Chapitres pour les Oblats 1873-1899

      

La messe, notre ministère le plus important

Chapitre du 9 janvier 1895

Dans les derniers chapitres nous nous sommes entretenus de la sainteté du sacerdoce. Le sacerdoce a deux principales fonctions à remplir: le saint sacrifice de la messe à offrir et le sacrement de pénitence à administrer. Deux autres fonctions viennent se rattacher à celles-là: c'est le pouvoir et la mission de bénir les personnes et les objets, et le ministère de la prédication. L'évêque, au commencement de la cérémonie de l'ordination, consacre les mains du prêtre pour qu'elles puissent bénir ensuite et consacrer.

La fonction principale du prêtre est assurément l'offrande du saint sacrifice de la messe. Si les prêtres, quels qu'ils soient, sont obligés de bien célébrer la sainte messe, de s'y préparer soigneusement, l'obligation est assurément plus étroite encore pour nous, religieux, qui devons mener une vie plus parfaite, dont l'âme doit être plus pure, et qui, par conséquent, comme l'enseigne saint Thomas, devons célébrer d'une manière plus agréable à Dieu, à cause de la ressemblance plus grande de notre vie avec celle de Notre-Seigneur.

Nous ne réfléchissons pas assez à cela, que la sainte messe est notre ministère le plus important. Sans doute, on se prépare à l'ordination, mais se rend‑on bien compte en particulier de la grandeur de cette fonction du prêtre, des préliminaires de sainteté qu'il faudrait y apporter? On n'en sait pas bien long, hélas! trop souvent, sur la messe. On sait ses cérémonies plus ou moins bien, on ne pénètre pas assez la grandeur du ministère qu'on va remplir, l'abondance des grâces qu'on peut obtenir. Nous avons bien notre Directoire, sans doute, qui donne une préparation longue, détaillée, une action de grâces non moins minutieuse, dont on peut se servir si l'on y trouve aide et secours. Mais quand pourrons‑nous dire ce que disait saint François de Sales à sainte de Chantal: “Dieu me fait la grâce, aussitôt que j'ai la figure tournée vers l'autel, qu'il ne me vient jamais de pensée étrangère”. Tâchons, nous aussi, de bien jeter là notre âme et notre esprit tout en Dieu, écartons bien les distractions. La bonne Mère recevait ses grandes grâces surtout pendant la sainte messe. Elle en faisait l'exercice principal de sa vie religieuse.

Il serait bien, pour nous instruire, de relire ce que dit saint François de Sales du saint sacrifice de la messe, ce qu'en disent aussi les Pères, les docteurs du moyen âge. Il y a là‑dessus un beau chapitre de l'Imitation, qui expose bien complètement les effets du saint sacrifice et les dispositions que nous devons y apporter. Nous devons avoir tous là‑dessus des pensées bien exactes. Nous devons former notre jugement d'après la pensée des théologiens et des docteurs.

Ce que Notre-Seigneur aime le mieux dans la religion, l'objet de ses préférences, c'est le saint sacrement de l'autel. Un grand nombre de docteurs l'ont appelé 1e vrai paradis où l'on jouit de Notre-Seigneur fait homme. C'est le sacrement de ses délices: Je trouve “mes délices parmi les enfants des hommes” (Pr 8:31). Il s'est fait homme pour nous racheter non seulement une fois, mais continuellement, pour nous donner sans cesse la force et la vie qui nous sont nécessaires.

Dans le ciel, sur la terre, Notre-Seigneur n'a pas d'autre rôle. Où Notre-Seigneur est‑il le plus avec les hommes, où se rapproche‑t‑il le plus de l'homme? N'est‑ce pas dans le saint sacrement? Il s'ensuit que le saint sacrement doit être quelque chose de bien auguste, de bien ineffable, puisque c'est là que la sainte humanité de Notre-Seigneur offre son plus grand sacrifice et apporte le plus d'aide à 1'homme.

Comprenez dès lors quelle est l'importance de la préparation à la sainte messe, quelle dévotion nous devons apporter à la bien célébrer. Puisque Notre-Seigneur prend là ses délices, il faut que nous soyons là mieux que partout ailleurs; il faut que ce soit là notre instant de bonheur, notre moment du ciel sur la terre. Il faut que nos sentiments soient tout à fait conformes aux sentiments du Père et à ceux de Notre-Seigneur. Que ceux qui ne sont pas prêtres envisagent ce bonheur de loin et qu'ils s'y préparent. Il faut, je le répète, se souvenir que le Sauveur met là tous ses délices. Préparez-vous à l'ordination avec une grande dévotion et aussi un peu de science. Il faut lire les traités qui parlent de la sainte Eucharistie, les Saints-Pères, les auteurs ascétiques. Saint Liguori a dit de bien bonnes choses sur la dévotion que l'on doit porter à Notre-Seigneur au saint sacrement.

Il sera bon, dans les oraisons du matin et quand nous serons seuls aux pieds de Notre-Seigneur dans le saint sacrement, d'apporter là notre âme, de demander au bon Dieu la lumière. C'est là surtout que Dieu se révèle à l'âme. Quand on interrogeait saint Thomas d'Aquin, quand on lui demandait quel était le maître qui lui avait enseigné les secrets profonds de la théologie, il répondait: “C'est aux pied du crucifix, c'est aux pied du saint sacrement que j'ai appris tout cela. Dieu a répondu là à mes questions, il m'a donné là la lumière”. Notre-Seigneur fait à ce moment-là ses délices, son paradis d'être avec nous. Que ce ne soit donc pas pour nous un moment de fatigue, de découragement, mais un moment d'adoration. C'est là que nous trouvons Dieu par la visite au saint sacrement, par la sainte communion, par la sainte messe. Vous communiez trois fois la semaine. Si vous êtes un peu plus avancés, vous communiez plus souvent, que ce soit là votre grande préparation à l'ordination sacerdotale.

De même qu'il faut avoir fait des études avant d'entreprendre n'importe quelle carrière, de même qu'on ne peut pas confesser sans savoir sa théologie, on ne peut pas non plus entreprendre de dire un jour la sainte messe sans avoir préparé longuement et suffisamment son cœur et son esprit à cette grande action. De cette sorte, mes amis, vous serez non seulement les sujets, mais les agents efficaces du saint sacrifice. Préparez‑vous surtout dans la sainte communion, dans la visite au saint sacrement. Faites provision de science, d'intelligence sur toutes ces grandes choses de la vie sacerdotale.

Nous ne savons pas bien dire la sainte messe. Priez et vous saurez. Jésus-Christ est la lumière qui “éclaire tout homme venant dans le monde” (Jn 1:9). Pénétrons‑nous de ce qu'a dit saint Liguori, de ce qu'a dit le livre de l'Imitation, de ce qu'ont dit tant d'autres beaux et bons livres. Au séminaire, on nous faisait étudier ce que Thomas à Kempis, le cardinal Bona, saint  Liguori et d'autres encore ont écrit sur ce sujet. Le sacerdoce est un chemin, une course, et l'autel est le but de la course, la borne du chemin. Il faut nous préparer toute  notre vie, afin d'être moins indignes de monter à l'autel. Il faut que la sainte messe soit bien comprise par celui qui la célèbre. C'est comme cela qu'elle sera vraiment le sacrifice du Sauveur, la continuation et la consommation du sacrifice de la croix.

Les bons et saints prêtres disent bien la messe; les fidèles aiment à entendre les messes ainsi dites. Il y a là une atmosphère que l'on ne respire pas partout. Saint Chrysostome disait que le prêtre à l'autel n'est pas seul. Il voyait alentour de lui, quand il célébrait, les anges faisant escorte au Fils de Dieu, comme ils le font au ciel. “Ils sont là, disait‑il, je les ai vus!”. Pénétrons‑nous de cette pensée, afin qu'on ne nous fasse pas le reproche de dire la messe légèrement, sans gravité, trop rapidement. Il est bien certain que s'il reste encore un peu de foi sur la terre, un peu de dévouement et de bien, cela est dû au saint sacrifice de la messe, à la présence réelle de Notre-Seigneur dans la sainte Eucharistie. Sans cela, il y a longtemps que le monde aurait perdu le peu de bon qu'il a.

Je termine en renouvelant mes recommandations. Que ceux qui ne sont pas encore prêtres se préparent longuement, sérieusement, dans toute la conviction de leur âme. Que ceux qui disent la sainte messe renouvellent souvent leurs bonnes dispositions; que la messe ne soit pas un acte isolé, séparé, de leur journée. Soyons à l'autel le matin, et soyons‑y de cœur toute la journée. Que nos pensées, nos affections, s'y reportent sans cesse; que ce soit notre sacrifice de tout le jour, de tout ce que nous aurons pendant la journée à offrir à Dieu et à accepter. Il faut que la messe s'empare de nous, qu'elle nous revête et nous pénètre, qu'elle soit notre nourriture au-dedans et notre vêtement au-dehors, que nos paroles et nos actes en soient vivifiés. La messe seule peut faire de nous de saints religieux. Il y a pas loin d'ici un bien saint prêtre: c'est là sa pratique, la dévotion à la sainte messe. “Je n'ai que la messe”, dit‑il, “je la garde toute la journée”. Il n'est pas chargé de ministère; le souvenir de la messe du matin ou la préparation de celle du lendemain remplissent les vides de sa journée. Que ce soit là surtout la pratique du religieux de saint François de Sales.