Chapitres pour les Oblats 1873-1899

      

Le catéchisme et le sermon

Chapitre du 30 janvier 1895

La quatrième fonction du prêtre, c'est l'enseignement: le catéchisme et le sermon. Pour le catéchisme, il faut faire apprendre le texte du catéchisme mot à mot. Quand les enfants ne savent pas leur catéchisme à la lettre, ils ne savent rien du tout, ils ne se rendent compte de rien du tout. Il faut expliquer ensuite soigneusement chaque mot, en des termes clairs, en se mettant à la portée de l'intelligence des enfants, de façon à être parfaitement compris. Les enfants, souvent, ne comprennent ni les mots du catéchisme, ni les explications données, et ne gardent aucun souvenir de ce qu'on leur a appris. Et pour en avoir la preuve, il n'est pas nécessaire de chercher dans les basses classes de la société, parmi les ouvriers ou les malheureux. Même chez les chrétiens instruits, on trouve des gens qui ne connaissent plus leur catéchisme. Un brave magistrat me demandait un jour: “Si je ne pouvais pas trouver de confesseur à l'heure de ma mort, est‑ce que je pourrais me confesser à ma femme?”

Le président du tribunal d'A., venu à Troyes pour la profession d'une de ses sœurs, tint à me rendre visite. Je le quittai en lui disant que j'allais faire le catéchisme. Il me posa alors trois ou quatre objections qui me montrèrent qu'il ignorait complètement le sens du catéchisme. Un autre, un homme très capable, un ingénieur des mines, avec qui je m'entretenais un jour, me disait: “Je n'aime que tel prédicateur, je ne comprends pas les autres”. Pourquoi cela? Ce prédicateur ne faisait que de belles phrases en chaire, sans portée et sans fonds solide, les autres prêchaient la doctrine. Sorti l'un des premiers de l'école polytechnique, cet homme ne comprenait rien aux éléments de la religion.

Pour l'enseignement du catéchisme, je le répète, il faut faire apprendre à la lettre: de même qu'en théologie, il faut savoir à la lettre les définitions et les raisonnements principaux. C'est le seul moyen de retenir et de posséder quelque chose; autrement, on ne sait rien, tout est confus, vague dans l'esprit. Si les enfants ne peuvent pas encore apprendre le grand catéchisme, qu'ils étudient le petit. Et il faut bien se dire que les enfants ne comprennent pas les mots les plus simples, les plus usuels. Souvent non seulement les enfants, mais les grandes personnes. Un planteur d'Amérique, un chrétien, était partisan de l'esclavage, parce que, me disait‑il, on peut, en occupant ces pauvres hommes, leur donner une instruction religieuse et faire ainsi du bien à leur âme. Il leur faisait le catéchisme, et il me disait : “Ils n'ont pas l'intelligence bien développée, et vous ne sauriez croire la peine que j'ai à leur faire comprendre le catéchisme. Il faut se défier qu'ils ne saisissent pas les choses les plus simples et les plus faciles. Je leur expliquais dernièrement le mystère de la sainte Trinité. Je leur demande: Qu'est‑ce que le Saint-Esprit? L'un d'entre eux, le plus intelligent, me répond: C'est le plus beau des petits pigeons blancs de M. le Planteur”. Il faut expliquer aux enfants chaque mot du catéchisme. Cette méthode pourrait être regardée comme blessante pour des personnes plus âgées; il faudrait alors leur donner des explications moins terre à terre, mais se défier toujours des mots que bien des gens ne comprennent pas parfaitement.

Il est certain que l'on ne peut être sauvé sans connaître les principaux mystères de la religion. Ces mystères demandent à être expliqués aux enfants avec un soin tout particulier; il faut se mettre à leur portée. Je connais un curé très intelligent, bon prédicateur, le curé de M***, qui fait sans cesse son catéchisme avec des considérations telles que ses enfants n'y comprennent rien et ne savent pas un mot de catéchisme. Il ne faut pas faire comme cela. L'enseignement religieux exige, comme tout autre enseignement, que l'on commence par les choses les plus élémentaires. Un moyen d'expliquer le catéchisme aux enfants, c'est de se servir de comparaisons, d'images, d'histoires, qui frappent l'imagination et qui font ainsi comprendre plus facilement. Mais que l'on se rapporte toujours au texte du catéchisme. Il est à remarquer que le catéchisme fait ainsi a beaucoup d'effets. Dans le diocèse de Langres, par exemple, la foi est vivace, parce que le catéchisme est bien enseigné et l'a toujours été.

Passons maintenant au sermon. Pour qu'un sermon porte des fruits, il faut que le prédicateur soit bien compris de son auditoire. Si vous faites un sermon tout dogmatique, soyez certains d'avance que vous ne serez absolument pas compris, à moins que vous ne parliez sur un sujet bien pratique, tel que l'Eucharistie, par exemple. Dans une instruction, il faut toujours donner des explications à la portée des auditeurs. Un des grands torts des prédicateurs de notre siècle, ce fut de faire des sermons sans s'occuper de ceux qui les entendaient. Ils parlaient bien, sans doute, mais s'adressaient à des gens qui ne comprenaient plus bien, même les points les plus importants de la religion. Ils ne pouvaient produire d'heureux résultats.

Notre-Seigneur, prêchant sa doctrine, l'annonçait par des paraboles, des similitudes, et il se faisait comprendre. Une comparaison, une figure, une image, à la portée des gens qui l'entendent, est une excellente manière d'enseigner. Dans les séminaires, au noviciat, on fait faire des sermons: il faut les apprendre par cœur, mais il faudra bien se garder de les prêcher plus tard à de vrais auditoires: personne n'y comprendrait rien.

Comment donc doit‑on prêcher? Tout d'abord, il faut bien étudier son sujet, l'écrire, puis se demander: “Si je m'adresse à des religieux, ou à des prêtres ou à des personnes qui ont de l'instruction, je serai certainement compris. Mais si je donne ce sermon devant le peuple, me comprendra‑t‑on? Non. Pourquoi cela? Parce que les simples fidèles, les ouvriers, ne connaissent même pas les termes dont je me sers. Personne ne les leur a appris”. Alors, reprenez votre affaire et tâchez de mettre ce que vous avez écrit à la portée de tout le monde.

Au dernier Concile du Vatican, on devait traiter de la prédication; on ne l'a pas fait, et Mgr Mermillod disait: “C'est regrettable que le Concile n'ait pu continuer, il y a une grande lacune”. Mgr Mermillod parlait bien, il était goûté et compris de tout le monde, des prêtres et du peuple, et cela, parce qu'il savait parler selon ses auditeurs.

Je reprends. Il faut donc bien préparer son sermon, sa thèse, puis s'attacher à cette thèse, qu'on ne laissera même pas voir. Comme dit Fénelon, dans le corps, on ne voit pas les os, le squelette. Nous aussi, nous habillerons notre thèse, notre squelette. Et avec quoi? Avec des faits, des preuves, des explications tirées de la vie des saints et même de l'histoire. Tous ces exemples mettent les gens à même de vous comprendre, et c'est le voile sous lequel vous leur ferez comprendre la vérité. Maintenant, tout le monde parle: au Sénat, à la Chambre, sur les places publiques, on se fait comprendre. Il n'y a qu'à 1'église où, la plupart du temps, les prédicateurs ne sont pas compris. S'il s'agit d'un sermon extraordinaire, à l'occasion d'une fête par exemple, il faut bien choisir son sujet et toujours tirer quelque conclusion morale. Un jour, à Saint-Pantaléon, on avait invité un de mes anciens condisciples à prêcher. Il a parlé de la vie du saint, a fait mention de l'historique. Son sermon a duré 3/4 d'heure, on l'a bien écouté, mais quel profit en a‑t‑on retiré?

En résumé, pour faire le catéchisme, il faut bien savoir soi‑même  son catéchisme, le faire apprendre à la lettre, en donnant l'explication de chaque mot. Pour le sermon, qu'on le prépare avec soin, qu'on fasse cela théologiquement tout d'abord. Voilà le squelette, le fonds du sermon. Puis, une fois que l'on possède bien sa doctrine, i1 faut habiller ce squelette: c'est la forme du sermon. Cette forme vient du travail personnel du prédicateur. Que chacun de vous ait donc ses cahiers où il consigne tous les faits, les récits, les pensées qui le frappent. Vous lisez un livre, vous trouvez un trait, une citation qui vous intéresse. Mettez cela en note aussitôt. Une idée vous frappe pendant la méditation, ne la laissez pas passer, consignez-la dans votre cahier. Vous aurez ainsi bientôt une foule de notes, sur lesquelles vous travaillerez, et vous acquerrez par là même un fonds d'idées neuves et tout à fait personnelles. Sachez que toutes les fois que vous direz quelque chose de vous, de personnel, que vous n'aurez pas été chercher ailleurs, dans quelque livre, vous serez écouté et goûté. Il faut que vous ayez votre manière de parler. Et, pour cela, il faut que vous ayez vos matériaux, votre arsenal, c’est-à-dire vos notes. C'est un travail qui se fait tous les jours, sans fatigue, et qui, croyez-moi, vous sera d'un grand profit.