Chapitres pour les Oblats 1873-1899

      

Nos Associationsde saint François de Sales

Chapitre du 20 mai 1896

Aujourd'hui je veux vous parler de nos associations de saint François de Sales. Il faut que ces œuvres que nous établissons soient pour notre sanctification personnelle d'abord, et ensuite pour la sanctification des autres. Et nous devons nous appliquer à nous sanctifier et à sanctifier les autres suivant nos Constitutions, suivant l'esprit de saint François de Sales, suivant sa doctrine, celle de sainte de Chantal, celle de la bonne Mère Marie de Sales, et aussi suivant ce que je vous dis, moi votre père. Voilà quelles doivent être les bases de l'enseignement de la Congrégation. Non seulement il faut que nous connaissions toutes ces choses que nous avons à pratiquer et que nous devons enseigner et faire pratiquer aux autres. Il faut encore que nous nous affectionnions à ces méthodes, à cette manière d'agir qui est la nôtre, qui est exclusivement la nôtre. Ce qui fait que, n'importe où ils soient, les Oblats de saint François de Sales ont un caractère, un cachet particulier qui les distingue de tous les autres.
Les Oblats ne sont pas un ordre religieux avec une manière de vivre extraordinaire; ils sont des prêtres ordinaires, mais qui ont cependant, tout en ressemblant à tous les prêtres, une manière de faire qui leur est spéciale.

Nous avons donc commencé d'établir une Association de saint François de Sales pour les personnes du monde il y a deux ou trois ans. Mgr l'archevêque de Paris l'a approuvée: on a obtenu des indulgences. Cette Association est donc bien dans les voies canoniques. Nous allons voir en quoi elle consiste et ce qu'elle demande à ses associés. Disons d'abord que notre Association de saint François de Sales n'est pas la seule de ce genre, et qu'elle n'est pas la seule qui prenne ce vocable de saint François de Sales. Il y a 15 ou 18 ans, M. l'abbé Chaumont, ancien secrétaire de Mgr de Ségur, a institué une association de prêtres et aussi de dames du monde sous le vocable de saint François de Sales: les Prêtres de saint François de Sales et les Filles et les Sœurs de saint François de Sales. M. Chaumont était d'abord venu à Troyes voir la bonne Mère et lui exposer ses idées et lui demander s'il devait se faire Oblat. “Non”, lui répondit‑elle, “il vaut mieux suivre vos idées et réaliser vos projets. Ce sera une très bonne chose. Vous ne seriez pas à votre place chez les Oblats. Votre place est de suivre ce que le bon Dieu vous a donné”. Voilà ce que la bonne Mère lui a répondu. M. Chaumont a fait ce que la bonne Mère lui avait dit. Il a institué d'abord sa Société de Dames. Il trouve une personne du monde, très pieuse, dont il a écrit la vie: Mme Carré de Malberg. Beaucoup de personnes sont entrées dans cette Société.

J'assistais à Paris à l'une des premières réunions de ces Dames. M. Chaumont m'avait invité. Ces Dames faisaient leurs coulpes. Une grande Dame, marquise ou duchesse, était à côté de sa domestique. Après leurs coulpes, M. Chaumont donna pour pénitence à la marquise de recevoir un soufflet donné par sa domestique. Je trouvai cela très édifiant, mais bien un peu extraordinaire. Je me disais: “Il me semble que saint François de Sales n'aurait pas agi ainsi. Il aimait tant le respect, la charité, la cordialité, il voulait tant que chacun demeurât à sa place et qu'on gardât les distances établies par la condition sociale”. Et puis, il me semble encore que saint François de Sales n'aurait pas aimé ces pénitences étranges: recevoir un soufflet. Il aimait tant ce qui est simple, droit, à propos, ce qui est convenable, ce qui est conforme aux différentes situations, et surtout conforme, je le répète, à la charité.

La Société de M. Chaumont pour les Dames du monde, et la Société pour les Prêtres sont très répandues. Ces deux associations font certainement beaucoup de bien. (Du reste ce que chacun fait, il pense toujours que c'est meilleur que ce que fait un autre.) Je crois donc que notre association de saint François de Sales, bien conçue dans l'esprit de saint François de Sales, fera beaucoup de bien elle aussi, mais je ne dis pas, remarquez‑le bien, qu'elle se répandra aussi rapidement que l'ont fait les associations de M. Chaumont. Nous enseignons à nos associés la pratique du Directoire, c’est-à-dire le grand et unique moyen d'arriver à l'esprit de saint François de Sales. La bonne Mère me l'avait bien dit quand M. Chaumont vint à Troyes: “Il a son esprit particulier. Il n'entrera pas dans nos pensées, dans nos manières de voir”. La bonne Mère avait raison. Ce n'est pas tout à fait là l'esprit de saint François de Sales. Je ne dis pas cela pour déprécier M. Chaumont et ses œuvres. Non, je le répète, tout cela fait beaucoup de bien. Ce que M. Chaumont a fait, ce qu'il a dit, c'était quelque chose de nouveau; et cela a été approprié au caractère, à la tournure d'esprit de beaucoup d'âmes. On s'est jeté de ce côté-là. Ne comptons pas sans doute, nous Oblats, avoir un grand retentissement. Notre chose est trop simple, trop nette. Elle n'est pas pour monter l'imagination et faire des prosélytes ardents. Mais, appuyés comme nous le sommes sur saint François de Sales et sur son Directoire, nous ferons nous aussi du bien, et un bien très sérieux, très solide et très profond.

Le Directoire pour les Prêtres auquel travaille le P. Pernin va être bientôt terminé. Il ressemble au nôtre, excepté quelques passages composés eux aussi de passages de saint François de Sales. De plus, à chaque article du Directoire, est jointe une explication, pour en faciliter l'intelligence et l'usage. Je pense qu'il paraîtra d'ici peu. M. Nioré, le secrétaire de Mgr de Troyes, est en train de le lire, pour qu'il paraisse avec l'approbation épiscopale. Ce sera une bonne chose. Maintenant, pour les hommes du monde, il faudra faire un Directoire différent. On pourra prendre la matière, ou plutôt les compléments de ce Directoire dans les lettres de saint François de Sales, dans 1'Introduction à la Vie Dévote. Il y aura là d’excellentes choses concernant les hommes du monde et la direction dont ils ont besoin. En ce qui concerne les femmes, les jeunes filles, nous pensons aussi faire un jour quelque chose de particulier. Il y a déjà un petit livre publié par la Visitation de Riom, le Directoire pour les personnes du monde, et revu par le P. Bony. Ce petit volume, je l'ai parcouru il y a quelque temps. Il est bien rédigé et il est rempli d'excellentes choses. Il peut être utilisé déjà avec grand profit pour nos réunions de dames et de jeunes filles. Nous avons déjà ici un certain nombre de prêtres. Le P. Déshairs me parlait d'un groupe qui existe déjà à Paris. Le P. Lebeau d'autre part a établi l'Association en Autriche, et ce sera un grand soutien pour nos Pères allemands.

Dans les réunions de ces diverses catégories des membres de notre Association de saint François de Sales, je vous recommande de ne pas faire autre chose que de prendre le Directoire et de l'expliquer chapitre par chapitre. Faites‑le bien comprendre et goûter. Apprenez à le réaliser dans la vie pratique de tous les jours. N'enseignez que cela. Nous aurons alors une base. Que ceux qui seront chargés de l'Association ne s'attachent pas à leurs propres idées. Vos idées pourront être très bonnes sans doute, mais suivez la méthode que je vous donne. Servez-
vous de votre intelligence, de vos moyens, de vos ressources, puisque le bon Dieu vous les a donnés, mais servez-vous-en dans ce sens‑là. Appuyez‑vous sur le Directoire comme on s'appuie sur un texte de l'Evangile. Et que tout le monde suive bien la même manière de faire, suivant pas à pas et absolument ce petit livre, chapitre par chapitre. Le petit Directoire pour les personnes du monde de la Visitation de Riom commence par la direction d'intention. Il y a ensuite un peu plus loin, pour l'oraison, une méthode très bonne, prise dans les Réponses de sainte de Chantal. Mais à la fin du volume on a mis tout au long l'exercice de la préparation de la journée, de saint François de Sales. Or, mes amis, à toutes les personnes qui viennent à vous pour que vous les conduisiez dans les voies de la vie spirituelle, il faut toujours et avant tout, apprendre à faire la préparation de la journée. L'exercice composé par saint François de Sales est admirable: il y a là tout ce qu'il faut. En ce qui concerne la méditation proprement dite, combien y en a‑t‑il qui la font convenablement? Je voyais ces jours derniers M. de Saint-Pierre, qui est un homme d'esprit fin. Il me disait: “La méditation, c'est bon, mais je ne vois guère de gens qui sachent la faire. En pratique, je crois que l'usage en est fort restreint. L'exercice de la préparation, c'est autre chose. Je comprends cela. Il faut faire faire l'exercice de la préparation aux prêtres comme aux autres”.

Combien de temps faut‑il consacrer à cet exercice de la préparation? Quand on consacre un quart d'heure à l'oraison, on peut prendre sur ce temps cinq minutes pour la préparation et méditer pendant les dix autres minutes. Si l'oraison est d'une demi‑heure, vous pouvez prendre huit ou dix minutes pour la préparation. L'exercice de la préparation est grandement utile au prêtre. Le prêtre est l'homme de Dieu. La vie sacerdotale est toute donnée à Dieu: elle doit être toute pour lui et pour son service. Tout ce que le prêtre a à faire: prières, ministère, travail, repos, récréation, repas, tout cela est quelque chose de sacré. Tout cela doit être bien et surnaturellement fait. Il est donc très utile de le préparer à l'avance. Il est bon de voir en détail chaque matin les moyens à prendre pour faire bien sacerdotalement chaque action, pour éviter les occasions de fautes, pour pratiquer la charité. Il ne faut pas faire cela avec sa tête seulement, comme le marchand qui prépare sa vente. Il faut le faire avec son cœur. De la sorte cet exercice sera très utile et il préparera vraiment la journée.

Si nous nous étions bornés seulement à faire une méditation pieuse sur tel ou tel sujet, sans application vraiment précise et pratique à nos actions quotidiennes, cela ne nous aurait peut-
être pas avancés à grand-chose. Avec la préparation vous vous sanctifierez et vous sanctifierez les autres. Vous aurez préparé à l'avance toutes vos affaires de la journée avec le bon Dieu. Vous le retrouverez à chacune de ces affaires, et chacune vous apportera la grâce spéciale que vous avez demandée le matin. Dans ce petit Directoire pour les personnes du monde, se trouve ensuite indiquée la manière de bien faire chacun des différents exercices de la journée: le moyen de bien entendre la sainte messe, de se préparer aux sacrements. Tout cela est très beau. Sur les vertus à pratiquer, sur les rapports avec le prochain, les conversations, les récréations, les tentations, la tristesse, les consolations spirituelles, il y a des choses exquises. Il y a là un petit traité complet de la vie intérieure pour la sanctification des personnes du monde. Il faut bien l'étudier. Cela peut nous servir grandement dans les retraites et dans la direction des âmes. Il faut nous pénétrer de ce petit livre qui, je le répète, est fort bien fait. Tout cela est la fleur du Directoire, de la Vie Dévote, des sermons et des lettres de saint François de Sales.

Avec cela pour base, dans vos entretiens et instructions, vous aurez un point d'appui sérieux, un axe solide autour duquel vous pourrez vous mouvoir et agir, et vous serez sûrs de ne point dérailler. Je sais bien que cela peut sembler pénible parfois de ne pas pouvoir agir à sa guise, d'entrer dans un engrenage. “Qu'est-ce qu'on peut bien faire ainsi?” On fait énormément de besogne. On m'a dit souvent: “Quand on voit un Oblat on les a vus tous”. Oui, on voit qu'il y a en eux tous une même pensée, une même lumière, une même volonté, une même direction de vie. Il faudra, mes amis, que ce soit toujours comme cela. Appliquons-nous donc à bien étudier et comprendre ce petit livre, à bien en pénétrer chaque mot, chaque expression. Rien n'est plus favorable à l'esprit et au cœur que cette manière de travailler, en ayant ainsi une base, un texte, un point d'appui. Là‑dessus on établit sa thèse, et on n'est pas exposé à s'égarer à côté, à tourner à gauche et à tomber dans le fossé, ou encore à être ennuyeux. Suivez aussi l'ordre marqué dans ce petit livre. Toute la vie chrétienne viendra ainsi, chaque pratique à son rang. La vie chrétienne, c'est une science. La preuve en est qu'à l'heure qu'il est on ne mène plus la vie chrétienne, parce qu'on ne sait même plus ce que c'est que la vie chrétienne.

Un jour les messieurs de la Conférence de Saint Vincent de Paul de Troyes cherchaient quelqu'un pour leur faire une exhortation. Je leur dis: “Prenez donc M. Boulage”. M. Boulage, l'ancien curé de Saint-Pantaléon, monte en chaire et dit: “Mes chers messieurs, je ne vous connais pas, je ne suis ni votre confesseur ni votre curé. Je n'ai pas autorité sur vous, et je ne crois pas avoir par moi-même beaucoup d'influence sur vous. D'autre part, je ne sais pas trop bien parler. Mais j'amène avec moi ici quelqu'un qui sait très bien parler et que vous allez très bien écouter. Il tire de sa poche son Novum Testamentum, prend l'épitre de saint Paul aux Ephésiens et, avec un ou deux chapitres, il fit à ces messieurs une conférence admirable sur les devoirs du chrétien, sur la dignité du chrétien. Tout le monde disait en sortant: “Comme c'est beau d'être chrétien! Il nous l'a si bien expliqué! Je ne l'avais jamais compris comme aujourd'hui!” Et tout le monde était enchanté de M. Boulage. M. Boulage avait sans doute la facilité de la parole et une grande intelligence. Mais s'il n'avait eu l'idée de commenter ce texte de saint Paul, jamais il n'aurait si bien parlé. Voyez comme on est fort avec un texte, avec une parole autorisée, qui sert de base et de fondement à ce que l'on dit soi‑même. Tout le monde l'accepte volontiers. Ce n'est pas une parole humaine, une parole qui n'a qu'une valeur personnelle, c’est vraiment l'écho de la parole divine. Faites comme cela, mes amis. Que celui qui fait une instruction se pénètre de la vérité théologique, de la sainte Ecriture, des Pères. Edifiez sur cette base. Mettez en œuvre les matériaux qui vous sont fournis là. Quand vous vous sentez ainsi appuyés de tous côtés, votre intelligence est dans la lumière: elle est à l'aise. Vous pouvez user de tous vos moyens et donner abondamment.

Comprenons bien que, de nous‑mêmes, nous ne sommes rien. Nos pensées, nos idées ne viennent pas de nous. C'est la résultante d'une lecture que vous aurez faite, d'une parole que vous aurez entendue. Nous sommes des créatures qui reçoivent, qui vivent en suite de l'éducation qu'elles ont reçue. Et cette éducation est plus ou moins étendue  selon la somme de ce que nous avons reçu et emmagasiné. Appuyons‑nous toujours sur quelque chose de solide, sur un enseignement foncièrement sérieux. Ce que nous donnerons, nous aussi, sera sérieux. Ce fonds sur lequel nous nous appuyons, nous le ferons valoir, notre intelligence, notre talent, ainsi soutenus, féconderont le germe reçu et le développeront. A Rome on aime bien le P. Rollin: il fait du bien à la Congrégation. Il est venu ces jours‑ci des dames italiennes qui veulent avoir des Oblates à Pérouse. Il en est venu trois ou quatre; il faut prier pour cette affaire. Le Saint-Père a été longtemps à Pérouse. Ces dames, leurs messieurs vont de temps en temps au Vatican. Le Saint-Père les connaît intimement: il a été leur archevêque. Cette visite qu'elles font aux Oblates, ce qu'elles auront vu et entendu, tout cela sans doute sera redit plus ou moins au Vatican. Priez le bon Dieu qu'il nous donne une bonne inspiration à ce sujet. Priez aussi pour que ces dames emportent une bonne impression et qu'elles la communiquent dans l'entourage du Saint-Père. L'entourage du Saint-Père est en partie de Pérouse. Il use des personnes qu'il connaît et dont il est sûr. A Montevideo on demande un établissement d'Oblats. Mgr l'archevêque y est très favorable. Le P. David va y aller. Le P. Lardon y est déjà confesseur de la Visitation; Mgr. l'archevêque et la supérieure l'aiment bien. La lecture de la Vie de la bonne Mère a donné, m'écrit‑on, un avant-goût de ce que doit être un Oblat et du grand bien qui peut se faire par leur moyen. Toutes les personnes qui ont lu la Vie de la bonne Mère demandent, d'une façon ou de l'autre, selon la situation, de voir des Oblats, d'être en rapport avec les Oblats, de posséder des Oblats. Il est grandement désirable que, le jour où on leur montrera un Oblat, que cet Oblat réalise l'idée qu'on s'est faite de lui en lisant la Vie de la bonne Mère. Faisons grande attention à cela, c'est notre devoir. Ce n'est que comme cela que nous ferons quelque chose.