Chapitres pour les Oblats 1873-1899

      

La fête de Noël

Chapitre du 23 décembre 1891

Préparons-nous avec soin à la fête de Noël qui doit être une de nos fêtes les plus chères et qui nous sera certainement une des plus profitables. Les anges chantent dans le ciel: “Gloire à Dieu au plus haut des cieux et sur la terre paix aux hommes de bonne volonté” (Lc 2:14). C'est une chose extrêmement désirable et importante que la bonne volonté, que d'amener son esprit et sa volonté à ce qui est bien, que de mettre de l'ordre dans ses pensées, ses sentiments, ses actes. C'est ce que l'Eglise s'efforce de nous inspirer dans ses différentes fêtes. Elle n'a pas établi les fêtes pour être seulement des jours de réjouissance, mais elle les a établies pour qu'on se perfectionne, pour qu'on se sanctifie, pour qu'on entre dans l'esprit de la fête. Tous les anciens maîtres de la vie spirituelle, tous ceux qui ont écrit des livres de piété et de spiritualité, saint François de Sales entre autres, insistent sur ce point. Ils veulent que nous nous unissions à la pensée de l'Eglise. L'Eglise a ses saisons, disent-ils, comme la terre, comme le soleil ont les leurs. Chaque saison produit ses fruits ou les prépare. L'année ecclésiastique doit apporter de même à chaque solennité des grâces particulières, des fruits spéciaux.

La fête de Noël doit nous faire abonder en grâces, en lumières sur notre vocation. Elle doit être un point de départ, de réfection, de force pour notre âme en ce qui concerne la vocation religieuse. Elle doit attirer notre dévouement. Il faut que ce grand dévouement naisse en nos cœurs ce jour-là. Le Verbe de Dieu viendra en nous pour nous porter, nous diriger, nous soutenir. Unissons-nous donc à Notre-Seigneur à tout moment. Faisons fréquemment l'aspiration de saint Jean: “Amen, viens, Seigneur Jésus” (Ap 22:20). Appelons en nous par notre fidélité, sa bénédiction et son secours. Tout le monde a ses épreuves, ses difficultés, ses grands travaux. Il est nécessaire que le Verbe de Dieu vienne nous éclairer, nous soutenir, nous resserrer l'un contre l'autre, chacun dans notre emploi. Il faut qu'il resserre dans un même cœur, dans une même prière, nos Pères des différentes maisons, afin que le Sauveur vienne en nous, qu'il élève nos âmes et les remplisse de confiance, et qu'il vienne aussi dans les âmes de ceux que nous devons mener avec nous dans le ciel. Ayons ces pensées et affections-là à l'oraison, dans nos communions, dans le courant de la journée. Si nous soumettons notre âme à ce travail intérieur, si nous l'amenons à cette fidélité, à ces dispositions affectueuses, nous aurons une puissance énorme et des moyens extrêmement efficaces entre les mains.

Faites dans cette intention-là des journées de fidélité, attachez-vous à votre Directoire. Nous avons à faire un emploi; mettons-nous-y avec toute l'exactitude possib1e et alors nous serons bien vraiment à notre place. Le grand mal de notre époque, c'est qu'on ne sait pas se contraindre. Sachons nous contraindre dans l'obéissance, dans l'exactitude et la fidélité, et nous rendrons ainsi gloire à Dieu. C'est l'esprit de la fête de Noël: une ponctuelle exactitude. Les Mages, les bergers, les anges, saint Joseph, tous ont été d'une ponctualité parfaite, et c'est grâce à cette ponctualité qu'ils ont trouvé le Sauveur. La ponctualité est donc le caractère particulier de ce mystère de la Sainte Enfance de Notre-Seigneur. Soyons ponctuels aussi, chacun de nous, dans nos actes, dans nos devoirs, dans nos emplois. Nous ne sommes pas venus, nous non plus, pour être servis, mais pour servir. Soyons fidèles à la Règle, à l'obéissance. C'est si beau, si divin. Un Dieu a voulu passer par là et remplir parfaitement ces conditions de la vie obéissante, de la ponctualité à la loi, à la volonté de Dieu.

L'obéissance, la ponctualité, c'est Dieu avec nous. Sans elles, c'est nous tout seuls, c'est notre personne et rien de plus. Nous, c'est court, c'est triste et bien laid. Ajoutons-y Dieu. Le religieux humble, soumis, c'est si beau. Il a peur de manquer, mais de cette crainte humble et respectueuse qui est le commencement de la sagesse. Ce n'est pas la crainte de l'enfer qui le fait marcher, la crainte de voir le tonnerre tomber sur sa tête, mais la crainte d'offenser Dieu, de lui faire de la peine. Est-il rien de plus beau? La cloche sonne, on va à sa surveillance, à sa classe. Si on y va comme une machine, c'est triste, mais, si c'est un autre motif qui anime, si c'est la voix de Dieu qui appelle, si on est l'esclave de Notre-Seigneur, de sa volonté et que l'on soit tout entier à cette volonté, c'est grand, beau, bon. Notre personnalité est toujours mauvaise. Le bon, c'est d'être uni à Dieu, c'est l'amour de Dieu, dévoué et généreux. Le Verbe de Dieu abandonne sa personnalité divine, pour ainsi dire, il s'anéantit, il se fait petit enfant, un rien.

Voulez-vous vous rapprocher de Dieu? Anéantissez-vous aussi, devenez un rien. Les âmes les plus dignes, les plus fortes, sont celles qui marchent dans cette voie-là. Elles ont toujours la crainte d'offenser Dieu, de manquer à la moindre petite chose, “avec crainte et tremblement” (1 Co 2:3). Ayez cette délicatesse de conscience et de cœur vis-à-vis de Dieu, dans vos emplois. Ne brassons pas cela. Ne soyons pas des hommes de peine travaillant à la journée. Traitons-nous plus dignement et de plus haut, et alors le Seigneur viendra en nous et nous le donnerons aux hommes. Voyez le démon, voyez les efforts qu'il fait pour empêcher le calme et la tranquillité. Voyez les francs‑maçons et leurs agitations et leurs distractions. Ils tirent à droite, ils tirent à gauche, ils troublent, ils mettent le désordre. “Rentrez en vous-mêmes” (Is 46:8). C'est dans le cœur que le Sauveur habite; il travaille avec nous; il veut nos affections. Appelons donc le Sauveur avec les patriarches et les prophètes. Appelons-le dans notre cœur, dans notre vie. Qu'il y règne et nous conduise avec lui dans le ciel. Voilà quelle doit être notre vie sur la terre. Voilà la vie des saints et des religieux

Voyez saint Bernard. Cette ponctuelle fidélité se montrait en toute circonstance, elle déteignait sur tout. Saint Augustin disait: “Est-ce que moi aussi je ne pourrai pas ce qu'a fait celui-ci, celui-là?”. Cette pensée le convertit. Mettez du cœur à votre besogne. M. Harmel, du Val-des‑Bois, l'homme que j'aime le mieux au monde, couche sur la planche, i1 jeûne, il mène la vie des plus austères religieux. Il se soumet à ce que lui dit son confesseur, point par point. S'il vivait bourgeoisement, chassant, aimant les bons déjeuners, quelle différence d'influence et d'action! Je cite M. Harmel parce que je lui demandais un jour:   “Avec quoi faites-vous tout cela?” — “Avec le cœur”, me répondit-il .

Il faut mettre du cœur à ce que l'on fait; il ne faut pas être une poule mouillée. Prenons pour nous ce que les gens de Nazareth disaient à Notre-Seigneur: “Médecin, guéris-toi toi-même” (Lc 4:23). Prions la bonne Mère, si dévote à ce mystère de Noël, que le Verbe venant à nous se donne et se manifeste à nous et par nous.