Chapitres pour les Oblats 1873-1899

      

“Ne demandez rien et ne refusez rien”

Chapitre du 30 novembre 1892

“Qu'ils se montrent très affectionnés, autant que la Constitution le permet, à ce document, qui est d’un prix inestimable: Ne demandez rien et ne refusez rien, mais qu’ils se tiennent disposés pour faire et souffrir tout ce qui leur arrivera de la part de Dieu, et de la sainte obéissance” (Dir., Art. XVIII, p. 138).

C'est avec ce moyen que saint François de Sales s'est sanctifié. Ne rien demander, ne rien refuser, cela exige déjà une certaine perfection, car il faut pour cela s'en remettre complètement à la volonté de Dieu, être entièrement dans la main de sa Providence. Il est bien entendu cependant que si quelqu'un est malade, s'il a besoin de quelque chose, si cela est nécessaire, ou s'il doit en retirer un avantage sérieux, non seulement on peut demander au supérieur, ou à qui de droit, mais c'est parfois un devoir de le faire. Par exemple, on vous donne une charge, un emploi, acceptez-le de 1a main de Dieu. Si cependant vous reconnaissez, si vous constatez votre incapacité absolue de le bien remplir, dites-le simplement et franchement. Mais après cela remettez‑vous-en simplement à l'obéissance. Vous aurez fait votre devoir, le reste ne sera plus votre affaire. Vous ferez de votre mieux, et vous n'aurez rien à vous reprocher.

Ce document est d'un prix inestimable. En effet, renoncer à notre volonté est souvent plus difficile que de jeûner au pain et à l'eau. Souvent à la sainte messe, il faut faire de ces renoncements à soi‑même, à sa propre volonté. C'est cela du reste qui doit être le but de nos travaux. La sainteté de tous les saints en arrive toujours là. Saint François d'Assise, saint Bruno, saint Dominique, saint Ignace, par des chemins différents, en sont arrivés là et ont cherché à y conduire leurs religieux. Les moyens sont diffèrent, mais le but, le résultat est le même. Saint François de Sales nous conduit à ce but par un chemin très court. Appliquez‑vous à soumettre en toute occasion votre volonté à celle de Dieu, et vous aurez atteint le but bien plus facilement et plus vite que par de longues prières, par des jeûnes et des austérités.

Nous n'avons aucun doute à avoir sur la sûreté de la doctrine de saint François de Sales et de la bonne Mère. Rome a confirmé maintes fois la vérité de ces enseignements. Que ce soit là le fondement de notre vie spirituelle. Cette disposition‑là vivifie tous nos actes et les rend méritoires pour la vie éternelle. Attachons-y une grande importance et occupons-nous-en dans notre oraison du matin. Souvent nous ne savons que dire à Dieu, pensons alors à notre journée, offrons à Dieu tout ce que nous prévoyons devoir nous arriver, tout ce que nous aurons à faire, disant: “Mon Dieu, je vous l'offre maintenant, car je n'y penserai peut‑être pas dans le moment”. A ce propos, je vous recommande bien aussi cette pratique de saint François de Sales de dire la messe avec Notre-Seigneur. Disons‑lui que nous sommes pour le moment ses ministres, son cœur, ses bras, que c'est par nous qu'il agit et que pour cela, par son union avec nous, il nous communique sa grâce, qu'il supplée à nos imperfections et à notre faiblesse, qu'il excuse nos petites fautes dans les cérémonies et notre indignité. Je vous assure, nous y serons grandement aidés, grandement soutenus. Nous sentirons que notre âme n'est point abandonnée à elle‑même, n'est pas seule. C'est un moyen efficace de conserver en nous la pensée de Dieu et d'obtenir notre union avec lui.

“Cela nourrira en eux la sainte paix et tranquillité de coeur qui leur a été si
souvent recommandée” (Dir., Art. XVIII, p. 138).

Oui, cela entretiendra la tranquillité de notre cœur et la paix de notre âme. Nous sommes sûrs de notre voie, sûrs que nous sommes les enfants de Dieu, que nous avons été choisis par lui, et que ce que nous faisons dans ce sens lui est agréable. Marchons donc ainsi, respirant “l’agréable odeur” (Gn 8:21) et nous serons encouragés dans nos difficultés. Nous ne devons jamais nous plaindre. A ce propos, et à propos de ce que disait T*** dans sa lettre “qu'il n'aimait pas le gouvernement des femmes", je veux vous prémunir contre un danger autrement plus sérieux. Ne craignons pas tant d'être gouvernés par des femmes que d'avoir nous‑mêmes des manières féminines. Soyons hommes. N'allons pas à propos de tout, d'ordination, de déplacement, de mille petits détails, établir des caquetages, comme le font certaines femmes. C'est humiliant pour un homme. Ayons le cœur plus généreux. Gardons notre dignité. On s'abaisse par ces petits propos, ces petites niaiseries. Qu'on dise ce qu'il faut, ce qui est nécessaire. Qu'on entre même dans de petits détails intimes avec son supérieur ou avec son maître des novices. Mais, permettez‑moi ce mot, qu'on n'entre pas avec tout un chacun dans des détails de cuisine.

Encore une fois mieux vaudrait obéir à une femme que d'être soi‑même une femme. Dans nos rapport les uns avec les autres, évitons bien les petits cancans, les histoires pour des riens. Un peu de “haut les coeurs” - [“sursum”]. Cette manière de faire avilit et enlève beaucoup du caractère du religieux. Nous pouvons avoir la force de caractère sans avoir la force de santé. L'un n'est pas incompatible avec l'autre. Et puis quand nous avons de petites histoires à dire, c'est aux dépens des choses sérieuses. On ne peut pas tout dire à la fois. Débarrassons-nous donc de l'inutile pour faire place au nécessaire. On ne peut pas tout faire à la fois.

“Le supérieur, pour quelque grande et signalée occasion d'affliction publique ou particulière, pourra faire faire des oraisons, jeûnes, pénitences et Communions extraordinaires, pour quelques jours, prenant l’avis toutefois de ses coadjuteurs” (Dir., Art. XVIII; p. 139-140).

Il peut arriver dans la communauté des circonstances particulières pour lesquelles le supérieur peut ordonner des pénitences ou des jeûnes. Mais il ne doit point faire cela sans prendre conseil, sans avoir l'avis et le sentiment de la communauté. Il ne doit pas surcharger les frères et ordonner des exercices qui ne seraient pas agréés pas la majorité de la communauté.

Je termine par cette double recommandation qui est le résumé de tout ce que je vous ai dit: tenons notre âme unie à Dieu, en acceptant tout ce qui nous vient de l'obéissance, et restons, dans nos rapport les uns avec les autres, dans les limites d'une grande convenance, évitant les mesquineries et les racontars.

Le Père Deshairs est à Rome pour porter le procès de non culte envers la vénérée Mère Marie de Sales. Il m'écrit qu'il a à pratiquer souvent “la patience religieuse”. Il lui faut parfois faire antichambre pendant deux heures à la porte des bureaux et revenir pour rien. Il se trouve assez fatigué de cette vie‑là. Mais tout le monde qu'il rencontre est favorable et sympathique à la cause de la bonne Mère. Ayons donc la confiance la plus entière en un heureux résultat.