Chapitres pour les Oblats 1873-1899

      

Le devoir d’attirer des bonnes vocations

Chapitre du 15 novembre 1893

Parmi tous les devoirs que nous avons à remplir, il y en a un capital, c'est celui d'attirer à nous des vocations. Notre-Seigneur l'a dit aux Apôtres: “Priez donc le Maître de la moisson d’envoyer des ouvriers à sa moisson” (Lc 10:2). Au premier abord, cette demande de prière faite par Notre-Seigneur aux Apôtres paraît singulière. Notre-Seigneur, semble‑t‑il, n'a pas besoin de la recommandation de ses disciples auprès de son Père pour faire arriver des vocations à son œuvre. Il peut bien s'en charger et le faire par lui‑même. Non. Il les en charge! Ces nuances que nous trouvons dans la parole évangélique ont bien leur importance. Il faut nos prières pour que le Maître envoie des ouvriers dans son champ. Un religieux qui ne prie pas pour obtenir des vocations manque à l'un des devoirs essentiels de son état.

Voyez saint  Bernard. A qui l'ordre de Citeaux est‑il redevable de sa merveilleuse extension? À ses prières, à ses efforts multipliés. Il était un jour à Paris, il avait prêché et un grand nombre de jeunes gens des écoles s'étaient décidés à quitter le monde à sa voix. Bernard trouvait qu'ils n'étaient pas assez nombreux encore; il avait espéré en faire une récolte plus fournie encore. Il va s'agenouiller dans l'église de Notre-Dame, il prie, il pleure, il sanglote et crie: “Seigneur, jamais vous ne n'avez été si dur”. Il sort et voilà qu'une bande de jeunes gens le viennent rejoindre et lui demandent de les emmener.

Tous les grands ordres ne font-ils pas cela? Les Jésuites s'efforcent d'avoir des recrues, autant qu'ils peuvent. Je voyageais un jour avec un de leurs novices. Il m'a fait l'éloge de la Compagnie depuis Troyes jusqu'à Nancy. Il était dans l'enthousiasme; il me racontait des choses merveilleuses. Il avait un petit livre de méditations de saint Ignace, avec un petit règlement au bout. Il n'y avait rien de pareil au monde, c'était admirable, ravissant! Ayons un peu de cette ardeur, de ce zèle. C'est un devoir pour nous. Il faut le comprendre, ce devoir, il faut nous en pénétrer. Que ce soit un sentiment intime et profond, et non une obéissance d'un moment. Ne marchons pas par suite d'un coup de sifflet, d'un mot d'ordre. Ce qui fait le zèle, ce n'est pas ce que nous entendons dire aux autres, c'est ce que nous nous disons à nous- mêmes.

Souvent pendant l'oraison mentale, à la sainte messe, remercions le bon Dieu des grâces qu'il nous a faites en nous appelant et demandons de faire partager cette grâce à beaucoup d'autres. Y a‑t‑il une grâce comparable à celle de la vocation? Mais qu'est‑ce que cette grâce‑là que d'être Oblat? Il n'y a rien dans cette vie‑là. C'est précisément parce qu'il n'y a rien d'extraordinaire, d'excessif que c'est quelque chose, et quelque chose de bien bon et de bien vrai. La doctrine de saint François de Sales, celle de la bonne Mère Marie de Sales signifient pourtant quelque chose. Avec ce que m'a dit le Pape, on peut être en assurance sur la portée des actes de notre vie religieuse: “Tous ceux qui travailleront avec vous feront personnellement ce que Dieu veut d'eux”. Vous voyez que cette parole n'était pas personnellement pour moi.

Notre règle religieuse, c'est un jalon planté au bord du chemin. Un jalon, ce n'est pas grand- chose, mais cela dit où il faut passer, et cela le dit mieux que ne le ferait un grand orateur. Avec nos Constitutions et notre obéissance, nous sommes assurés de faire personnellement la volonté de Dieu sur nous. Réfléchissons aux grandes grâces que nous avons reçues, pénétrons‑nous-en de plus en plus, et ayons un peu de zèle pour le salut et la vocation des autres. Appelons‑les à nous, tâchons de nous les attirer. Efforçons-nous de les avoir à la façon de saint Bernard, en priant et suppliant: c'est la première et meilleure manière.

Vous remarquez que tous ceux d'entre vous qui ont attiré des vocations à la Congrégation ont reçu de Dieu des bénédictions particulières, ils ont été favorisés de Dieu d'une façon vraiment extraordinaire, et pour leur intérieur, et aussi pour faire du bien aux âmes, pour les toucher et les gagner dans la prédication et dans les diverses œuvres auxquelles les appelle l'obéissance. Si nous n'avons pas la facilité, par nos rapports personnels, d'amener des vocations; si les moyens extérieurs ne sont pas entre nos mains, priez. Demandez au bon Dieu de vous donner des âmes, et ces âmes vous viendront de loin: elles rendront gloire à Dieu pour vous. Elles seront votre mérite, votre appoint pour obtenir les récompenses de Dieu. Que chacun se regarde donc comme obligé de recruter des vocations: “Priez donc le Maître de la moisson” (Lc 15:5).

La meilleure manière d'attirer à nous les âmes, à notre vie, c'est de leur faire sentir et comprendre cela surtout par notre exemple. Soyons religieux, et de bons religieux et, comme l'aimant, nous attirerons les âmes. J'étais petit enfant, j'arrivais au séminaire, je cherchais un confesseur. Je ne me suis jamais trompé et j'allais toujours au plus pieux, au plus régulier, à celui qui m'inspirait le plus de respect. Je me rappelle que nous avions un maître d'études, M. Bidaut, qui n'était pas encore prêtre. Je lui demandai s'il était ordonné. “Pourquoi me faites‑vous cette question?” — “Parce que j'aimerais bien me confesser à vous”. Sa piété, son air profondément saint, avaient gagné ma confiance d'enfant. Le prêtre qui médite souvent sur sa sublime vocation, qui se pénètre bien de toutes les grâces qu'il a reçues de Dieu attire bien vite les âmes . “Une fois élevé de terre, j’attirerai tous les hommes à moi” (Jn 12:32)

Cette réflexion est bien importante. Voilà que nos œuvres s'étendent et nous ne sommes pas assez nombreux. De tous côtés, on réclame des sujets, les besoins sont urgents. Tous nos Pères qui nous écrivent des missions nous disent: “Envoyez‑nous du monde, mais des vrais religieux, des saints religieux”. Pour envoyer de saints religieux, il faut qu'il y ait des religieux et qu'il y ait des saints. Pour faire un saint, il ne suffit pas de prendre du plâtre, de le délayer et de le jeter dans un moule: c'est plus difficile. Pénétrons‑nous donc bien de la grande grâce que nous avons d'être Oblats, et tâchez de faire participer beaucoup d'autres à cette grâce. Si vous êtes de bons Oblats, je puis bien vous promettre toutes les grâces du bon Dieu et une bonne place au paradis. Le Pape me l'a affirmé et répété plusieurs fois, et voilà la millième fois que je vous le redis. Ne vivons pas comme des gens du dehors, en l'air, dissipés et sans réflexion et dont la vie se répand sur mille riens: “Rentrez en vous-mêmes” (Is 46:8). Revenez à votre point de départ. Vous êtes religieux, cela doit être tout pour vous. Le reste peut vous occuper, mais cela ne doit pas être la substance de votre vie où rayonneront votre cœur et votre volonté.

Le P. Dalbanne vient d'aller faire la retraite au pensionnat de Paris. On m'écrit qu'on a été bien content des instructions de la retraite. On les a écoutées avec beaucoup de recueillement. Je demande au P. Dalbanne: “Avez‑vous bien prêché?”— “Comme j'ai pu. Une chose”, ajoute‑t‑il, “à laquelle je n'aurais guère cru jusque-là, c'est que j'ai parlé à cet auditoire de petites filles de la vie intérieure, de Notre-Seigneur, “la voie, la vérité et la vie” et j'ai vu tous les regards briller, toutes les figures s'animer. On comprenait que c'était là la vraie vie et le bonheur”. Toute prédication qui s'inspirera ainsi de l'esprit de la Congrégation et de la bonne Mère, toute parole qui ira dans ce sens‑là sera écoutée, goûtée et profitera.

Le P. Tissot disait: “Depuis le temps que je prêche, je devenais un vieux rabâcheur. J'avais besoin d'être refondu. Depuis que je prêche la bonne Mère, je suis rajeuni, tout mon auditoire me dit qu'il est ravi, et je crois que je fais un peu de bien”. La bonne Mère nous appartient, à nous. Faisons aussi valoir notre trésor; comprenons‑en la richesse; mettons‑nous‑y et étudions‑la bien. Ceux qui ne trouveront pas qu'il y ait à remercier le bon Dieu de cela diront: “Mon Dieu , je vous remercie. Je ne sais pas trop de quoi, mais on m'a dit de vous remercier. Faites‑moi la grâce de comprendre, et fortifiez le désir que j'ai de devenir de plus en plus un bon Oblat”.

Je vous engage à employer, pour recruter des religieux, un moyen très efficace, c'est l'intercession des âmes du purgatoire. Priez-les de nous envoyer du renfort, de faire tomber les difficultés de ceux qui désirent nous venir et de nous recruter de bons soldats pour les combats du Seigneur. On nous demande des Oblats de tous côtés, plus que jamais. La Vie de la bonne Mère se répand; on connaît et on apprécie notre esprit et continuellement on réclame des sujets et des fondations. J'ai le regret d'être obligé de répondre à tout instant que nous ne pouvons pas, que nous n'avons pas le monde voulu.

Il y a une chose que je me reproche. J'en dis ma coulpe et j'en fais publiquement mon mea culpa. Je ne me suis pas assez occupé jusqu'ici de cette question‑là, du recrutement des vocations. Je n'ai pas assez remercié le bon Dieu de toutes les grâces qu'il nous avait faites. Ce que je n'ai pas assez fait jusqu'ici, je veux le faire mieux. Et c'est pour cela que je vous le prêche aujourd'hui. Je ne veux pas me mettre dans le cas du serviteur qui avait caché son talent dans son mouchoir, pour ne pas le perdre, et qui l'avait enterré au fond du jardin en disant: “Il est difficile de faire fructifier ce talent! On ne sait pas comment cela peut tourner. Je risque de le perdre. Je vais l'enfouir dans un trou”. “Serviteur mauvais” (Lc 19:22), lui répond le bon Dieu. Il ne faut pas que nous soyons des serviteurs mauvais.