Chapitres pour les Oblats 1873-1899

      

Faire tout passionnément bien

Chapitre du 7 décembre 1892

Nous voilà arrivés à la fin de l'explication du Directoire, qui est intitulé “Directoire spirituel des Oblats de saint François de Sales pour les actions journalières”. Je crois qu'il est bon d'ajouter un chapitre pour le Directoire extérieur. Il ne suffit pas en effet de pratiquer le Directoire intérieur avec perfection; il faut aussi que cette perfection se manifeste à 1'extérieur. Saint François de Sales dit que les religieux doivent tout faire passionnément bien. Nous devons donc ajouter cela à toutes nos actions. C'est là un grand et important enseignement. Non seulement cette manière de faire aura ses avantages pour le bien général de la communauté, mais elle en aura de très grands aussi pour chacun de nous en particulier. Rien n'attache mieux à ce que l'on fait que de le faire bien. Ce que nous aimons à faire, nous le faisons bien, et la preuve que nous aimons bien alors ce que nous faisons, c'est précisément que nous le faisons bien.

Aimons donc à bien faire ce que nous prescrit l'obéissance, ayons soin d'y bien apporter notre cœur, notre intelligence, notre bonne volonté et non seulement nous emploierons les moyens de la Providence que nous avons reçus naturellement, mais nous y ajouterons les moyens de la grâce, qui agira avec d'autant plus d'intensité que nous serons plus fidèles à travailler dans ce sens‑là. La grâce ajoute beaucoup en effet aux facultés naturelles. Les enfants qui ont reçu et gardé la grâce du baptême ont une intelligence plus ouverte. Ils apprennent mieux, ils comprennent mieux. On peut remarquer combien l'intelligence baisse chez les populations où le baptême est négligé. Sans doute Dieu récompense toujours le travail quel qu'il soit, car le travail est en lui‑même une chose bonne, même chez les méchants. Le travail attire toujours des grâces matérielles. Mais quand, à cette force que le travail a par lui‑même, vient se joindre la grâce surnaturelle de Dieu, tout est rendu meilleur et plus facile. Et on peut dire que, à dose égale d'intelligence, ceux qui ont reçu la grâce du baptême et qui en font usage arrivent à des résultats bien supérieurs.

Il y aura une grâce attachée à l'emploi que nous donne l'obéissance, si nous savons y mettre tout notre cœur, toute notre volonté, toute notre ferveur. Bien certainement nos forces seront augmentées. À nos forces naturelles viendra s'ajouter la force d'en-haut, et nous ferons beaucoup mieux. Voilà pourquoi le religieux réussit si facilement partout quand il est bon religieux. Quel que soit l'emploi où nous sommes, appliquons‑nous donc à le bien remplir. Cela nous procurera une existence heureuse et calme; cela entretiendra en nous non seulement la vie surnaturelle, mais encore la vie intellectuelle et naturelle. Faisons nos classes avec toute la perfection dont nous sommes capables, c'est le seul moyen de les bien faire. La mesure du cœur que nous y mettrons sera la mesure de notre réussite auprès des élèves. Si nous mettons peu de cœur à nous occuper d'eux ils en mettront peu à nous écouter, et recevront peu de nous. Si nous en mettons beaucoup, ils en recevront beaucoup. Apportons donc une grande attention pour que tout soit bien dit et bien fait.

Que chaque partie de notre enseignement, que chaque exercice de notre emploi soit bien préparé; qu'il soit médité avec toute la perfection dont nous sommes capables. Vous avez une surveillance? Qu'elle ne soit pas seulement matérielle; occupez‑vous de vos enfants, mettez‑les sous la garde de Dieu, recommandez-les à leurs bons anges. Dieu et les bons anges vous aideront. Faisons bien toutes ces choses selon la volonté de Dieu, selon la volonté de notre supérieur et selon la volonté de la sainte Eglise, qui désire qu'il y ait de saints religieux pour élever et former des enfants parfaitement chrétiens. Agissez de même si vous avez quelque emploi matériel, une charge à l'économat, etc.. Un religieux qui fait passionnément bien les choses de l'obéissance reçoit de bien grandes grâces du bon Dieu. Outre les grâces générales, il en reçoit de bien particulières. Ceci se faisait sentir d'une façon bien particulière, quand l'univers était chrétien, quand les couvents peuplaient la chrétienté. Dieu bénissait les travaux de ses religieux et de ses enfants; il y marquait le cachet de son inspiration.

Voyez, comme dans les vieilles abbayes, tout était marqué de l'empreinte de la sainteté, de cet esprit de Dieu que l'on ne retrouve plus ailleurs à un pareil degré. Voyez pour l'architecture: ce que l'on faisait alors surpasse de beaucoup ce que l'on essaie maintenant. Comparez la cathédrale de Troyes à une église gothique moderne, à Sainte-Clotilde par exemple. On ne retrouve plus ce cachet de religion et de génie qu'avaient imprimé les ouvriers chrétiens. Les Grecs avaient le sentiment du beau. Leurs colonnes, leurs temples avaient une beauté caractéristique que les Romains eux‑mêmes n'ont pas su retrouver. Ils sont loin du sentiment religieux, de l'impression intime que produit sur 1'âme la vue de nos monuments du Moyen Age.

Pour en revenir à mon sujet, c'est donc un devoir pour tout religieux de travailler de tout son cœur à ce qu'il a à faire, de le faire passionnément bien; c'est le seul et infaillible moyen de bien réussir.