Chapitres pour les Oblats 1873-1899

      

De la récréation

Chapitre du 13 janvier 1892

“Les frères allant au lieu de la récréation demanderont à Notre-Seigneur la grâce de n’y rien dire ni faire qui ne soit à sa gloire. Qu’ils ne portent point aux récréations des contenances tristes et chagrines, ains un visage gracieux et affable, et qu’ils s’entretiennent ainsi qu’il est porté par les Constitutions” (Dir., Art. IX; p. 72-73).

Il faut diriger son intention avant la récréation et prendre de bonnes résolutions contre les défauts auxquels on  est plus particulièrement porté. S'il arrive qu'on soit porté à ne rien dire en récréation, à se renfermer en soi, il faut en entrant prendre la résolution de faire la Règle. Si l'on est sujet à mortifier le prochain, à parler de soi, jetez encore un coup d'œil rapide sur ces défauts et apportez à la récréation un visage simple, affable, où il n'y ait rien de pénible, rien qui repousse les autres.

“Et comme les frères doivent avec simplicité et franchise se récréer par obéissance, ainsi doivent-ils par dévotion s’affectionner à parler souvent des choses bonnes” (Dir., Art. IX; p. 73).

Que nos conversations soient pieuses et chrétiennes, semées de traits édifiants qui portent en même temps à la récréation et à l’édification. C'est une chose peut-être un peu difficile. Quand on vit ensemble, très près les uns des autres, il est un peu délicat et difficile de dire quelque chose qui ressemble à un sermon ou à une leçon apprise à l'avance. Avec un peu de savoir vivre et de piété, néanmoins, on peut facilement amener la conversation sur des sujets intéressants, édifiants, pieux, qui fassent du bien. Notre saint Fondateur ne nous recommande pas précisément de faire un sermon à chaque récréation: “Ils s'affectionneront à parler souvent des choses bonnes”. Que les conversations ne soient pas continuellement badines et frivoles. Parlons de temps en temps de nos études, de nos emplois, de ce qui peut intéresser les autres.

La récréation ainsi faite a le double avantage de nous faire pratiquer la Règle et de nous faire prendre de bonnes habitudes pour quand nous nous trouverons avec le prochain, au milieu du monde. Nous prendrons l'habitude d'une conversation sage, sensée, régulière, religieuse. Toutes les fois que nous avons à paraître au dehors, si nous n'avons pas à nous entretenir de sujets tout à fait religieux, tâchons néanmoins de dire quelques paroles pieuses, et qu'au moins dans l'ensemble de notre conversation il y ait quelque chose de bien pondéré, d'à-propos. Les jeunes surtout, se formeront bien à cela. “Que leur comportement soit empreint  de sérieux, qu’il soit libre de tout excès et plein de révérence” a dit le Concile de Trente, en parlant des ecclésiastiques; à plus forte raison cela doit-il se trouver chez le religieux. Je ne veux pas dire qu'il faille être d'une gravité exagérée et morose, ce n'est pas dans l'esprit de notre saint Fondateur. Il était très gai dans ses rapports avec le prochain, et parfois même il ne redoutait pas de dire une petite malice.

“Si quelqu’un était sujet à parler de lui-même, à faire des éclats de rire, parler trop haut, et faire telles autres immodesties, qu’il fasse en entrant un petit regard sur cette imperfection, et se résolve d’être sur ses gardes, afin de n’y pas tomber, invoquant pour cela la grâce du Saint-Esprit et le secours de son bon ange” (Dir., Art. IX; p. 73-74).

Notre saint Fondateur ne nous défend pas de rire modérément, de parler haut quelquefois mais il ne veut pas d'éclat de voix et d'un ton qui domine et blesse à la fois la modestie et la charité. Cette manière de faire sagement et pieusement la récréation porte avec elle beaucoup de grâces. Une récréation faite dans cet esprit n'a rien qui choque, rien même qui se fasse remarquer; tout est convenable, tout est bien. On fait la Règle et la volonté de Dieu, et quoique rien ne paraisse au dehors et que cela paraisse tout simple, tout naturel, on a fait entièrement la volonté du bon Dieu, on a fait un acte qui mérite le ciel et qui est aussi parfait que si l'on avait fait une oraison très dévote, une prière très fervente, et cela sans éclat, sans recherche, sans que rien ne paraisse. Notre sanctification toute entière est en effet dans ce que nous faisons, elle n'est pas dans notre esprit, dans notre imagination, dans ce que nous pensons ou disons, elle est dans ce que nous faisons. Une récréation ainsi faite nous mérite le ciel: c'est un acte d'amour de Dieu parfait. Encourageons‑nous bien dans ces pensées-là; c'est l'esprit de la sainte Eglise, c'est la doctrine de la vérité. Imprégnons bien nos actions de cette manière de voir et d'agir; que ce soit notre fonds, et rien dans nos actes ne sera indifférent.

Quand j'ai fait ma théologie, on posait cette question: “Y a-t-il des actes indifférents?” On disait que oui. Saint François de Sales, dans la pratique, dit non. Tout doit concourir à notre sanctification. L'homme doit se mouvoir dans le bon Dieu comme le poisson dans 1'eau. En prenant nos récréations, il faut nous délasser en Dieu, comme aussi il faut prier en lui et souffrir en lui.

“Un Frère, tour à tour, avertira de la présence de Dieu, et, par intervalle, durant la récréation, et à la fin, dira quelque bonne et sainte retenue” (Dir., Art. IX; p. 74).

Une fois au moins il faut rappeler la présence de Dieu, et à la fin il faut s'arranger de façon à dire quelque chose qui soit de bonne édification. Il n'y a pas de faute certainement quand on omet cela par oubli, mais il est mieux que quelqu'un, à la fin de la récréation, dise quelque chose qui puisse servir de bonne et sainte retenue.

“A la fin, ils penseront à ce dont ils ont besoin tant pour leurs ouvrages que pour leurs charges, afin de le demander” (Dir., Art. IX; p. 74).

Tous ces détails nous montrent qu'autant que possible il faut arranger les affaires ordinaires que l'on a à traiter avec le prochain, à la fin de la récréation, pour n'avoir pas à parler en dehors du temps où 1'on ne garde pas le silence. Il faut éviter avec soin les occasions de se distraire, de parler longuement et en dehors du temps de la récréation. Les Pères de la vie spirituelle ont donné beaucoup de maximes concernant le temps de la récréation. Ils ont dit que c'était à la récréation surtout que l'on reconnaissait le bon religieux, parce que c'est là que l'on peut le juger le plus facilement et là qu'il donnera le plus carrière à sa nature ou à ses défauts, ou qu'il pratiquera le plus de vertus. Ce que je recommande particulièrement c'est de faire la récréation bien cordiale. La conversation la plus naturelle, la plus simple, la plus cordiale est aussi celle qui est la plus agréable à tout le monde. Si quelqu'un vient à élever quelque contestation, il faut tourner cela avec beaucoup d'esprit, en prenant garde de ne blesser personne et de ne pas se montrer blessé soi-même. La charité que l'on déploie ne doit se laisser apercevoir de personne. Il faut que celui à qui l'on fait la charité ne puisse pas s'en douter.

Demandons à notre saint Fondateur de bien faire cet exercice de la récréation. Nous trouverons dans la récréation bien faite un immense avantage dans nos rapports avec les personnes du dehors, nous répandrons la charité, la sérénité autour de nous. Tout dans notre personne sera simple et bon; il n'y aura rien à redire. Les méchants ne pourront pas se formaliser de nous, et les bons s'en scandaliser: tout atteindra le but que nous nous proposons.

Je termine par une recommandation concernant la pauvreté. Economisons le gaz. Qu'il n'y ait pas de dépense inutile, en cela comme en tout le reste. N'en brûlez pas plus qu'il ne faut. Portez bien avec vous cet esprit d'économie, de conservation en toutes choses. Faites-le par intention surnaturelle, pour Dieu et pour la pauvreté. Soignez et ménagez les choses de la création matérielle pour rendre gloire à Dieu le Père qui les a créées pour notre usage et usez- en dans les limites de ce qu'il veut et ordonne. Cette économie, ce soin, quand on les envisage par le côté surnaturel, sont excellents. Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit: les trois personnes divines sont égales, nous devons les honorer toutes trois, notre culte doit être le même. L'hiver est rude, difficile. On a à souffrir dès le matin, quand il faut se lever. Si nous avons à pâtir, faisons-en notre profit.

Je recommande de nouveau aux prières de la communauté nos missionnaires, nos œuvres. Que le bon Dieu nous envoie son Esprit-Saint, afin que tout marche bien, afin que nos missionnaires en particulier aient bien la force, la résignation pour supporter leurs nombreuses épreuves. A l'Orange, nos Pères n'ont pas encore pu s'établir au delà du fleuve. Le Capitaine Général est sous l'influence des ministres protestants. Il a fait au Père Simon un long réquisitoire au sujet de ce que les Annales de la Propagation de la Foi avaient publié de lui. Ce n'était pourtant pas bien terrible, mais les Protestants, doublés des francs‑maçons, font ce qu'ils peuvent pour arrêter la marche de nos missionnaires. J'ai reçu de Rome, à l'occasion du nouvel an, de très bonnes lettres du cardinal-vicaire, du Préfet de la Propagande, du cardinal Mermillod et du cardinal Mazella. Celui-ci en particulier nous paraît extrêmement affectionné. Je les recommande bien aux prières de la communauté. En priant pour nos bienfaiteurs et nos amis dressons bien notre intention de ce côté. A l'Equateur la mission est aussi très laborieuse mais nos Pères ne s'épouvantent pas. Prions avec eux et pour eux.