Chapitres pour les Oblats 1873-1899

      

Le pouvoir de remettre les péchés

Chapitre du 23 janvier 1895

Après le pouvoir de célébrer la messe, l'évêque confère au prêtre le pouvoir de remettre les péchés. Il y a, à ce sujet, une parole de tous les théologiens: le prêtre tient au confessionnal la place de Dieu. C'est là un grand mot: “tenir la place de Dieu”, faire ce que Dieu ferait. Cela exige du prêtre une très grande pureté de conscience, et aussi une très grande sagacité, un bon jugement, afin qu'il puisse diriger ses pénitents dans la voie qui leur convient. Il faut donc que le prêtre soit, non seulement pur, mais aussi instruit. Il faut qu'il ait un jugement sain, qu'il n'agisse pas d'après ses vues propres. La confession est, de tous les ministères, le plus fructueux, mais aussi le plus pénible, car il court le risque de se tromper, de mal diriger les âmes, de suivre sa nature.

Le prêtre doit se conformer exactement à ce que la théologie demande. C'est à lui à voir la portée d'esprit de ses pénitents, à leur indiquer clairement la voie qu'ils doivent suivre. Saint François de Sales donne aux confesseurs d'excellents conseils, mais il parle à une époque où les grands pécheurs venaient encore se confesser. Aussi recommande‑t‑il surtout la douceur et la charité, pour ménager aux pénitents les rigueurs de la confession. De nos jours, on serait peut‑être porté à attacher moins d'importance à ces conseils. N'oublions pas cependant que la charité doit être une vertu principale du confesseur.

C'est surtout dans les confessions de femmes et de jeunes filles qu'il y a du danger pour le prêtre. Le confesseur doit se souvenir qu'il est le représentant de Dieu et qu'il doit, par conséquent, confesser dans toutes les limites de la prudence. Il doit s'élever au‑dessus de lui-
même, afin de donner de sages conseils. Que, dans ses paroles, il n'y ait rien qui sente trop la douceur ou l'affection humaine. “Il faut être père, et non pas mère des pénitents”, dit saint François de Sales. N'oublions pas cette parole.

Il faut aussi que le confesseur soit un homme pieux et un homme de foi: il est obligé de se mettre à la hauteur de sa mission. La sainteté du prêtre doit rayonner sur ses pénitents. “Vous voulez l'or de la divine perfection”, dit saint François de Sales, “allez chez l'orfèvre, chez le prêtre saint, et vous trouverez l'or de la divine charité”. Il faut donc que le prêtre ait de la piété, de la sainteté, pour les communiquer à ses pénitents. Personne ne donne ce qu'il n'a pas. Que le confesseur s'environne donc lui‑même de foi, d'amour de Dieu, en même temps que de circonspection et de prudence, et que, par dessus tout, il évite ce qui est de lui‑même. L'un se dira: “Je suis doux, porté à la miséricorde”. Attention! “Je remplace Dieu, je dois donc renoncer à tout ce qui sent la nature”. Un autre sera personnel, il aura ses idées, sa manière de voir, il voudrait amener tout le monde à juger comme lui. Un autre sera rigoureux, sévère.  Que chacun se corrige donc de cet esprit propre, qu'il agisse avec un grand dégagement de son caractère, de sa personnalité. Toutes les fois que le prêtre agit avec lui‑même, Dieu s'en va.

Le ministère exercé ainsi près des âmes est très productif. Dans le Directoire, saint François de Sales appuie tout particulièrement là-dessus: c'est là le grand moyen de salut pour les âmes. Que signifie maintenant l'omnipotence du confesseur sur ses pénitents? A‑t‑il une autorité pleine et entière sur les personnes qu'il dirige? Le confesseur a le pouvoir de Dieu sur les âmes. Le secret de la confession, c'est de savoir ce que Dieu veut de l'âme. Le rôle du confesseur,  c'est de connaître le mouvement de l'âme et de la diriger dans la voie qui lui convient. C'est plutôt encore laisser agir Dieu, et amener l'âme à cette disposition de laisser agir Dieu, et lui seul. Le confesseur est donc là pour aider et seconder. Mais il n'a pas le droit, par exemple, de dire à une jeune fille dans sa famille: “Vous ferez ceci et cela”. Ce n'est pas son rôle, pas plus que, dans une communauté, il ne peut empiéter sur les droits de la supérieure et s'attribuer un pouvoir absolu sur les religieuses. Pour la communion, par exemple, c'est le confesseur qui a le droit de la permettre. Mais il ne s'ensuit pas, comme certains l'ont prétendu, que les supérieures n'étaient plus rien, et que le confesseur avait tout droit sur les religieuses. C'est une erreur. Le confesseur est le confident du pénitent qui vient lui avouer ses fautes et demander des conseils et des avis, mais il n'est pas, je le répète, le maître de cette âme; il est seulement son aide.

Quand je confessais à la Visitation, jamais la bonne Mère ne donnait à ses religieuses la permission de communier. Toujours elle demandait l'avis du confesseur. Si une sœur voulait se confesser à la bonne Mère en faisant sa reddition de comptes, elle lui disait: “Cela n'est pas de la direction et ne me regarde pas. Allez trouver votre confesseur”. Voilà le sens vrai de la doctrine de l'Eglise.

Une remarque que je tiens à vous faire à ce sujet: c'est de ne pas vous infatuer trop de vos idées et de croire que vous avez la science et la prudence infuses. Vous êtes jeunes, vous voulez telle chose. Vous vieillissez, vous ne voulez plus cela. Vous êtes en rapport de ministère avec une communauté religieuse. Laissez vos idées; avant tout, faites observer la Règle strictement. Si vous faites plus ou moins que la Règle n'exige, vous n'aboutirez à rien. Respectez l'autorité et tâchez de lui donner raison. Unissez et gardez‑vous bien de désunir. Mais surtout agissez en toutes vos actions avec un grand dégagement de vous-mêmes: c'est là la marque à laquelle on doit reconnaître tous les Oblats.

Voyez le P. de la Charie, qui est aumônier de Saint-Charles. Saint-Charles a ses traditions, il a son directeur qui n'est pas le  plus facile des hommes et qui, bien souvent, empiète sur les attributions de l'aumônier. Le P. de la Charie ferme les yeux tant qu'il peut et se dévoue tant qu'il peut pour ses jeunes gens. Aussi, il a acquis une grande autorité sur tous, et Saint- Charles va admirablement. Plusieurs aumôniers étaient passés avant lui, aucun n'avait réussi: ils se butaient. M. Legentil me disait, avant de mourir: “Il n'y avait que les Oblats pour conserver cette œuvre”. Le P. de la Charie en est‑il plus méprisable? Cela l'abaisse‑t‑il devant les autres? Allons, laissons de côté notre personnalité. Faisons bien ce que nous devons faire et avec un grand dégagement de nous‑mêmes. Si nous savons bien dire: “J'ai cela à faire, je le fais de tout mon cœur”, nous ferons bien. Si, au contraire, on veut retrancher telle ou telle chose, ou empiéter ou suivre son idée, on fait de la nullité, et parfois même de la mauvaise besogne. Rien n'est grand, rien n'est parfait comme cette façon d'agir.

Qu'est‑ce qui fait que la bonne Mère avait une si grande influence? C'est cela. Toutes les fois qu'on venait lui demander quelque conseil, avant d'entreprendre quelque chose, elle commençait par se recueillir pour ne pas laisser agir sa personnalité, puis elle répondait, après s'être entretenue secrètement avec le bon Dieu. Eh bien! faisons comme elle, et nous arriverons à une grande sainteté.