Chapitres pour les Oblats 1873-1899

      

L'examen de conscience

Chapitre du 16 décembre 1891

“Les Frères doivent faire l’examen de conscience deux fois le jour...” (Dir.,Art. VII; p. 64)

L'examen de conscience a une portée immense dans la vie chrétienne, et surtout dans la vie religieuse. Tous les moralistes, tous les Pères de la vie spirituelle le recommandent. La terre est désolée, dit Jérémie, “et personne ne prend cela à coeur” (Jr 12:11). La plupart des manquements, des mauvaises habitudes, tiennent presque uniquement à l'absence d'examen. Quand un banquier tient mal ses livres, il a bientôt fait la culbute. Un religieux qui ne fait pas d'examens de conscience, lui aussi ne tient pas ses livres, ne tient pas compte de ses gains et de ses pertes, et lui aussi s'expose à une catastrophe. Voilà ce qui arrive toujours au prêtre, au religieux qui néglige de s'interroger. On ne sait pas où l'on en est, si l'on fait bien ou mal, les fautes se multiplient et s'accroissent, et il n'y a rien pour réprimer ce débordement des passions qui envahit l'âme.

L'examen est tellement nécessaire que notre saint Fondateur recommande de le faire deux fois le jour. Il veut même que notre examen soit pour ainsi dire continuel, car chaque fois que nous tombons en quelque faute, il veut que nous nous examinions et cherchions par quel motif nous avons péché, pour ajouter cette nouvelle faute au total des fautes déjà commises et s'en pouvoir souvenir quand on fera sa confession. Si nous n'avons pas notre conscience ainsi en éveil, certainement nous ne ferons aucun progrès. Pour être bon prêtre, pour être bon religieux — c'est une pensée sur laquelle on ne saurait trop revenir — il faut avoir toujours l'état de sa conscience devant les yeux, voir ses fautes par le menu. Il faut voir en quoi l'on a manqué, les infractions que l'on a faites au silence, à la religieuse observance. Si vous n'observez pas le silence, vous n'êtes pas religieux. Si une petite chose n'est rien pour vous, vous n'êtes pas religieux.

Ce que je vous dis là est contraire au courant des idées, au sentiment du monde. Aux yeux des bien des gens, il n'y a que le péché à éviter: les infidélités religieuses ne sont rien. C'est une tendance actuelle d'une certaine partie du clergé à envisager la vie religieuse à ce point de vue qui n'est point du tout celui de la sainte Eglise. Vous avez manqué à quelque observance, qu'est-ce que c'est que cela? Ce n'est pas un péché mortel, ce n'est pas un péché véniel, ce n'est rien. Si, c'est quelque chose, c'est la ruine de la vie religieuse et des grâces de Dieu. Et puis, si vous n'avez pas assez d'amour de Dieu pour éviter ces fautes, si vous évitez un manquement uniquement parce qu'il est grave, dites-moi, comment servez-vous Dieu?

Les Juifs autrefois portaient la loi de Dieu écrite sur des bandes d'étoffe, afin de l'avoir continuellement sous les yeux. C'étaient des pharisiens: ils avaient la loi écrite sur leur robe et non dans leur conscience. Ne soyons pas comme les Juifs. Voilà un saint homme, qu'est-ce qu'il fait de mal? En quoi contrevient-il à la loi de Dieu? Il s'impatiente, il manque à quelques uns des devoirs de sa Règle ou de l'obéissance; il est professeur, il ne prépare pas bien sa classe. Ce n'est pas un saint homme du tout, et surtout ce n'est pas un saint religieux. Rien ne se fait que par des petites choses. Les éléments de chaque substance, de chaque corps sont tellement ténus qu'ils échappent au regard. Les éléments des plus grandes masses, des corps les plus pesants, de ceux qui ont le plus d'action, sont imperceptibles. Mais on ne fait pas comme cela partout.

Tous les hommes ne sont pas obligés de mener le même genre de vie, mais pour nous, cette manière de faire est une chose extrêmement importante. Nous ne pouvons pas agir autrement. Je ne comprends pas qu'on puisse mener une vie chrétienne et religieuse, sans avoir continuellement sa conscience devant les yeux. Ce travail que demande notre saint Fondateur après chaque faute ne doit pas se faire par esprit de discussion, mais en toute humilité. Il faut chercher les motifs. Est-ce la paresse, la fatigue, la bêtise ou la sottise qui nous ont entraînés dans tel manquement? Est‑ce un travers de caractère, est-ce faiblesse? Confessons-nous de tout cela, non pas comme de péchés, si théologiquement il n'y a pas de péché, mais confessons-nous-en comme d'infidélités et de faiblesses, afin de nous fortifier et de nous purifier. Ayons le miroir de notre conscience continuellement sous les yeux. Voyons nos fautes, sachons où nous en sommes. Quand nous avons fait quelque faute, analysons promptement nos sentiments pour en voir 1a cause vraie: est-ce l'orgueil, la sensualité, la gourmandise? Il faut faire cela rapidement. Il ne faut pas passer tout notre temps dans cette recherche. Hâtons-nous de balayer la maison, afin d'avoir le temps de l'orner et de l'enrichir.

“Pour faciliter leur examen, il leur sera fort utile, lors qu’ils tombent en quelque faute parmi la journée, de s’examiner sur le champ, et regarder un peu par quel mouvement ils l’ont faite, puis s’abaisser devant Dieu, et graver cela dans l’esprit, pour le mettre en l’examen du soir” (Dir., Art. VII; p. 67).

Ce ne sont pas de simples paroles, c'est une promesse qui se réalise. Cela est une chose fort utile. Celui qui est assis sur une chaise n'a pas besoin, pour ne pas tomber, d'une vigilance de regards aussi grande que celui qui est en bicyclette ou qui marche sur la corde. Si nous sommes vigilants, nous non plus, nous ne tomberons pas, quel que soit le danger.

“En l'examen du matin, il n'est pas requis d'y apporter tant de formalités; ains seulement avant midi, il faut dire le Confiteor et regarder un peu comme l’on s’est comporté ès offices et oraisons; puis, si l’on trouve quelque faute, l’ajouter aux précédentes, et faire l’acte de contrition, avec un ferme propos de s’amender” (Dir., Art VII; p. 67-68).

Que cet examen du matin dure deux minutes, c'est tout ce qu'il faut. Il est facile d'avoir présents à l'esprit les articles du Directoire auxquels on a pu manquer: le lever, l'oraison, la messe, l'office, le travail, les tentations que l'on a pu avoir, les rapports avec le prochain. En un clin d'œil, on s'est rendu compte de ce qu'on a pu faire de mal. Tenez votre conscience bien épandue devant vos yeux, sans pli, ni repli. Notre conscience doit être très délicate, il ne faut pas qu'un religieux soit scrupuleux, mais qu'il soit généreux et délicat pour éviter toute faute. Jugeons donc, généreusement et sans illusion, ce que nous sommes et ce que nous valons. Vous avez de grands devoirs à remplir, les grands devoirs du sacerdoce et de la vie religieuse. Que ceux qui se préparent à l'ordination se préparent “avec crainte et tremblement” (1 Co 2:3].

Je ne veux pas vous faire le sermon que j'ai entendu le matin de mon ordination à Châlons. Nous étions allés là par 22 degrés de froid. Nous avions couché le soir dans des draps gelés par le froid, après avoir fait une collation avec du cresson. Les bons directeurs du séminaire nous traitaient un peu austèrement. Le matin avant l'ordination, le supérieur du séminaire nous fit une conférence: “Vous vous présentez à l'ordination: en êtes-vous dignes? Qu'est ce qui vous appelle à l'ordination? Interrogez-vous, faites attention, vous pouvez vous tromper. C'est votre confesseur? Votre confesseur peut se tromper”. Et il nous citait des traits à l'appui. J'avais à côté de moi un de mes condisciples, qui malheureusement dans la suite n'a pas bien tourné. “Qu'est-ce qu'il faut faire?” me demanda-t-il. J'avais envie de lui dire: “Va-t-en”.

Je ne tiendrai pas à nos ordinands le même langage que ce bon supérieur et je ne ferai pas tout le vacarme et le bruit qu'il faisait. À un pareil moment, son zèle était bien un peu intempestif. Mais je leur dirai néanmoins: “Préparez-vous avec crainte; c'est une obligation extrêmement grave que vous allez contracter là”. Le prêtre ne vit pas pour lui, mais pour les âmes. Tant vaut l'homme, tant vaut la chose. L'homme par lui-même n'est rien; il ne sera et n'opérera quelque chose que par sa fidélité et sa constance à se tenir uni à Dieu. Dieu le couvre de sa toute-puissance, quand l'homme s'approche de lui; il étend le poids du sanctuaire au niveau de sa fidélité, de son attachement à Dieu. Si votre préparation à l'ordination n'a pas été suffisante jusqu'à maintenant, mettez-vous-y; faites des journées, des heures de fidélité, des journées de conscience. C'est beau la conscience, c'est quelque chose de noble et de digne. On est là, on voit la volonté de Dieu, on l'aime, on la respecte, on s'y attache, on ne veut pas s'en séparer, on y consacre sa vie et son cœur. Voilà le prêtre, voilà la dignité de sa mission. Si vous n'avez pas bien fait encore tout cela — et personne ne le fait comme il faudrait — après l'examen de vos fautes, humiliez-vous, demandez pardon: “Je vous promets, mon Dieu, que je vais commencer”. Faites bien attention à cela, donnez bien le fond de votre cœur au bon Dieu. Une faute de fragilité n'est pas grand chose; elle est possible; on n'est pas impeccable; l'âme quelle qu'elle soit est capable de bien des bassesses et de bien des misères grandes et petites. Mais si nous sommes vigilants, si nous combattons, si nous luttons, si nous nous retournons sans cesse vers le bon Dieu, cela ira.

Quand vous aurez à confesser des religieux ou des religieuses, souvenez-vous de ce que je viens de vous dire. C'est l'esprit de l'Eglise. Que toutes les pratiques religieuses qu'elle approuve  soient tenues par vous en très grande considération.

“Outre cet examen général, les Frères pourront pratiquer le particulier, lequel se fait d’une vertu particulière, qui soit la plus convenable, et qui s’oppose directement aux imperfections auxquelles l’on se sent plus incliné. Et non seulement les Frères peuvent pratiquer cet examen en eux-mêmes; mais encore autour des bonnes Fêtes, et quand le Supérieur le trouvera bon, ils pourront faire quelques entreprises et défis ensemble pour la pratique de quelques vertus” (Dir., Art VII; p. 68-69).

On peut pratiquer l'examen particulier en se conformant aux avis de son directeur, ou bien encore être un peu son directeur soi-même en cette circonstance. Je me sens porté à la sensualité, je vais combattre spécialement cette tendance et essayer de gagner tous les jours quelque chose. A la fin d'un de mes examens ou bien encore à un moment de la journée que je me déterminerai je me demanderai: “Où en suis-je sur tel point?” Voilà ce qu'on appelle examen particulier.

Ils pourront faire quelques entreprises et défis ensemble. Les défis sont très en honneur à la Visitation. Plusieurs autres communautés religieuses, les Jésuites en particulier, en font. C'est très bon pour s'exciter l'un l'autre. En réponse à ceux qui ne veulent pas que les religieux se confessent de l'infraction à leurs Règles et à leurs observances, je vous dirai le sentiment de quelqu'un qui est quelque chose dans l'Eglise, le sentiment du Pape. Léon XIII nous a dit: “Soyez de bons religieux; il faut des religieux pour convertir le monde”. Donc les religieux servent à quelque chose. Les religieux ne sont donc pas comme les premiers venus; et pour devenir bon religieux, il faut tenir ses comptes en règle.

Je vous recommande toute la communauté, à cette époque de Noël. Priez pour nos missions, pour nos œuvres. Que le bon Dieu soit avec nous toujours. Disons bien le “Amen, viens, Seigneur Jésus” (Ap 22:20) qui termine tout ce que saint Jean a écrit. Que Notre-Seigneur vienne à nous, comme il venait à tous ceux qui étaient chargés et fatigués avec lesquels il vint passer sa vie sur la terre pour les conduire au ciel. “Amen, viens, Seigneur Jésus”. Que ce soit le cri de toute notre âme, la prière de notre cœur devant le saint sacrement, à la sainte messe et à la communion.