui vous succèdent font aussi bien que vous. En paradis peut-être on pensera autrement! Je suis convaincu que celui qui me succédera aura les mêmes sentiments que moi, et que, bien que pour son compte personnel il ne tienne pas plus que je ne le fais à la charge de la supériorité,  il reconnaîtra que les inconvénients signalés par Don Bosco sont réels. Don Bosco avait bon jugement, et en plus il avait l'expérience.

“L'élection, présidée avec l'approbation de la Propagande par son Délégué ou par l’Assistant, si Elle le juge à propos, doit toujours se faire à la majorité absolue des voix” (Const., Art. VIII:1; p. 26).

La Propagande peut envoyer un délégué pour présider le chapitre général, ou le laisser présider par l'assistant, à son choix. Celui qui préside doit remplir certaines conditions exigées pour assurer la sincérité et la liberté du vote.

“Outre l'âge compétent, le supérieur devra posséder la science et les vertus nécessaires à son emploi.”
Il faut que le supérieur général soit en mesure de faire face à tous les besoins, de répondre à toutes les questions qu'on lui adresse. Il n'est pourtant pas nécessaire qu'il soit licencié ou docteur. Mais il faut qu'il ait une connaissance suffisante des matières qui lui sont soumises, afin de pouvoir donner son avis, ou trancher les questions, avec l'aide de son conseil, en pleine connaissance de cause. Il lui faut donc non seulement la science théologique — comme tout prêtre sérieux il doit posséder la théologie dogmatique, morale et ascétique —  mais il faut que cette science soit chez lui à un degré suffisant pour qu'il puisse diriger la communauté. Il lui faut évidemment la pleine connaissance des règles de l'Institut. Il faut qu'il connaisse à fond la doctrine de saint François de Sales et celle de la bonne Mère Marie de Sales. S'il est plus ou moins étranger à ces questions‑là, il ne faudrait évidemment pas l'élire. Il ne remplirait pas du tout le but à réaliser. Il n'est pas établi supérieur général des Oblats de saint François de Sales pour faire ce qu'on fait partout. Ce sont les mêmes affaires que partout sans doute, mais ces affaires doivent être souvent traitées différemment et avec des moyens spéciaux. Il faut qu'il soit bien au courant de toutes ces questions qui constituent notre esprit, notre doctrine, nos principes, nos manières de faire à nous, et qui sont pour nous des questions vitales. Il faut qu'il les aime, il faut qu'il en fasse son affaire. Il ne remplirait pas la condition absolument nécessaire pour être élu s'il n'était pas très au courant et très partisan de notre enseignement, de nos œuvres, de nos méthodes et manières de faire. Il faut en effet qu'il puisse diriger la Congrégation dans la voie pour laquelle elle a été fondée.

Il faut au supérieur général un jugement sain. Or le bon jugement n'est pas un don qui soit départi à tous et en qualité et en quantité égales. On peut avoir le jugement très sain sur telle chose et pas sur telle autre. Or il faut au supérieur général des vues droites sur toutes  choses, il faut qu'il n'ait pas d'exagérations dans ses manières de voir, ni de singularités dans ses manières d'agir. Il faut qu'il ait une volonté constante et qu'il ne veuille pas aujourd'hui une chose, et demain une autre. Il ne faut pas qu'il soit ballotté en toute espèce de moyens et d'entreprises: il ne réussirait en aucune. Sa vertu doit être éprouvée. Il ne faut évidemment pas qu'il ait de mauvaises mœurs, ni qu'on ait jamais pu dire quelque chose de sérieux contre lui. Il est bien certain cependant que la réputation de tel ou tel religieux, attaquée faussement, ne constituerait pas un obstacle à son élection, si sa vie est reconnue en réalité exempte de tache.

“Il devra posséder à un certain degré les vertus d'humilité, de douceur et de charité, qui ont brillé particulièrement en saint François de Sales” (Const., Art. VIII:2; p. 29). 

De toutes les vertus, l'humilité est la plus indéfinissable. On ne peut déterminer au juste où elle commence et où elle finit. Quand on a bon jugement, on a toujours l'humilité convenable. On se juge bien soi‑même, à sa véritable valeur, et dès lors on n'est guère porté à l'orgueil. On a des vertus? C'est un effet de la grâce de Dieu, c'est parce qu'on a été prévenu, et tout spécialement préservés et gratifiés. Si Dieu ne nous avait pas soutenus, nous eussions été peut‑être plus mauvais que tout autre. Si nous n'avions pas été entourés, secourus, environnés comme d'une haie préservatrice, nous serions peut‑être tombés plus bas que les autres. Les moyens, l'intelligence dont nous sommes tentés de tirer vanité, n'est‑ce pas Dieu qui les donne, et tout à fait gratuitement? Quand on a du jugement, on voit que si l'on sait beaucoup de choses, il en est beaucoup plus encore que l'on ignore. Un bon moyen de conserver l'humilité, c'est de voir clair, juste, de bien mettre tout à sa place, et de se rappeler toujours que l'homme le plus intelligent, le plus saint, si le bon Dieu ne l'avait pas prévenu et environné, serait peut-être le plus sot et le plus misérable des hommes.

La douceur: cette vertu apprendra au supérieur général à ne pas exiger de qui que ce soit ce qu'il ne peut pas donner, ce qu'il ne peut pas faire. Elle lui apprendra à ne pas mettre un fardeau écrasant sur des épaules trop faibles.

La charité: toutes ces vertus ont brillé tout particulièrement en saint François de Sales. Afin que le supérieur puisse inspirer aux autres ces vertus salésiennes, il faut qu'il les pratique lui-même. De la sorte il conduira facilement les âmes dans cet esprit de saint François de Sales qui doit être le nôtre. I1 faut une grande force d'âme pour pratiquer toutes ces vertus‑là. Il faut abandonner souvent ses idées, ses manières de voir, il faut se mettre de côté pour laisser passer les autres.

Ce qu'il y a à demander surtout au bon Dieu pour les supérieurs, et aussi pour chacun d'entre nous, c'est le jugement: “Donne-moi celle qui partage ton trône, la Sagesse” (Sa 9:4). C’est là la sagesse que demandait Salomon. C'est le jugement qui fait l'homme et lui donne sa valeur réelle. Le bon jugement nous fait bien juger nous‑mêmes et bien juger les autres. Il nous donne l'esprit de douceur, de charité, d'humilité. C'est le vase précieux qui contient tout don de Dieu. Voyez comme saint François de Sales, avec son bon jugement, savait diriger les âmes. Il ne leur faisait pas de grands chapitres sur l'humilité, sur la douceur, mais il s'efforçait d'amener l'âme peu à peu à cette vie de communication intime et constante avec Dieu qui éclaire tout l'homme. C'est à cette lumière qu'il nous appelle, il veut que nous la suivions. C'est dans cette voie qu'il veut nous faire entrer. Dieu fera alors en cette âme devenue docile plus que n'auraient fait les sermons de direction et les exercices des vertus les plus relevées, qui deviennent facilement à charge et rebutent celui qui essaie de les pratiquer ou ceux qu'il trouve sur sa route.

Il y avait un bon et saint professeur de théologie, M. Godot. Il était certainement très bon et foncièrement vertueux. C'est très beau d'être vertueux, assurément, mais le bon M. Godot n'était pas du tout salésien, à tel point qu'il forçait les gens avec qui il était en rapport de dire au bon Dieu: “Mon Dieu, faites-moi la grâce de ne pas me mettre en paradis à côté de M. Godot”. Il était vertueux donc, il était humble, mais il était terriblement ennuyeux et exerçant. Il faisait son oraison et ne voulait pas être dérangé. Et Jeannette, sa domestique, venait le troubler. “Jeannette, laissez‑moi tranquille”. Elle revient à la charge: “Jeannette, vous m'ennuyez”. Elle revient à la charge: “Jeannette, vous m'ennuyez”. Elle revient une quatrième fois et reçoit un bon soufflet, le bouquet spirituel de l'oraison de M. Godot sur la patience et la douceur. Vous êtes porté à la médisance, vous allez faire votre examen particulier là‑dessus. C'est bon! Faites‑en usage. Mais si vous ne comptez que là‑dessus, vous n'irez pas bien loin. Appliquez‑vous à unir aussi constamment que possible votre volonté à la volonté de Notre‑Seigneur, à aimer ce qu'il aimait, et vous aimerez le prochain, et vous ne médirez plus.

Le supérieur, avec l'avis du conseil général, peut faire des acquisitions, sans l'autorisation du Saint‑Siège. Les biens de la Congrégation sont les biens de l'Eglise. On peut toujours donner des biens à l'Eglise, mais pour aliéner les biens que l'on possède déjà, il faut l'autorisation du Saint‑Siège.