Chapitres pour les Oblats 1873-1899

      

Importance et efficacité du pouvoir de bénir

Chapitre du 16 janvier 1895

Dans l'ordination, la première fonction qui est conférée au prêtre est celle de bénir. En général, on ne se fait peut‑être pas une idée assez grande de ce pouvoir de bénir, du bienfait de la bénédiction des personnes et des choses. On ne se rend pas assez compte de ce que c'est, et non seulement parmi les fidèles, mais encore parmi les prêtres et les religieux. Et cependant l'Eglise met cette fonction en première ligne. C'est évidemment qu’elle lui reconnaît une souveraine importance.

Le péché du premier homme a entaché non seulement toute la race humaine, mais toutes les créatures. Le monde a été placé dès lors sous la domination du démon. Tout au moins Dieu n'applique‑t‑il plus sur la création ce regard de complaisance du premier jour. C'est la conséquence de la faute originelle. La rédemption de Jésus-Christ doit s'appliquer au monde matériel comme au monde spirituel: “Ramener toutes choses sous un seul Chef, le Christ”, dit saint Paul, “les êtres célestes comme les terrestres” (Ep 1:10). Cette restauration de toutes les choses créées, c'est au prêtre qu'elle a été confiée. C'est lui qui doit aider la créature à rendre à Dieu ce qu'elle lui doit, à redevenir agréable à ses yeux.

Ce pouvoir du prêtre et cette fonction doivent avoir de grands résultats. Voyez dans la vie des saints, que de fois la bénédiction du prêtre n'a‑t‑elle pas d'admirables effets; que de fois les choses bénites n'opèrent‑elles pas de merveilles! Auparavant, elles étaient sous l'empire du mal; il y avait sur elles comme une espèce de réprobation, fruit du péché originel, que la bénédiction du prêtre neutralise et convertit en sainte et salutaire influence.

L'histoire ecclésiastique est remplie de ces faits, et elle nous montre l'importance que l'Eglise a toujours attachée à ce ministère de bénir. Voyez la pratique de l'Eglise et celle des saints, et comme on bénit, non seulement les aliments, mais les vêtements, les meubles, les maisons, les champs. Du reste, toute cette doctrine de la bénédiction se trouve dans les formules dont se sert la sainte Eglise pour bénir, et surtout dans la bénédiction spéciale, et la plus importante de toutes: la bénédiction de l'eau. Il faut la lire attentivement, pour se bien rendre compte de tous les effets de la bénédiction du prêtre.

Aux premiers siècles de l'Eglise, les fidèles s'envoyaient des eulogies, des agneaux de cire bénits, des médailles aussi. On s'envoyait cela d'ami à ami, d'église à église. On y attachait une grande importance et un souverain respect. L'Eglise a conservé en particulier l'usage du pain bénit distribué aux messes paroissiales à tous les fidèles. Il faut le recevoir avec respect, le regarder comme une safegarde et une bénédiction. Il faut en dire autant de tous les objets auxquels l'Eglise attache sa bénédiction: scapulaires, médailles, croix, chapelets, agnus Dei.

Rendons‑nous bien compte de l'importance de cette grâce, de ce pouvoir de bénir que l'évêque nous confère. Il émane de Dieu sans doute, mais il sort aussi de nous, de nos mains, de notre volonté. Personne ne peut donner ce qu'il n'a pas. Que nos mains soient donc saintes, afin qu'elles soient dignes des bénédictions qu'elles sont appelées à donner, dignes de la sainteté qu'elles doivent conférer. Quelle grande pureté de conscience, quelle grande pureté de mœurs doit avoir le prêtre, bien plus grande que celle qui est exigée des simples fidèles.

Que ce pouvoir de bénir soit pour nous une sauvegarde dans les tentations périlleuses. Que nos mains, notre langue, nos regards soient si saints, que quand nous imposerons les mains, quand nous prononcerons les formules sacrées, quand nous regarderons les objets et les personnes, la réconciliation de la créature avec Dieu soit vraiment réalisée. Voyez, et c'est très remarquable, comme 1'Apôtre saint Paul insiste sur cette réconciliation de la créature avec le Créateur: “Toute la création jusqu’à ce jour gémit en travail d’enfantement” (Rm 8:22).

Usons donc bien de ce premier pouvoir sacerdotal que l'Eglise nous a conféré. Usons‑en pour nous. Bénissons nos repas, nos vêtements, notre lit quand nous nous couchons, les objets qui sont à notre usage. Environnons‑nous de bénédictions, et vivons au milieu des choses bénites, et que nous aurons ainsi restituées au bon Dieu. Il y a là, mes amis, un horizon immense pour le prêtre, une vie toute particulière et favorisée, une heureuse atmosphère dans laquelle le prêtre doit se confiner. Je ne dis rien d'exagéré. Y a‑t‑il autre chose dans la vie des saints? Que faisait notre saint fondateur? N'était‑ce pas cela précisément?

Voilà aussi ce qu'il faut faire comprendre aux fidèles. Sans se rendre bien compte de cette doctrine, n'est‑ce pas là le sens instinctif de la piété des fidèles? Ils ont le respect de la bénédiction du prêtre et la confiance en elle. Une chose bénite ne doit pas, ils le sentent, retourner à des usages absolument mondains. Ils ont une idée assez vraie du bienfait et de l'aide apportés par la bénédiction. Dans votre manière d'être, mes amis, dans vos rapports avec les fidèles, dans les instructions que vous leur donnerez, faites bien comprendre les effets surnaturels de la bénédiction du prêtre, sur les objets et les personnes. Voyez comme, dans les pays de foi, on vient à chaque pas demander la bénédiction du prêtre. En Belgique, tous les petits enfants se mettaient à genoux pour me demander de les bénir. Dans les pays de foi, on sait que la bénédiction aide à remettre les péchés véniels, qu'elle éloigne les démons et les tentations, qu'elle guérit souvent et soulage presque toujours les malades. Pénétrez‑vous bien de ces pensées de foi, et soyez ce que vous devez être pour que vos bénédictions soient plus efficaces, pour que vous puissiez réaliser ce que Notre-Seigneur a dit: “Ils imposeront les mains aux infirmes et ceux-ci seront guéris” (Mc 16:18). Voilà la parole divine qui donne à la bénédiction du prêtre son efficacité.

Le prince de Hohenlohe, qui a été un des amis de la bonne Mère et qui lui a écrit, fut un des thaumaturges les plus admirables de notre temps. Son pouvoir lui venait de la confiance sans limites qu'il avait à l'efficacité de la bénédiction. Le premier miracle qu'il fit fut en faveur d'une jeune fille de ses parentes qui était malade et sans mouvement. Il lui imposa les mains, il usa de la prérogative du prêtre de bénir, et la jeune fille fut guérie et marcha. Dieu permit ce miracle pour récompenser la foi, la confiance du prince. Ayez aussi cette foi, et cela vous rendra bien prêtres, bien religieux. Vous vous sentirez investis de grâces très abondantes, très certaines, dont vous serez les dispensateurs. Ce que vous bénirez avec foi, avec dévotion, sera manifestement sanctifié, et vous utiliserez ainsi votre sacerdoce, vous rendrez à Dieu les choses de Dieu, vous le remettrez dans son domaine. Et vous‑mêmes, au milieu des choses temporelles dont vous usez, et que vous aurez bénites, vous trouverez plus facilement Dieu qui y sera revenu. Vous aurez là le recueillement, l'onction intérieure, une sauvegarde invincible contre les tentations et les difficultés, la force au milieu des fatigues et des découragements de la route. Votre action sur les âmes s'accroîtra ou s'affaiblira en proportion de la croissance ou de l'affaiblissement de votre foi à ces pensées surnaturelles.

Demandez à Dieu, à l'oraison, à la visite au Saint Sacrement, à la sainte messe, de vous renouveler dans la foi et dans les grâces de votre vocation. “Je t’invite à raviver le don spirituel que Dieu a déposé en toi par l’imposition de mes mains”, dit saint Paul à Timothée (2 Tm 1:6).

A Chaource, il y avait un saint prêtre, l'abbé Martinot, un confesseur de la foi pendant la Révolution. Il était en grande vénération et j'ai rencontré bien des gens, et dans ma famille même, qui conservaient précieusement des objets bénits par M. Martinot. On leur attribuait une vertu toute particulière. Exagérait‑on? Je ne sais pas, mais je ne le crois pas. Que les professeurs usent de leur pouvoir sacerdotal; qu'ils bénissent les livres et les cahiers, les leurs et ceux de leurs élèves; que, du fond du cœur, ils bénissent leurs élèves eux-mêmes, en récitant le Veni Sancte Spiritus. Vous verrez, quand vous aurez envoyé par devant votre bénédiction, ce qui vous en reviendra. Vous ferez mieux votre classe. Vos élèves seront plus dociles. Il y aura entre vous et vos élèves une communication réelle, sensible, surnaturelle. Il y aura dans votre bénédiction le pouvoir d'unir, de rapprocher les âmes et les cœurs, de ramener la paix, la joie, la bonne entente. Conservez bien en vous ce pouvoir et usez‑en; pensez‑y souvent, pratiquez‑le sacerdotalement et religieusement.

La mère de M. Olier, alors qu'il était tout petit enfant, l'amena à saint François de Sales, de passage à Lyon. C'était un petit mutin qui causait beaucoup de peine à sa mère et qui avait un caractère intraitable. Elle demanda au saint de le bénir. “Celui‑là sera un grand serviteur de Dieu, dit le saint évêque; il rendra de grands services à l'Eglise”. Et la bénédiction de saint François de Sales changea cet enfant et opéra plus tard les grands effets qu'il avait annoncés.

Dans les familles chrétiennes, c'était une coutume autrefois que les parents bénissent les enfants. Le père mourant bénissait ses enfants agenouillés. Il les bénissait, et les bénit encore dans les pays de foi, la veille de leur première communion. Rien d'important ne s'accomplissait sans la bénédiction des parents, et rien ne donnait plus de dignité et plus de foi à l'autorité paternelle. J'ai vu cela dans mon enfance. Mes bons grands parents donnaient la bénédiction  le soir à leurs petits enfants.

La bonne Mère avait une très grande foi à ces bénédictions du père et de la mère: elle les recommandait. Il faudrait pouvoir ramener les âmes à ce niveau de foi et de grandeur. Ce serait le salut de la famille et de la société. C'est nous qui sommes les dépositaires de ces enseignements de la vérité, c'est à nous à éclairer les intelligences, à apprendre l'usage et les bienfaits de ces prérogatives divines. C'est une cérémonie bien fréquente dans l'Eglise que les bénédictions, que l'usage de ce pouvoir qui nous a été conféré. Que ces pensées que nous avons dites vous reviennent bien souvent à l'esprit et au cœur, que ce soit l'atmosphère de votre vie religieuse.

Que je vous dise, en terminant, qu'à l'occasion de la nouvelle année, nous avons écrit à divers personnages à Rome, et que nous avons reçu de bien bonnes et aimables réponses. Le Cardinal Mazella, qui a approuvé nos Constitutions, le Cardinal Ledokowski, le Préfet de la Propagande, le Cardinal-Vicaire Parocchi, nous ont écrit des lettres bien affectueuses. Mgr  l'archevêque de Lyon nous a envoyé aussi un bon petit mot, qui partait vraiment du cœur. L'archevêque de Sens, l'évêque d'Autun, plusieurs autres, celui de Versailles surtout qui, dans une longue lettre, témoigne tout son dévouement à nous et à nos œuvres. Il nous remercie du bien que nous faisons dans son diocèse. Mais la meilleure de toutes ces lettres, c'est celle du Cardinal de Paris: il nous dit que nos vœux lui sont bien agréables et encore plus nos prières.
Cela vous montre, mes amis, que nous sommes en bonne voie. Voilà comment parlent les chefs des diocèses dans 1esquels nous travaillons; donc, notre travail leur est agréable, puisqu'ils nous le témoignent d'une façon aussi affectueuse.