Chapitres pour les Oblats 1873-1899

      

Fidélité à nos obligations

Chapitre du 25 octobre 1893

On nous fait un reproche probablement mérité, le reproche de ne pas être uniformes dans notre conduite extérieure; et les divergences dans les manières de faire, d'agir s'accentuent assez nettement depuis quelques temps. Il est inévitable, notre nombre s'augmentant, que quelques particularités se produisent. Remédions-y, et le moyen, c'est que chaque maison se range absolument à la pratique très exacte des Constitutions. Le supérieur de chaque maison ne doit rien changer, rien innover sans la permission du supérieur général. Toutes les questions d'ordre général, le lever, le coucher, les heures des repas, le temps de la récréation, les occupations spéciales, la manière de faire la classe, de présider à l'étude, les programmes d'étude, tout cela a été résolu, fixé et déterminé par avance et il ne faut y rien changer sans la permission des supérieurs.

Il est un mot que nous n'avions pas mis dans nos projets de Constitutions primitifs et que l'on a rajouté à Rome, c'est qu'il faut faire tout ce que nous faisons dans l'esprit de saint François de Sales. Voyez comme les Visitandines ont bien gardé l'esprit de saint François de Sales. Les Visitandines sont partout les mêmes; leurs règlements, leurs habitudes, toutes les grandes lignes et même tous les petits détails de leur vie sont les mêmes partout. C'est une admirable précaution qu'a prise saint François de Sales en les instituant et les saints écrits de la Visitation donnent la règle et la direction pour chaque chose, pour chaque moment, pour chaque personne. Sans doute il est moins facile de préciser ainsi chaque détail avec l'homme. Néanmoins approchons-nous-en le plus possible. Nos Constitutions sont formelles et claires; efforçons‑nous toujours de nous y conformer autant que possible.

Voilà pour la règle extérieure. Quant à la règle intérieure, l'obligation est plus stricte encore. Celle‑là n'admet jamais qu'on ne s'en tienne qu'aux grandes lignes. Il ne faut jamais y déroger en quoi que ce soit: l'oraison, la direction d'intention, les pensées de la mort et du réfectoire. Soyons‑y toujours extrêmement fidèles. Conformons‑nous bien à tous ces moyens extérieurs qui nous sont donnés. Fondons‑nous là‑dessus et nous serons établis solidement; tout marchera par un seul mouvement, tout ira bien par conséquent. S'il y avait plusieurs mouvements, cela pourrait bien s'arrêter un jour ou l'autre. Prêtez-vous-y bien. Soyez exacts aux heures du lever, du coucher, du travail, de la récréation. Faites bien cela tous ensemble. Ayez bien l'extérieur de la vie religieuse. C'est une habitude à prendre, et cela coûte par conséquent. Il faut un effort continu de bonne volonté et d'abnégation. Soyons fidèles à l'habitude générale et non aux habitudes de chacun en particulier. C'est là notre mortification, notre cilice, notre haire, notre jeûne.

Aucun ordre religieux ancien n'existe sans qu'il ait de nombreuses pénitences corporelles. Saint François de Sales lui‑même pratiquait la mortification corporelle: il se donnait la discipline, il couchait souvent sur la dure. Notre première mortification à nous sera de nous imposer cet esprit de renoncement et d'abnégation et d'accepter tout en esprit de pénitence: vêtements, nourriture, obéissance constante et cordiale. C'est ainsi que nous serons religieux et que nous irons au ciel. Nous n'irons pas par un autre chemin. Pour cela sans doute il faut une grande énergie, il faut une grâce particulière. Nous l'aurons, cette grâce, pourvu que nous nous rappelions que c'est là notre pénitence à nous, notre vie religieuse.

Et voilà comment saint François de Sales a fait preuve d'une grande sagesse en ouvrant ainsi cette voie, où il ne pousse pas aux grandes mortifications corporelles, qui ne sont pas à la portée de toutes les âmes, mais à cette mortification de tous les instants qui est si efficace, si féconde que, constamment pratiquée, elle façonne l'âme et la vie d'une façon très remarquable et met une uniformité très visible dans les caractères, dans les manières de voir et de penser. On peut être tenté quelquefois par le désir de s'adonner à des pénitences plus considérables. Cela paraît plus méritoire, plus fécond, mais rencontrera‑t‑on toujours un supérieur, un directeur capable de vous conduire, sans se tromper jamais, dans des voies si difficiles et délicates, où l'amour-propre, pour ne parler que de lui, sait si merveilleusement cacher son jeu? Saint François de Sales a prévenu de bien graves inconvénients, en préférant s'en tenir à une règle générale plus douce, plus simple, mais à la portée de tous et que tous doivent s'appliquer à observer avec la plus grande ponctualité. Quand est‑ce qu'une armée marche bien? C'est quand 10.000 hommes, quand 50.000 hommes marchent au pas ensemble. S'ils ne marchent pas ensemble, c'est une troupe mal disciplinée et de laquelle on ne fera pas grand-chose.

Que chaque supérieur de maison pense à ce que nous venons de dire et fasse bien observer chaque point des Constitutions, et que chaque profès, que chaque novice comprenne bien que c'est un point de la dernière importance. Priez bien pour que tout le monde comprenne cela. Nous n'avons pas de pratiques bien particulières et spéciales. Nous marchons dans la grande voie de l'Evangile et des lois ecclésiastiques. A première vue, nos pratiques religieuses paraissent peu de chose. Ce que nous faisons cependant sera très considérable si nous sommes fidèles à porter le joug du Seigneur, c’est-à-dire à accomplir de tout notre cœur, à l'intérieur notre Directoire, à l'extérieur nos Constitutions. Cet assujettissement a pour effet de donner une grande énergie à l'âme. Voyez ce qu'on fait avec le caoutchouc comprimé, resserré. Il acquiert une force considérable. Laissez‑le à lui‑même, se détendre et se dissoudre, et il perdra toute élasticité, toute force de résistance. Il faut que le religieux soit sous le joug. Toutes les fois qu'il a quelque chose à supporter de la part du prochain, toutes les fois qu'il a à faire un acte de générosité, un sacrifice, il est à sa place, il doit être là! S'il veut chercher une fausse liberté qui ne compte avec rien, qui s'effraie et se rebute à la moindre contradiction, qui s'irrite à la moindre difficulté, qui se décourage et s'abat, qu'est-il alors? Il n'est plus religieux!

Marchons bien religieusement dans ce chemin, apportons au bon Dieu, faisons quelque chose pour lui. Il est bon de se rapprocher de lui, de l'avoir près de soi dans tout ce que l'on a à faire. Il est bon d'aller prendre dans le bon Dieu tout ce dont nous avons besoin. Nous n'avons pas de santé, nous n'avons pas assez d'intelligence pour notre emploi, nous avons telle ou telle difficulté de caractère, telle difficulté pour enseigner: allons prendre en Notre-Seigneur ce qu'il nous faut. Et nous aurons ensuite ce qu'il nous faut si nous nous sommes bien tenus auprès de lui. Rappelez‑vous la parole de Notre-Seigneur: “Je suis la vigne; vous, les sarments. ...Hors de moi vous ne pouvez rien faire” (Jn 15:15) Qui est-ce qui taille la vigne du Père céleste? qui est‑ce qui en ôte les efflorescences hâtives et surabondantes, et par conséquent dommageables? Le Père lui-même se charge de l’ébourgeonner, afin qu’elle porte plus de fruit (Cf. Jn 15:2).

Pénétrez-vous bien de cette doctrine et qu'elle devienne le vrai fonds de votre vie, qu'elle en devienne la substance. Cette manière d'être, religieuse et solide, fera de nous des hommes bien établis, généreux. Nous ne ferons pas beaucoup de bruit peut-être, mais nous ferons beaucoup de besogne. Les autres hommes peuvent compter sur leur courage, peut‑être sur leurs forces; nous qui n'avons par nous‑mêmes ni courage ni force, nous irons chercher notre force en Dieu. Sachons bien puiser à cette source, sachons nous laisser remplir et animer par la sève de vie qui nous arrive de là. Que ce soient là nos résolutions de la fête de la Toussaint: rester unis au bon Dieu comme les saints lui sont unis dans le ciel. Ils sont unis à Dieu par le fonds de leur volonté. La gloire de Dieu qui se déverse sur eux par suite de sa bonté ineffable se répand dans leurs âmes et fait leur bonheur et leur joie toute l'éternité.

Commençons ce bonheur sur la terre en vivant dans l'union avec Dieu, en travaillant avec lui. Demandons cette grâce-là aux saints ses amis et les nôtres; invoquons ceux qui sont plus particulièrement nos protecteurs: saint François de Sales, sainte Jeanne de Chantal, la bonne Mère, nos anges protecteurs. Demandons-leur d'être bien établis et fermes dans ces idées. Je vous le disais la dernière fois. Que ces choses‑là soient pour vous des perles précieuses. C'est là votre obligation, c'est là votre vie. Il faut traiter vos Constitutions, votre Directoire avec respect, avec attention, avec le sentiment de leur valeur. Faites volontiers votre oraison là‑dessus tous ces jours‑ci. Le bon Dieu vous donnera la lumière. Ce n'est pas la peine, mes amis, que nous nous usions dans la fatigue et le travail pour les autres, sans rien mériter pour nous. Nous donnons nos fruits au prochain, gardons‑en un peu pour nous.

Le moyen le meilleur pour en arriver là, c'est de faire ce que je dis là. Traitons toutes nos obligations, grandes et petites, et même les plus minimes dans cette volonté de réaliser les intentions divines sur nous. Rappelez‑vous cela particulièrement à la sainte messe. Que chacun demande cette grâce pour soi et le bon Dieu, notre Père, nous donnera ce que nous lui demandons, comme cadeau de fête de tous les saints, de cette fête qui est aussi un peu la nôtre, puisque nous sommes destinés à le devenir.