Chapitres pour les Oblats 1873-1899

      

L’idée exacte de l’Oblat

Chapitre du 10 mai 1893

Je demande à tous nos Pères de bien prier pour le recrutement de la Congrégation. Il faut que nous ayons des sujets en nombre suffisant, et surtout en qualité suffisante. Au saint sacrifice de la messe, dans nos communions, demandons bien cela au bon Dieu. C'est une recommandation de votre supérieur, suivez‑la bien ponctuellement et à la lettre.

Je reprends encore et toujours ce que je disais l'autre jour, que pour se faire une idée exacte de l’Oblat de saint François de Sales il faut le considérer comme un homme qui se doit à Dieu et qui se donne à Dieu, en observant sa Règle, en étant fidèle à l'obéissance à laquelle il s'est voué. L’Oblat de saint François de Sales n'a pas au‑dehors la protection qu'ont les membres des grands ordres, les Jésuites, les Dominicains, les Franciscains. Il agit plutôt individuellement. Et l'acte qu'il fait, toutes les fois qu'il n'est pas complètement dans la volonté de Dieu, qu'il n'est pas entièrement dépendant de Dieu, que c'est l'acte purement de l'homme dans l'esprit et la pensée de saint François de Sales, cet acte est regardé à peu près comme stérile en résultats surnaturels.

Chaque Oblat de saint François de Sales doit être à lui‑même sa propre communauté: i1 doit vivre au‑dedans de lui‑même. Il doit avoir là, au‑dedans, la  constance, la fidélité, l'amour de Dieu qui lui sont nécessaires pour conserver, et développer les grâces de sa vocation, les obligations de l'obéissance. Voilà le vrai sens de votre vocation. Voulez‑vous pratiquer cette obéissance, non seulement à l'extérieur, mais à l'intérieur? Votre volonté s'attache‑t‑elle fidèlement et avec amour à tout ce qui est marqué, tout ce qui est indiqué, à bien faire tout ce que commande le supérieur? C'est bon, vous avez la vocation, sinon, je vous dirai: Vous n'avez pas la vocation pour être Oblat. Une autre Congrégation pourrait peut-être vous convenir, mais pas la nôtre. Je ne veux pas prétendre que les Oblats soient tout ce qu'il y a de meilleur au monde, mais je prétends que les Oblats ne sont pas comme les autres religieux. L'Oblat se voue à la pratique constante de la volonté de Dieu; il se voue aussi à la doctrine de saint François de Sales. Dans les diverses opinions théologiques, il embrasse et il soutient celles qu'a soutenues saint François de Sales.

A ce propos d'opinions théologiques, il faut bien comprendre l'esprit de la bonne Mère et celui de saint François de Sales. Un de nos Pères a rencontré l'autre jour le P. Tissot et a discuté avec lui sur l'esprit de la bonne Mère et sur sa doctrine que ce bon Père prêche tant qu'il peut. Le P. Tissot veut que le fondement, le principe de la doctrine de la bonne Mère et tout son développement même soit uniquement résident dans la miséricorde infinie de Dieu. C'est là toute la voie: une charité nouvelle, immense qui vient saisir les âmes. Il ne faut pas trop regarder, ajoute le P. Tissot, la manière dont l'âme y répond. La fidélité ne doit être envisagée que bien secondairement, tant la miséricorde est gratuite et agit indépendamment de notre fidélité. La voie est presque donc toute du côté de Dieu, du coté de cette miséricorde qui se manifeste tellement ample qu'elle saisit l'âme même au milieu de ses infidélités. Sans doute la miséricorde de Dieu est toute gratuite, mais il faut bien néanmoins dans la conception de la voie, telle que l'envisageait la bonne Mère, faire  à côté de la miséricorde divine, la place aussi à la fidélité humaine. Cette miséricorde de Dieu ne s'exercera, le plus souvent, qu'à condition de rencontrer la fidélité.

Il faut appuyer, en prêchant la voie, tout autant sur le côté de l'homme que sur le côté de Dieu, tout autant sur la nécessité de la fidélité, que sur la gratuité de la miséricorde. La voie, dans la pensée de la bonne Mère, n'est pas une chose toute mystique, toute extraordinaire. Non, si elle a pour premier fondement l'appel tout gratuit de Dieu miséricordieux, elle a pour second fondement, une fidélité entière, aimante, filiale.

Attachons‑nous donc à cette fidélité absolue que nous demande le Directoire. Pourquoi? Je le répète, parce que nous n'avons pas l'entraînement qu'ont d'autres religieux. Nous ne sommes pas garantis, protégés, comme on peut l'être dans d'autres congrégations. La nature de nos obligations, de nos fonctions ne nous fait pas dépendre à tout instant et en toute chose de ce que font les autres membres de la communauté. Pour être Oblat, il faut remplir personnellement les obligations de l'Oblat, et chacune avec la plus grande exactitude. Si l'on met dix ans, vingt ans pour être un bon Oblat, ce n'est pas trop. La bonne Mère me disait qu'il faudrait trente ans pour faire un bon Oblat. On n'y arrive qu'à force de travail sur soi‑même, de fidélité au Directoire, à l'obéissance dans chacun des emplois qui nous sont confiés. J'ai déjà dit tout cela 7 ou 8 fois, je le redirai encore. L'oncle Fleury répétait sans cesse: “Dieu est fidèle; il ne peut ni se tromper, ni nous tromper”. Cette parole sans cesse redite restait. Elle faisait le fond et la base de l'éducation des enfants qui l'entendaient. Que cette conviction de la nécessité de notre fidélité soit aussi notre fond, notre base. Ayons à part nous tout ce qu'il faut pour répondre à Dieu, non pas à peu près, mais avec une grande exactitude, avec une grande ponctualité.

Comprenez bien que la vie des Oblats est plus intérieure qu'extérieure. Ce qui dirige l'extérieur de l'Oblat, c'est la volonté intérieure. L'Oblat est essentiellement un homme d'intérieur, d'oraison, de prière, vivant en la présence de Dieu et pour Dieu. S'il ne prie pas,  s'il n'est pas un homme intérieur, il ne pourra jamais remplir ses obligations, il fera tout mal.

Ceci dit d'une  manière générale, voyons nos obligations en particulier. L'Oblat a des vœux religieux, les vœux de pauvreté, de chasteté et d'obéissance. Quelle doit être l'obéissance de l'Oblat? Ce n'est pas celle du Jésuite, l’obéissance d’un cadavre. Non. L'Oblat est un homme vivant quand il obéit. Il le fait dans la plénitude de ses facultés, de sa volonté, de sa vie. Il n'est pas un cadavre, il ne s'anéantit pas pour obéir, il n'a pas à lutter, à vaincre, à surmonter d'insurmontables difficultés. Le Jésuite donne l'obéissance du soldat. Il est soldat, il part, cela lui est égal, il va et anéantit toute pensée propre, toute volonté propre. Quand l'Oblat obéit, il n'anéantit rien, il apporte sa volonté, il la met en avant et s'en sert pour mieux obéir. Il apporte son cœur, il n'est pas comme un homme mort, mais comme un homme vivant, qui fait à Dieu l'oblation et le sacrifice de sa volonté, comme le faisait Notre-Seigneur. Il s'offre toujours quant et lui, autant que lui, de la même façon que lui.

“Mais ce sont des finesses que vous nous dites là!” —  “Pas du tout”. Comprenez combien notre obéissance a de mérites, combien elle peut avoir de puissance sur le cœur de Dieu, quand elle est là toute entière et toute vivante, quand la volonté humaine l'entoure et l'accentue. C'est là la doctrine de l'obéissance, telle que l'enseigne saint François de Sales. Que fait saint François de Sales? Par quels exercices veut-il conduire l'âme à cette vie d'union avec Dieu, à cet amour de complaisance qui est le but de notre vie religieuse? Par l'obéissance d'abord. Une obéissance est donnée. Elle n'est pas agréable, elle déplaît à notre caractère, à nos sentiments, elle nous est à charge de toute façon. Comment nous soumettre? Par l'intermédiaire de Notre-Seigneur. Unissons notre volonté à la sienne. “Vous le voulez, Seigneur? Moi aussi”: «Entre tes mains je remets mon esprit»” (Lc 23:46). “Tout réclame en moi? Je vous donne tout, Seigneur; je me rends votre esclave, non, pas votre esclave, mais l'ami de votre cœur. C'est Dieu qui me parle dans l'obéissance. C'est une bénédiction que je reçois, que vous m'aidez à recevoir. Je veux la recueillir avec respect avec amour”. Et alors, mes amis, nous aimons l'obéissance donnée, et nous aimons celui qui nous la donne. Notre vie est une vie de charité et d'union à Dieu, nous sommes unis avec nos frères, nous sommes unis avec notre supérieur. Dans l'obéissance telle que nous devons la pratiquer, nous sommes aussi obligés de nous affectionner au supérieur, que nous devons nous affectionner à l'obéissance elle‑même. On manquerait à son vœu, on serait en contradiction directe avec l'esprit dans lequel on doit le faire, si l'on n'observait pas ce point essentiel. Voilà notre doctrine.

L'obéissance ainsi pratiquée n'est pas une servitude. C'est l'exercice le plus noble, le plus généreux de notre volonté. C'est comme cela qu'obéissent les anges, les plus parfaites des créatures. L'obéissance n'est pas pénible aux anges. Nous ne sommes pas des anges, mais nous devons viser à cette obéissance‑là. C'est le but et l'esprit de notre Institut. Que chacun de nous soit donc bien attentif à remplir dans cet esprit toutes les fonctions dont il est chargé: professorat, surveillances, travaux du saint ministère, travaux manuels. Dans tous les rapports avec les enfants et jeunes gens, qu'on suive exactement, ponctuellement ce qui est marqué, les recommandations que l'obéissance a faites. Ne vous permettez jamais la moindre défection dans l'obéissance. Soyez si bien unis au bon Dieu qu'il n'intervienne jamais de faute volontaire dans votre obéissance, ou bien alors réparez‑la de suite.

J'apprends quelquefois que quelqu'un de vous s'est un peu laissé aller à l'impatience avec les enfants, qu'il leur a donné une tape, un soufflet, dans un mouvement de vivacité. C'est bien défendu par la Règle des Oblats, et c'est bien défendu aussi par les lois civiles, et les conséquences les plus graves peuvent en résulter. Cela peut aller jusqu'à la prison. Et à l'heure qu'il est, il est bien des gens qui seraient heureux de faire arriver pareille éventualité. Il y a autour de nous tant de gens mal disposés et qui jugent de tout d'une façon fâcheuse. En faisant ce que je vous ai dit, en vous appuyant bien sur les principes que j'ai exposés, il est certain que vous éviterez beaucoup de sottises et que vous réussirez dans ce que vous ferez. Ce que je vous ai dit en dernier lieu ne s'applique pas évidemment à tout le monde, c'est une remarque que j'ai faite quelquefois.

Mettez‑vous donc bien tous à l'obéissance telle que nous avons dit. Prenons garde de ne pas faire de fautes à ce sujet. S'il arrive que nous en fassions quelqu'une, hâtons‑nous de la réparer. Ne nous attendons pas du reste à ce que tout aille toujours parfaitement: “Fils, si tu prétends servir le Seigneur, prépare-toi à l’épreuve” (Si 2:1). Nous prendrons cela pour nous. Façonnons‑nous donc bien à cette obéissance toute libre, toute spontanée, toute généreuse, qui obéit par amour et pour plaire à Dieu et à Notre-Seigneur, en pliant sa volonté, en unissant cette volonté à celle du supérieur. En obéissant ainsi, on centuple ses forces. Que chacun de nous examine bien, qu'il voie bien. Le temps passe vite. Le temps que nous devions bien employer et que nous avons perdu ne revient plus, mettez‑vous de suite à la besogne. Appliquez‑vous bien tous, et faites un exercice particulier de 1'obéissance, de l'obéissance complète, généreuse, cordiale, de la vraie obéissance de l'Oblat de saint François de Sales. Retenons bien cela, et nous serons bien fondés dans l'esprit de l'Institut.