Chapitres pour les Oblats 1873-1899

      

La grâce de Noël

Chapitre du 21 décembre 1892

Nous aurons la fête de Noël dimanche, et nous ferons bien de nous y préparer ces jours‑ci.  Que cette préparation soit bien sérieuse afin que nous puissions participer aux grâces de la venue de Notre-Seigneur.

Il y a dans le traité de l'Incarnation beaucoup de beaux aperçus. Saint François de Sales a pris dans ce traité une pensée bien conforme à la doctrine de l'Eglise, et sur laquelle il revient avec une complaisance marquée. La venue de Notre-Seigneur sur la terre, son Incarnation, c'est la participation à la nature humaine, c'est Dieu avec nous, c'est Dieu devenu l'un de nos frères, l'un de nous. Il développe beaucoup cette pensée consolante, qui lui a fourni bien de délicieuses considérations, surtout dans son Traité de l'Amour de Dieu. Il développe en particulier cette pensée que Notre-Seigneur, en s'incarnant, en se faisant homme, a voulu sans doute racheter le monde, mais il a voulu surtout prendre la nature humaine, nous élever jusqu'à Dieu. Il a voulu être le moyen terme entre Dieu et nous. Il a voulu donner à la nature humaine quelque chose de divin. C'est l'humanité tout entière élevée jusqu'à Dieu, “divinisée” en quelque sorte, l'humanité vivifiée et divinisée par la grâce, par les vertus surnaturelles et accomplissant entièrement ainsi la volonté de Dieu.

Le cardinal Bellarmin a fait un gros traité in folio sur cette pensée que Dieu se faisant homme a sanctifié la chair de l'homme, a rendu la nature humaine capable de s'élever jusqu'à lui: “Moi, j’ai dit: vous, des dieux ... vous tous” (Ps 82:6). Il y a une distance infinie entre Dieu et nous; mais par suite de l'Incarnation, en vertu des grâces de sanctification et de perfection qui en sont le fruit et qui deviennent notre propriété, cette distance est comblée. Nous devons retracer la ressemblance divine en nous, reproduire notre divin modèle. Et c'est nous religieux surtout qui devons faire cela. C'est le point de départ et le but de notre vocation religieuse, nous surtout Oblats de saint François de Sales. C'est par les Oblats que Dieu veut faire cela, disait la bonne Mère. Ils auront le don de Dieu pour rapprocher les âmes de lui. Notre vie toute entière doit donc être une vie divine, tout en nous doit être sanctifié, et pour ainsi dire divinisé. C'est le fonds du mystère de ce jour de Noël; c'en est l'application réelle et théologique à l'humanité.

Traitons‑nous donc les uns les autres avec un respect, une déférence affectueuse; nous devons porter chacun Notre-Seigneur avec nous, nous devons nous respecter mutuellement comme les membres de Notre-Seigneur, comme d'autres Jésus-Christ. C'est Jésus-Christ que nous devons faire vivre, que nous devons reproduire en nous et tout autour de nous, dans la limite de notre action. Cette doctrine, c'est la doctrine de saint Paul: “Ce n’est plus moi qui vis, mais le Christ qui vit en moi” (Ga 2:20). C’est la doctrine des apôtres, des Saints Pères; c'est le grand exemple et la grande leçon que nous a donnée en ces derniers temps notre saint Fondateur et aussi à un bien parfait degré la bonne Mère Marie de Sales. La Rédemption de Notre-Seigneur c'est bien sans doute le rachat de l'humanité pécheresse, mais aussi le relèvement de 1'humanité déchue, jusqu'à Dieu: “Ramener toutes choses sous un seul Chef, le Christ” (Ep 1:10 ). Ce n'est pas seulement une doctrine, c'est quelque chose à faire, c'est une direction de la vie, c'est reproduire Notre-Seigneur, non pas seulement par la pensée, par le sentiment, mais réellement dans les actes de la vie. Par le baptême, et la grâce de la Rédemption qu'il nous confère, nous sommes faits d'autres Jésus-Christ, nous sommes en quelque sorte l'os des ses os (Cf. Gn 2:23). Et voyez comme nous sommes identifiés à lui par la sainte communion, moyen et symbole de cette union si intime qui doit nous constituer d'autres lui-même.

La fête de Noël apporte avec elle cette grâce, la grâce de comprendre cette doctrine, de l'aimer et d'avoir en soi la force et le courage de nous attacher à cette pensée, à cette doctrine, de la réaliser dans nos actes et de la faire réaliser au‑dehors par les autres. Réalisons‑la dans notre vie intime et particulière, non seulement en consacrant notre cœur, nos affections à Notre-Seigneur. Mais que notre corps, notre chair elle‑même tienne le même langage et rende louange à Dieu. Imitons Notre-Seigneur, vivant dans sa chair, pratiquant la volonté divine; conformons notre existence corporelle à la sienne. Et alors nous entendrons et nous réaliserons le chant des anges sur le berceau du Sauveur: “Gloire à Dieu au plus haut des cieux et sur la terre paix aux hommes objets de sa complaisance” (Lc 2:14). Notre volonté constamment bonne, constamment parfaite, ne voudra pas autre chose que ce que Dieu voudra, comme faisait Notre-Seigneur, quand il était sur la terre, et nous aurons la paix du cœur, en même temps que Dieu sera glorifié.

Demandons bien à la bonne Mère de nous donner l'intelligence et l'affection de ces choses, qui ont été toute sa vie à elle-même. On rencontre peu d'âmes qui aient aimé autant Notre-Seigneur, qui aient essayé de reproduire avec autant d'amour sa vie et sa doctrine, son existence temporelle et terrestre, sa manière de vivre sa vie. Demandons la grâce de marcher dans cette voie et que ce soit là la grâce de la fête de Noël: l'augmentation de notre foi, de notre délicatesse envers Dieu, l'augmentation de notre amour pour lui.

Je reviens en terminant sur cette pensée de notre saint Fondateur et du cardinal Bellarmin, que plus nous nous efforçons de reproduire Notre-Seigneur dans notre âme, dans notre corps, dans tout notre être, et plus nous sommes à lui, plus nous faisons partie de sa famille. La chair du Sauveur devient notre chair. Il est notre frère: le même sang coule dans nos veines. Voilà pourquoi la sainte Eglise a tant de soin et de respect pour nos corps. Voyez les cérémonies qui accompagnent le baptême du petit enfant. Voyez celles qui accompagnent et sanctifient la célébration du mariage; voyez le respect dont elle entoure les morts, la vénération qu'elle témoigne pour les reliques des saints. Voyez bien la doctrine qui ressort de tout cela: c'est que c'est un fait très réel que, par l'Incarnation, le Fils de Dieu s'unissant à l'humanité nous a rendus membres de la famille de Dieu: nous sommes de son sang, de sa race. En Notre-Seigneur l'union est consommée et aussi complète que nous le voudrons. Je le répète, c'est là la grâce de la fête de Noël. Prenons‑en la part qui revient à tout chrétien, prenons en la part toute particulière à laquelle nous avons droit comme Oblats de saint François de Sales.