Chapitres pour les Oblats 1873-1899

      

L’avent

Chapitre du 13 décembre 1892

Nous sommes dans le temps de l'avent. C'est le temps de préparer nos âmes à la venue du Sauveur. C'est le temps aussi de nous instruire de bien des choses. L'avent a toujours été comme croissant, se développant, se précisant dans ses enseignements, depuis la révélation d'Adam jusqu'au chant des anges sur le berceau du Sauveur. La lumière apportée par le Verbe, même avant sa venue au monde, a toujours été s'agrandissant, et ira toujours progressant jusqu'à la fin du monde. Voyez comme de temps à autre la doctrine s'affermit, se développe, avec les décrets des conciles et des Souverains Pontifes. Le dogme prend son extension; il est plus largement connu. Les missionnaires le portent à toutes les extrémités de la terre. Les Instituts religieux ont reçu eux aussi la mission de sauver le monde; ils sont en quelque façon une extension réelle du Verbe de Dieu. C'est la parole de Dieu qu'ils sèment, “jusqu’à ce que le Christ soit formé” en nous (Ga 4:19). C'est comme le perfectionnement de Jésus-Christ, le plein achèvement de son œuvre.

Chaque ordre religieux est venu à son époque perfectionner manifestement l’œuvre de Dieu. Les Oblats ont leur tâche eux aussi. La bonne Mère disait souvent qu'ils étaient établis pour manifester, pour étendre l'application aux âmes des mérites de Jésus-Christ, pour que le bon Dieu soit mieux compris et mieux aimé. Nous ne sommes pas religieux pour nous‑mêmes, mais pour la sainte Eglise, pour manifester davantage l'action du Sauveur, sa lumière, ses grâces. La bonne Mère disait que le Sauveur voulait encore manifester sa charité au monde sous des aspects nouveaux, plus étendus. Il est le Sauveur du monde et il veut l'être de plus en plus; il veut manifester plus intimement encore les grâces de sa Rédemption. Il veut se servir de nous pour cette œuvre. Il faut donc que nous nous sanctifiions, que nous nous perfectionnions afin d'arriver au but qui nous est proposé: appliquer Notre-Seigneur aux âmes qui nous sont confiées, d'une manière bien plus étendue et plus intime.

Voyez les Règles des premiers ordres religieux. Elles étaient beaucoup plus larges, les prescriptions étaient bien moins définies. On ne touchait pour ainsi dire qu'aux gros points, aux devoirs essentiels, aux grandes lignes. Le reste est laissé à l'initiative privée. Voyez ensuite les Règles des Pères Jésuites, voyez la nôtre. Elles sont manifestement plus complètes. C'est à nous maintenant à l'observer, et c'est une mission extrêmement sérieuse pour nous. Nous avons pour devoir de faire connaître davantage Notre-Seigneur, de l'introduire davantage dans la vie intime de chaque homme, dans la vie de la famille, et plus tard, si le bon Dieu le permet, dans la vie de la société. C'est une application des mérites de Jésus-Christ manifestement plus étendue et nouvelle. Il faut que nous ayons bien le sentiment de la dignité et de la grandeur de notre mission. Il faut que nous soyons grandement respectueux de nos moindres observances. Isaïe disait aux prêtres: “Purifiez-vous, vous qui portez les objets de Yahvé” (Is 52:11). À plus forte raison devons-nous être purs et fidèles, nous qui ne portons pas seulement les vases et les ustensiles sacrés ou le tabernacle du Seigneur, mais qui devons porter aux autres, donner et communiquer le Seigneur lui‑même. Nous entrons ainsi comme moyens agissants dans l'économie de la Rédemption. C'est tellement vrai que voyez comme à chaque instant l'Evangile, Notre-Seigneur, parlent de l'arrivée future du règne de Dieu: “Que ton Règne vienne” (Mt 6:10). Il doit donc venir plus complet qu'il n'est, il doit se manifester plus amplement par de nouveaux moyens, par de nouvelles grâces. Voilà à quoi vous êtes appelés en ce moment‑ci; voilà de quoi nous sommes chargés.

Et voyez encore comme tout concourt à nous affirmer notre mission. Malgré toutes les difficultés qu'on a pu avoir à Rome de comprendre et de saisir parfaitement les pensées de la bonne Mère, malgré son langage aux expressions un peu fortes, où il n'y a pas grande littérature, où la parole avait grand peine parfois à rendre la pensée — et la bonne Mère se plaignait souvent de ne pouvoir trouver d'expression assez juste pour rendre sa pensée — malgré le peu de science de la bonne Mère, et le manque d'études suffisantes pour qu'elle pût bien se rendre compte de la valeur exacte des mots; malgré tout cela, voilà que Rome accepte ses lettres, qu'elle les approuve. Je reviens souvent sur les mêmes choses, mes amis, mais c'est que ce sont de bonnes choses, des choses fondamentales. La parole que me disait le secrétaire de la Propagande est bien vraie: “Vous n'avez pas idée de ce que produira dans le monde la Mère Marie de Sales, vous ne pouvez pas vous le figurer”. Oui, mes amis, ce sera un grand pas fait dans l'avènement du Règne de Dieu.

Rattachez‑vous donc bien à cet esprit en tout ce que vous ferez, dans votre conduite particulière, dans la direction des âmes, dans la prédication, dans l'instruction. C'est notre base et notre point d'appui. Et de la sorte, tout ce que nous dirons, tout ce que nous ferons, contribuera à faire arriver le règne de Dieu dans notre âme et dans l'âme des autres. Le temps de l'avent est le temps des grandes grâces, des grandes lumières. C'était toujours un temps bien délicieux pour moi, à cause de ce que la bonne Mère me communiquait alors. Je comprenais mieux, je voyais mieux ce qu'elle était. Tout son temps de l'avent se passait dans l'attente prochaine de la venue du Sauveur, dans la préparation à l'avènement de son règne. C'était Noël qui se préparait pour son âme et pour les âmes qui l'approchaient.

Soyez très dévots à cette extension du royaume de Dieu dans les âmes, qui consiste moins en paroles qu'en actes personnels. C'est bien la doctrine de la sainte Eglise: “jusqu’à ce que  le Christ soit formé en vous” (Ga 4:19) C'est l'ouvrage que nous avons à faire en nous et dans les âmes. Mettre là l'image et la ressemblance de Notre-Seigneur. Demandez bien cette lumière‑là au bon Dieu pendant le temps de l'Avent, demandez-le dans vos messes, vos communions, vos oraisons: “Que ton Règne vienne” (Mt 6:10). Que nous servions à l'extension du règne de Dieu dans la mesure de ce que Dieu demande de nous. La bonne Mère me le répétait souvent: “Cette voie est établie pour amener un très grand nombre d'âmes, et d'une façon très sûre et très pratique, à de grandes grâces du Sauveur, au vrai bonheur. Et c'est ainsi que le Sauveur sera glorifié”. Elle me disait là-dessus des choses magnifiques. Et les communications intimes du Père et du Fils au sujet de ces grâces. Quand ces grâces sont répandues dans le cœur des hommes, il y a comme un écho en Dieu, écho d'amour et de joie. Notre fidélité à marcher dans la voie, résultat de l'appel intime et de la grâce de Dieu, a donc elle-même d'autres bien admirables résultats, et en nous et dans les âmes , et dans le cœur de Dieu lui‑même. Si le bon Dieu vous en donne la lumière pour méditer ces grandes pensées, nourrissez‑vous en: c’est notre “pain quotidien”- [“panem supersubstantialem”] (Mt 6:11).

Et demandez à la bonne Mère de vous donner beaucoup de ces avents, comme ceux que Dieu lui faisait passer.