Chapitres pour les Oblats 1873-1899

      

L’oraison et le ciel

Chapitre du 20 janvier 1892

“Quand on donne l'obédience, que les Frères se lèvent promptement, et demeurent debout, avec un maintien humble et dévot, attendant l’obédience, disant en eux-mêmes: “Parlez, Seigneur, votre serviteur vous écoute; ô mon Dieu! rendez-moi digne d’accomplir votre sainte volonté!” et recevront en cette qualité tout ce qui leur sera enjoint par le Supérieur, sans repliques ni excuses, encore qu’ils eussent quelque autre chose à faire; mais si c’était chose pressée et nécessaire, ils le diront par après au Supérieur, et, s’ils sont Novices, ils s’adresseront à leur Maître qui en avertira le Supérieur” (Dir., Art. X; p. 75-76).

Ce qui est dit là suppose qu'après la récréation le supérieur donne l'obédience. Il nous est assez difficile de faire cela dans nos différentes maisons, à l'heure qu'il est. Les Pères et les Frères, recevant l'obédience, doivent se tenir recueillis, debout. C'est le moment de demander alors les permissions et ce que l'on a à faire.

“Ils pourront se servir de l'oraison du matin, regardant Notre-Seigneur au mystère où ils l’ont médité, et s’arrêteront sur quelques-uns des points qu’ils auront plus goûtés” (Dir., Art. X; p. 77-78).

C'est un bon moyen de bien faire sa besogne, surtout quand elle est matérielle et quand nous ne trouvons rien à dire de mieux au bon Dieu. Cette façon de s'entretenir avec Dieu est extrêmement avantageuse pour l'âme: elle nous constitue dans une sainte habitude de nous tenir unis à Dieu. Si notre occupation n'est pas extérieure, si c'est une étude, une surveillance et que nous ne puissions nous arrêter bien longtemps à une pensée suivie, élevons de temps en temps notre cœur à Dieu et sans parole précise, sans longue pensée, faisons à Dieu l'offrande de notre travail, de notre emploi; demandons à Dieu la lumière pour nos études. Saint Thomas disait: “Je me donne à vous mon Dieu, et vous, donnez-vous à moi, en bonne volonté, en lumière, en intelligence”. Dieu obéit toujours à ces prières-là, et non seulement nos études ainsi seront sanctifiées, mais nous serons sensiblement éclairés du secours de Dieu. Je vous engage à en faire l'expérience. C'est une prière d'une efficacité énorme pour tout ce que nous faisons. Elle a un effet direct et immédiat sur nos études, nos emplois. Nous prenons ainsi le bon Dieu avec nous, et avec lui nous comprenons mieux, nous saisissons et retenons mieux. C'est ainsi que les saints étudiaient.

“Ils pourront aussi demeurer doucement aux pieds de Notre-Seigneur comme Madeleine, écoutant ce qu’il dira à leur coeur, regardant sa bonté et son amour, et lui parlant de temps en temps par ces élancements de coeur et oraisons jaculatoires, telles ou semblables:” (Dir., Art. X; p. 78-79).

Voyez la pensée de notre saint Fondateur: il appelle le temps du travail silence. Ce nom n'est donné ni au temps du repos, ni au temps de la prière. Le religieux, pendant qu'il travaille, c’est-à-dire pendant la partie la plus considérable de son temps, doit toujours être en silence. Il doit éviter les paroles inutiles, les conversations qui ne sont pas à propos; il doit s'entretenir avec Dieu et non avec les créatures. Pendant ce temps de silence et de travail, l'âme se retourne vers Dieu, elle s'entretient avec lui soit en reprenant les pensées de son oraison, soit, quand la nature du travail ne le permet pas, par des aspirations et des élans du cœur, par des paroles affectueuses qui lui donnent avec la grâce de Dieu le courage et la force. Priez pour vos élèves quand vous faites des surveillances. En prenant cette attitude, vous ferez beaucoup de bien à vous-mêmes et, vous en ferez beaucoup aux autres.

Voyez: les Constitutions, le Directoire ne donnent aucun moyen humain, pas plus que l'Evangile. Les moyens indiqués, c'est l'union à Dieu, c'est la prière, l'attention à la présence de Dieu. Nous mettons Dieu en besogne avec nous et nous prions ardemment en tout ce que nous faisons; voilà notre manière d'opérer et d'agir. Saint François de Sales donne ensuite un certain nombre d'aspirations à Dieu, à la sainte Vierge, au bon ange, puis quelques autres pensées pour s'entretenir avec Dieu, qui sont très utiles, comme la pensée de la mort, pendant que 1'heure sonne, en nous demandant si ce que nous faisons à ce moment est digne de récompense ou de châtiment, si nous méritons le ciel ou l'enfer.

“Que les Frères  fassent donc en suite de telles pensées quelque dévote aspiration, afin que Dieu leur soit propice à cette dernière heure. Ce qui arrivera infailliblement à ceux qui se rendront très soigneux de cet exercice, lequel ils doivent pratiquer en tout temps et en toute occasion, par le moyen duquel ils croîtront et profiteront tous les jours de vertu en vertu, jusques à la perfection de l’amour divin” (Dir., Art. X; p. 84-85).

Voilà des promesses bien belles, bien magnifiques. Soyons donc fidèles à cette pratique de la pensée de la mort, et par elle nous croîtrons de vertu en vertu, jusqu'à la perfection de l'amour divin, jusqu'au ciel.

A propos du ciel, il faut nous faire une idée exacte du ciel. Les théologiens ascétiques, les catéchismes ne sont pas assez explicites là-dessus. Les grands Docteurs, saint Thomas, saint François de Sales nous enseignent que la vie actuelle n'est que le commencement de notre vie entière et complète. Nous devons mourir, mais c'est le corps seulement qui meurt. Ce que nous faisons ici-bas, nous le ferons toujours; nous commençons ici-bas pour continuer là-haut. Un homme que Dieu a créé avec telle ou telle disposition, telle ou telle bonne qualité, tels ou tels sentiments ne les perd pas par la mort. Le don de Dieu en nous, ce qui fait notre caractère, notre physionomie, ce qui fait que nous sommes nous, ne disparaît pas. Le paradis n'est pas quelque chose d'étranger. Pour nous mettre en paradis, le bon Dieu ne nous créera pas à nouveau. Comme nous sommes sur la terre, nous le serons en enfer et nous le serons au ciel.

Notre paradis n'est pas une récompense en général; Dieu, est-il dit, nous mettra dans la main une pierre précieuse sur laquelle sera un nom que nous seuls connaîtrons. C'est le nom qui est à nous, qui est pour nous. C'est notre bonheur intime et personnel, le bonheur qui convient à nos goûts, à nos aptitudes. Tout ce que nous sommes, tout ce que nous faisons, nous le commençons ici-bas pour le continuer en paradis, qui vivifiera et élargira cela. Commençons donc maintenant notre paradis avec les travaux, les souffrances et les croix, avec notre personne toute entière, avec ce que le bon Dieu a mis de bon en nous. Enlevons tout ce qu'il y a de mauvais, ou plutôt corrigeons-le, car nos défauts mêmes viennent d'un bon principe dont nous tirons de mauvaises conséquences. Si vous êtes irascibles, c'est parce que vous êtes sensibles, mais vous l'êtes à l'excès.

Vivez bien avec cette pensée: je commence maintenant mon paradis; ce que je suis maintenant, je le serai dans le ciel. Je commence, comme l'architecte, comme le maçon commencent une maison. Voilà un édifice admirable, n'a-t-il pas commencé avec des pierres brutes et du mortier? avec des travaux pénibles et douloureux? Ce n'est qu'à ce prix qu'il s'est élevé si haut; ce n'est qu'à ce prix que nous nous élevons au ciel. Toutes les fois que nous avons, dans nos occupations, quelque peine, quelque chose qui contrarie nos inclinations, disons-nous bien que tout cela nous prépare pour le paradis, que nous irons au ciel comme cela, que c'est cela même qui fera notre bonheur intime et personnel à chacun.

Le ciel n'est pas une fête publique, où l'on s'amuse au spectacle. C'est une fête intime, c'est un bonheur personnel à chacun. Nous trouverons dans cette pensée un grand encouragement; tout ce que nous faisons est directement pour le ciel. Quand nous faisons passionnément bien notre emploi, nous ne perdons le mérite et le fruit d'aucune des plus petites choses que nous faisons. Nous sommes les citoyens du ciel, les religieux surtout. Pendant le temps du silence, profitons de ces pensées-là. Amassons des trésors, des talents dont nous jouirons dans le ciel. La parabole des dix talents est là toute entière. Celui qui a enfoui et caché son talent est un mauvais serviteur. Celui qui a mérité cinq, dix talents aura sa récompense proportionnée. Au moment de la mort, chacun aura sa part de paradis, selon ce qu'il apportera. N'arrivons pas les mains vides. Ne soyons pas comme les marchands qui ne savent pas faire valoir leur fonds, qui ne savent pas placer leurs marchandises, qui les enterrent et les perdent.

La récompense de notre fidélité sera la satisfaction entière de notre être; le paradis sera notre paradis à nous, chacun aura son paradis tout spécial. Encourageons-nous bien dans cette doctrine qui est très sérieuse et très certaine. Le détail de nos journées s'en ressentira. Ce qui a rendu saint Bernard si grand devant Dieu et devant les hommes, c'est cela: “Notre cité se trouve dans les cieux” (Ph 3:20). L'ouvrier qui travaille en vue de son salaire, le mercenaire qui attend le prix de sa journée, le savant qui compte sur le résultat de son travail et qui en apprécie tout le prix, ne laissent rien perdre, utilisent tous leurs moments. Nous aussi, comprenons bien que nos actes les plus humbles, les plus ordinaires obtiennent par la direction d'intention, par la pensée de la mort, une vertu immense. Pénétrons-nous bien de cette pensée, que nous sommes quelque chose devant le bon Dieu.

Quand j'étais en théologie, quelqu'un disait: “Si j'étais comme saint Louis de Gonzague!” “Je ne voudrais pas parler ainsi”, dit le professeur. “Les vertus, la fidélité de saint Louis de Gonzague ne pourraient pas me donner mon bonheur à moi, la part spéciale réservée à ma fidélité, à mon mérite”.