Chapitres pour les Oblats 1873-1899

      

Les Oblats, signe de contradiction

Chapitre du 14 octobre 1891

“O Fils des colloques célestes, je vous prie, ains je vous conjure de sentir tous un même amour, et de vivre tous en un même accord de cette vocation en Jésus-Christ Notre-Seigneur, et en sa Mère Notre Dame. Amen” (Dir., Désir à l’imitation de celui de S. Paul, p. 14-15).

Voilà le voeu de notre saint Fondateur: que nous vivions en grande union avec Dieu et en grand accord les uns avec les autres dans notre vocation. Voilà le fondement sur lequel il a établi sa Congrégation de la Visitation, et sur lequel est posé notre Institut à nous aussi. Il y a une remarque à faire. Les Oblats de saint François de Sales qui ont à mener une vie toute intérieure, toute spirituelle, toute surnaturelle, ne sont pas compris par un grand nombre de personnes. Ceux que Dieu lui-même éclaire, auxquels il fait voir l'excellence de cette vie, nous comprennent et nous apprécient, mais les âmes qui n'ont pas cette lumière de Dieu ont une certaine peine à nous comprendre, elles ressentent pour nous de l'opposition, de l'aversion. Je ne parle pas seulement des mauvais: ceux-là sans aucun doute nous sont opposés, comme ils le sont à toutes les communautés religieuses. Je parle de bons prêtres, de personnes chrétiennes, vertueuses, qui ne comprennent pas notre manière de faire, notre genre de vie, qui s'en choquent, qui s'en indisposent contre nous.

Il n'est pas besoin d'être prophète pour signaler dans ce sentiment-là la cause de certaines aversions, de certaines difficultés plus ou moins grandes qui peuvent survenir ou sont déjà survenues. Comme nos vues doivent être surnaturelles, nos moyens surnaturels, ceux qui s'attachent surtout aux moyens humains ne peuvent pas nous comprendre de prime abord. “Qu'est-ce que c'est que ces gens-là”, disent-ils? “Ce sont des gens à secret; ils ne sont pas comme tout le monde”. Pourquoi? Des questions d'intérêt, d'amour-propre, de préséance, que sais-je? nous créeront des ennemis. D'autres se blesseront de voir notre petitesse et notre humilité, de voir que nous n'exigeons pas notre droit strict, que nous nous mettons de l'avis des supérieurs, que nous nous mettons au-dessous des autres: “De là les colères” -[“Inde irae”]. Chaque ordre religieux a ses luttes et ses combats; les luttes que nous aurons à subir ne sont pas des moindres.

C'est ainsi que saint François de Sales lui-même a lutté et combattu. Tout le monde dit beaucoup de bien de lui maintenant; de son temps il était en suspicion à beaucoup d'ordres religieux. On lui demandait pourquoi il n'essayait pas de fonder une congrégation de prêtres au lieu de s'occuper de femmes. Il répondit: “Des prêtres? J'ai essayé; je suis arrivé à en former un et demi”. C'était, je pense, M. Michel, le confesseur de la Visitation et son confesseur, et Mgr Camus. Du reste Notre-Seigneur n'en a pas converti beaucoup plus pendant qu'il était sur la terre. On dit qu'il y a à Annecy un coffre énorme, rempli de choses désagréables à notre saint Fondateur, de procès, de difficultés, de lettres. Plusieurs traits de la vie de notre saint Fondateur du reste font foi de ces luttes. Quand il faisait construire l'église de la Visitation qu'on vient de racheter, un Frère Capucin qui avait l'habitude de venir quêter au monastère de la Visitation détourna une rigole d'eau et l'envoya inonder les fondations. La Mère de Chantal s'indigna contre cet acte gratuit de méchanceté: “Mon Frère, dit-elle au Capucin, vous viendrez maintenant demander la charité!” — “Oui, oui, ajouta le bon Evêque, oui, mon Frère, vous reviendrez et l'on vous donnera un peu plus qu'on ne vous donnait auparavant”.

Les choses qu'établissait notre saint Fondateur et que tout le monde trouve très bien maintenant ont soulevé des luttes incomparables. La fondation de la Visitation a été le début de difficultés énormes. Tous les évêques blâmaient notre saint. L'archevêque de Lyon cloîtra ses religieuses malgré son avis: il changea toute la forme de l'Institut. Comme les motifs par lesquels agissait le saint évêque étaient tout surnaturels, tout le monde se mettait contre lui. Ces épreuves qu'a subies saint François de Sales sont quelque chose de très particulier et de très remarquable. La contrainte qu'il se fit pour être toujours doux et gracieux à l'égard de ses contradicteurs est telle, vous le savez, que sa violence produisit un phénomène physiologique curieux. Son fiel se dessécha et se durcit, comme calciné par la violence de l'effort.

Tout ce que je viens de vous dire là est un préambule pour arriver à vous montrer ceci, c'est qu'une des grandes conditions de l'existence qui attend les Oblats, c'est la contradiction: “Un signe en butte à la contradiction” (Lc 2:34) Cette contradiction, nous la rencontrerons chez nos confrères, au dedans et au dehors, chez nos élèves. La manière dont nous en userons est très importante pour nous. Attachons-nous à en bien profiter. Le matin faisons bien là-dessus notre oraison; prévoyons les circonstances que le bon Dieu nous enverra de nous renoncer, d'adhérer à sa sainte volonté. Rendons toujours notre cœur souple et doux à l'endroit des permissions ou volontés divines. C'est le moyen de tirer de tout cela du profit et une grâce réelle pour nous et pour les autres. Je tiens beaucoup à ce que cette doctrine-là soit toujours la nôtre, que nous la comprenions bien. Elle nous servira à nous sanctifier, à sanctifier chaque membre de l'Institut, à accroître cet Institut et à aider vraiment la sainte Eglise.

Prenons la résolution aujourd'hui d'accepter les contrariétés, les tracas doucement et péniblement, d'offrir tout cela au bon Dieu comme le faisait saint François de Sales et de nous tenir par là unis à lui. C'est ce qui donnait aux Saints la force et la confiance, au milieu des croix, des contradictions, des envies. C'est notre manière à nous de vaincre, de monter à l'assaut, de nous lancer en avant. Nous n'allons pas à force de poings et de jarrets, mais en nous renonçant et en souffrant. Ce n'est pas aussi encourageant, pour la nature, mais nous sommes plus sûrs du succès. Nous ne sommes pas seuls à l'assaut. Nous avons Dieu avec nous, il nous soutient, il nous soulève. Prions saint François de Sales de nous faire bien comprendre cet enseignement. C'est avec cette doctrine que nous vivrons tous d'un même accord en cette manière de vie et qu'il répandra sur nous l'abondance des bénédictions qu'il promet.