Chapitres pour les Oblats 1873-1899

      

Tentations et passions

Chapitre du 27 janvier 1892

“Ceux qui seront travaillés de quelque tentation ou passion pourront s’encourager et fortifier par la considération des travaux de Notre-Seigneur, se le représentant en iceux. Et quand ils auront des difficultés aux exercices des vertus, s’ils le regardent en la pratique de celles qu’il a exercées tandis qu’il a été en cette vie, ils seront instruits et aidés” (Dir., Art X; p. 85).

Voilà ce qu'il ne faut pas oublier de faire dans les tentations de découragement, qui sont peut-être celles auxquelles on prend le moins garde, parce que cela ne semble pas un péché. Reportons‑nous à la Passion de Notre-Seigneur: “Il commença à ressentir effroi et angoisse” (Mc 14:33). Il a supporté tout cela: l'effroi, l'ennui, l'impatience, qui font que l'on ne croit plus pouvoir agir, que l'on n'a plus le courage de rien faire. Adressons-nous alors à Notre-Seigneur souffrant, comme nous le recommande le Directoire. Prenons notre volonté et, de tout cœur, jetons-la dans le bon Dieu. Disons-lui: “Mon Dieu, je ne vous apporte que des guenilles, des choses sans valeur; je jette tout cela en vous et j'attends de vous le secours dans mon découragement”. Voilà une recommandation qui a une portée énorme, quand on veut être un vrai religieux. Les exercices fatiguent et lassent; tout devient amer et repoussant. Si l'on supporte généreusement cette épreuve, on reçoit une force considérable par après.

Celui qui n'est pas tenté, dit saint Paul, que sait-il? Rien n'est plus fréquemment recommandé dans la sainte Ecriture que le recours à Dieu au moment de la tentation, que de ne pas se laisser abattre par le découragement. Jetons alors en Dieu tout notre être: “Je me jette en vous, ô mon Dieu, je maintiens ma volonté en la vôtre”. Quand la tentation sera passée, le bon Dieu reviendra: "Seigneur, où étiez‑vous?” demandait saint Antoine, après une épouvantable tentation. “Là, près de toi, lui fut-il répondu, pour te soutenir, t'encourager et te récompenser". Les tentations contre la sainte vertu demandent quelque chose de plus particulier. Voici ce qu'il faut faire. Quand la tentation est violente, impérieuse, il faut prendre des précautions. Si l’on peut se distraire, cela vaut mieux que de lutter face à face. Si vous luttez face à face, corps à corps, cet ennemi-là sera le plus fort. Fuyez-le surtout par la distraction. Quand les mauvaises pensées, les mauvais désirs obsèdent votre esprit, éloignez-les par une autre pensée qui le captivera et qui délogera la mauvaise pensée. On conseille quelquefois de penser en cette circonstance à l'enfer, au paradis: souvent cela ne produira aucun effet. Il est plus sage, je crois, de penser à quelque chose qui soit plutôt agréable et qui mette plus facilement dehors la mauvaise impression.

On cite des faits très beaux de saint François d'Assise, de saint Thomas, de saint Bernard; pour agir comme ils l'ont fait, il faut certainement une inspiration spéciale. En général, luttons autrement. Laissons l'ennemi se déployer tranquille et prenons position ailleurs. Il faut bien se souvenir de cette maxime dans la direction des âmes. Voilà un garçon scrupuleux. Ne le laissez pas en face de la tentation qui l'obsède; ne lui suggérez pas des moyens spirituels, vous échoueriez devant la force de la tentation. Apprenez-lui à parer le coup en se retirant. Ce que je disais de la tentation de découragement s'applique plus certainement encore à la tentation contre la sainte vertu. Lorsqu'on l'a surmontée, qu'on a lutté, on a un grand mérite devant Dieu. Ces tentations fortifient la pureté et la chasteté; elles obtiennent beaucoup de grâces.
Saint Thomas dit quelque part qu'il vaut mieux être homme qu'ange, car l'homme a des mérites plus grands. Au ciel, les hommes qui auront bien combattu seront au‑dessus des anges, qui eux ont moins mérité, moins combattu. Ces tentations-là, quand on les rencontre chez un individu, témoignent toujours qu'il y a en lui de quoi faire beaucoup et de grandes choses, de grands actes de générosité, de vertu; et non pas seulement la vertu de chasteté, mais le dévouement, la générosité, toutes les autres vertus. Il ne faut donc jamais s'effrayer de ces tentations. Si elles sont trop pénibles et trop périlleuses, demandez au bon Dieu de vous en délivrer et puis ensuite tenez‑vous tranquilles, ne vous en effrayez pas, quoi qu'il arrive. Ne les regardez pas comme une malédiction de Dieu, mais au contraire comme un moyen que Dieu vous donne pour vous sanctifier, comme un privilège tout saint et tout divin de sa bonté, par lequel il veut vous faire arriver plus efficacement à la sainteté qu'il demande de vous.

Les saints eux aussi ont lutté et combattu. Acceptez donc bien l'épreuve; tenez-vous humbles et bas; prenez les moyens indiqués. Fuyez la tentation par la pensée que vous appliquerez à autre chose; occupez-vous, distrayez-vous; prenez des pensées qui vous soient agréables; faites une lecture, une étude qui vous captive et vous en serez quittes. Lutter corps à corps, c'est très beau. Mais pourquoi se battre quand on peut éviter l'ennemi, pourquoi dépenser ses forces inutilement? Pourquoi se colleter au coin d'une borne, quand on peut passer par un autre chemin?

Les moyens que donnent les théologiens d'ordinaire sont bons sans doute. La prière — je vais dire des choses peut‑être singulières — et les moyens que donnent parfois certains confesseurs à leurs pénitents: des jeûnes, des méditations, c'est là une médecine bien forte. Il faut des sujets capables de la porter. Un tel régime suppose bien des qualités qui se rencontrent rarement. Beaucoup de volontés sont faibles, les tempéraments sont faibles. Et bien souvent les âmes que l'on a soumises à ce régime, après ces rudes mortifications de la chair et de l'esprit, tombent en des chutes effroyables. Il faut être bien prudent, avec les mortifications, dans la conduite des âmes. La direction chez nous surtout, mérite une attention et une sollicitude toute particulière. Il vaut mieux réserver les mortifications pour le temps du calme et de la tranquillité. Je ne défends pas qu'on prie le bon Dieu dans la tentation, ni qu'on se mortifie, quand on a la lumière de le faire. Mais je dis en général que tout ce qui est violent est fort dangereux, et qu'il ne faut user de ces moyens qu'avec de grandes précautions, avec une grande sagesse. Si on use souvent de ces moyens et d'une façon un peu prolongée, ils fatiguent, ils ôtent les forces.

Le bon Dieu peut bénir l'intention de ceux qui en usent ainsi, mais certainement un homme d'expérience et de sagesse et qui sait la faiblesse humaine ne les emploiera pas souvent. Ce sont de grands moyens, de grandes médecines. C'est un peu comme le remède fameux du Docteur Koch contre la tuberculose: il guérit ceux qu'il ne tue pas. Il vaut mieux user de moyens plus doux, ne tuer personne et sauver tout le monde. Distrayez-vous donc dans la tentation; priez, mais d'une prière courte et vive: un cri du cœur à la sainte Vierge, au bon ange, quelque chose de doux et qui vous porte à la confiance. Invoquez vos saints patrons et occupez‑vous à quelque chose qui vous captive. Dans les tentations d'orgueil, d'amour-propre, humiliez-vous doucement aux pieds de Notre-Seigneur. En général on s'aperçoit peu de cette sorte de tentations; elle se produit assez rarement par suggestion. Le péché d'orgueil résulte plutôt d'un état, d'une disposition d'âme, plutôt que d'une tentation brusque et vive. C'est un péché que l'on commet souvent sans trop s'en apercevoir. Dans les tentations de colère, d'impatience, il faut écouter la parole de Notre-Seigneur: “Chargez-vous de mon joug et mettez-vous à mon école, car je suis doux et humble de coeur” (Mt 11:29). Allez à Notre-Seigneur; gardez votre cœur auprès de lui et vous serez victorieux. Dans les tentations de paresse, quand on redoute la peine et le travail intellectuel ou physique, il faut s'aider encore de la pensée de Notre-Seigneur. Notre-Seigneur a travaillé et, pour que nous l'imitions, il nous donne la grâce de secouer notre torpeur. Pour les autres tentations, allons encore à Notre-Seigneur. Il nous enseignera et nous aidera.

Quant aux tentations contre la foi, il faut les traiter absolument comme les tentations contre la chasteté: par la fuite. Dans le paradis, comme sur la terre, les saints ont chacun leur caractère, leur tempérament particulier qu'ils se sont faits avec la lutte contre leurs passions et leurs tentations. Rien par conséquent ne les surprend de nos misères. Encourageons-nous par cette pensée que beaucoup de saints ont eu à surmonter les tentations par lesquelles nous passons. Ne nous plaignons pas, demandons-leur de nous aider, et nous serons victorieux nos aussi.

Il nous faut bien prier pour le cardinal Simeoni, le Préfet de la Propagande, qui vient de mourir. Il avait été bien bon toujours pour nous. Que chaque Père dise une messe pour le repos de son âme.