Chapitres pour les Oblats 1873-1899

      

C’est notre volonté qui fait notre valeur

Chapitre du 3 mai 1893

Nous allons commencer aujourd'hui un changement que je crois utile. Après le Chapitre des profès, les novices viendront assister à l'instruction. En effet, on ne connaît pas assez les novices. Puisqu'un jour la communauté sera appelée à donner son sentiment sur eux, il est bon qu’elle les voie et les connaisse. Nous pourrons le faire à ces réunions, comme aussi dans les rapports que nous pourrons avoir pendant la journée avec ceux qui ont des classes à faire ou des emplois au collège. Ce sera donc comme un rapprochement de la communauté.

Je vous recommande instamment à ce propos de bien édifier les novices. En effet, qu'est‑ce qui fait le novice? C'est le noviciat. Si l'on n'édifie pas les novices, le noviciat lui-même ne sera pas édifiant. Ils seront des novices médiocres qui feront par suite des profès médiocres. Il faut que le novice trouve, auprès de chaque profès, un modèle d'exactitude, de charité, de ferveur. Il faut qu'il puisse le regarder comme un modèle et commencer à prendre, en l’imitant, la marche qu’il aura à suivre plus tard. Si, au contraire, le contact a lieu avec des profès qui ne sont pas encore bien forts, bien nourris de la vraie doctrine, il s'en suivra des défaillances fâcheuses qu'il faut bien éviter.

Il est bien important que tous les membres de la Congrégation se sanctifient et qu’on puisse me dire, comme on l'a fait souvent du reste: “Tous les Oblats se ressemblent”. Il faudrait surtout qu'on puisse me dire: “Tous les Oblats sont des saints!” Nous sommes en effet tous appelés à le devenir, et nous ne pourrons vraiment faire quelque chose qu'en étant des saints. Nous n'avons pas une organisation sociale qui nous permette de briller, et nous ne pouvons pas encore briller par nos œuvres. La Congrégation ne vaut donc que par la valeur personnelle de ses membres, et par leur sainteté.

(Après l'entrée des novices)

Mes amis, il faut bien comprendre ce que c'est qu'un Oblat. Il ne faut pas croire que c'est quelque chose de facile à faire. Saint François de Sales disait à sainte Jeanne de Chantal qui lui demandait de former des prêtres à son esprit: “Je n’ai pu en former qu'un et demi dans toute ma vie. En général”, ajoutait‑il, “les prêtres sont trop raisonneurs, ils ne sont pas assez soumis et ne se rangent pas assez facilement aux idées qu'on veut leur donner”. C'était dans le dessein de fonder des Oblats qu'il avait établi la sainte Maison de Thonon. C’était pour réunir des prêtres qui devaient vivre suivant une règle et un esprit qu'il devait leur donner. Il recula devant la difficulté.

Quel est donc le moyen de former des prêtres? Chez les Jésuites, on enrégimente son monde, on donne aux novices une grande estime de la Compagnie; ils se nourrissent et se fortifient de cette estime. Ce sont là des ressources puissantes et bonnes. Je suis loin de blâmer cela. Mais un Oblat, d'après la Constitution même, ne doit pas faire cela, parce que notre manière d'agir sera toujours extrêmement personnelle. Ce que le Jésuite trouve dans la Compagnie, nous devons le trouver en nous-même.

Je reviens sur ce principe. Un Oblat n'est pas, dans le vrai sens du mot, un “religieux”. C'est un homme qui dans toutes ses actions, dans tous les moments de sa journée, s'offre continuellement à Dieu et vit de lui. “Ut Deo oblati sitis”, dit‑on au jour de la Profession C'est là son mobile. Soyons donc à chaque instant sous la main de Dieu, affermissons‑nous dans cette volonté, voulons ce que Dieu veut, et alors nous agirons dans l'esprit de l’Oblat.

Maintenant, sachant ce que vous devez faire, si vous voyez votre voisin qui ne suit pas bien sa Règle, qu'est‑ce que cela vous fait? Ne l'imitez pas et cherchez en vous ce qui vous suffit. Non en lui, à moins que vous ne soyez chargé de lui, que vous ne soyez son maître des novices. Je pose toujours en effet pour principe que l'Oblat n'est pas le Jésuite, qu'il n'est pas un congréganiste. Notre mérite ne consiste pas dans ce que les autres font ou ne font pas, mais dans ce que chacun de nous fait lui‑même, en se donnant à Dieu entièrement, tel qu'il est. On ne perd pas son temps en faisant cela. J’insiste beaucoup là‑dessus parce que c’est la pensée mère de saint François de Sales, c'est toute la doctrine de la bonne Mère Marie de Sales.

Retenez bien cela afin que vous deveniez de bons Oblats. A propos, je vais faire une recommandation. Un Oblat manque au silence. J'aimerais presque mieux le voir voler! En effet, pour quelqu'un qui s'est donné à Dieu pour tous les instants de sa vie, c'est une grande imperfection, et grande dans ses conséquences. Je ne veux pas dire que vous fassiez par là un péché mortel. Mais vous faites plus qu'un péché, vous faites une faute, un malheur. Un péché se pardonne et se répare, une faute ne se répare pas, elle laisse toujours quelque chose. Est‑ce possible de ne pas manquer au silence? Au séminaire, nous étions 18 dans notre classe. Excepté deux ou trois qui n'avaient pas la vocation et qui ne sont pas restés, personne ne manquait au silence. On fait avec cela des prêtres fervents, pieux, sérieux, faisant du bien. Tous mes condisciples ont été ainsi. Pourquoi? Je n'hésite pas à le dire: parce qu'ils étaient silencieux. Evitez bien ainsi tous les petits manquements à la Règle, les fautes contre la charité, les petits tours qui dénotent la légèreté de celui qui les commet.

Je le répète en terminant: ce qui fait notre valeur, c'est notre propre volonté. Nous ne sommes pas des esclaves, nous ne sommes pas enrégimentés. Nous sommes des gens qui se sont donnés à Dieu. Nous avons entre les mains le Directoire, les Constitutions. Nous n'avons qu'à les suivre. Si nous faisions bien cela, le maître des novices, le supérieur n'auraient alors plus rien à faire, sinon à les observer eux‑mêmes. Cette manière de pratiquer la Règle en conservant notre individualité nous donnera une grande force, et chacun de nous aura le mérite de ses vertus.