Chapitres pour les Oblats 1873-1899

      

L’office et les Pater

Chapitre du 6 mai 1891

Il faut réciter l'office divin avec piété et intelligence. Avec piété unissez‑vous au bon Dieu, demandez-lui sa grâce; faites bien ce que recommande le Directoire. Priez pour la sainte Eglise, pour la communauté, pour nos Œuvres. Récitez le saint office avec intelligence, appliquez-vous à comprendre ce que vous dites. Les psaumes, les leçons de la Sainte Ecriture, des Saints Pères, les légendes des saints, voilà un trésor de pieuses et saintes pensées, qu'il faut noter à notre loisir sur notre cahier, sur nos feuilles.

Je recommande de nouveau et sans cesse cette habitude d'avoir un cartable renfermant des feuilles volantes, rangées par ordre alphabétique, où l'on écrit les pensées remarquables que l'on a lues, entendues, et que l'on veut conserver. Il ne faut pas beaucoup de temps pour prendre ces quelques notes, et cela fait un fonds précieux, un riche cartulaire qui demeure. Etudiez ainsi la Sainte Ecriture, l'histoire ecclésiastique, la vie des saints, notez ce qui vous viendra de bonnes pensées, de lumières, de sentiments. Vous retrouverez tout cela au temps où vous en aurez besoin. Avec cela vous serez intéressants et utiles. Parler d'abondance ne mène pas bien loin. Il faut de la doctrine, du sérieux, du fonds. La doctrine a pour base la Sainte Ecriture, les écrits des Saints Pères, la théologie, l'histoire. Vous n'avez pas le temps peut-être de faire une étude spéciale de chacune de ces parties; dites attentivement votre bréviaire, notez ce qui vous aura frappé, vous trouverez là de grandes ressources. Les Bénédictins donnent une attention et une sollicitude spéciales à la célébration du saint office; voyez, comme tout ce qu'ils disent et écrivent est admirable. Un grand nombre de religieux vivent exclusivement de la sainte Liturgie. Les femmes elles-mêmes, les Bénédictines disent et écrivent fort bien. J'ai vu des choses fort remarquables à ce sujet. L'office divin agrandit l'âme; il ouvre les idées. C'est une mine féconde dont nous ne savons pas toujours tirer parti. Je ne veux pas dire qu'il faille faire du bréviaire, de la sainte messe une étude en règle; non, mais simplement, pieusement, soyons attentifs à ce que nous disons, et recueillons les vues, les lumières, les sentiments que Dieu nous enverra à l'occasion de telle ou telle parole. Notons cela, ces pieux souvenirs ont leur valeur; ils font du bien à nous et aux autres.

Ne notez pas trop cela sur un cahier, il pourrait vous advenir ce qui m'est arrivé. J'ai essayé dix fois de noter ainsi mes pensées, j'ai toujours déchiré ou brûlé ce cahier. En prenant des feuilles séparées, vous n'aurez pas cela à craindre. Vos pensées seront mêlées à vos autres notes et l'entourage les sauvera. Sans notes vous deviendrez bientôt un pauvre docteur, vous tournerez dans le même cercle d'idées, vous deviendrez fastidieux à vous‑même et aux autres. On ne peut pas manger trois fois et dix fois la même chose. Remarquez bien que, quand vous enseignez, toutes les fois qu'une chose vous a frappé vous‑même, qu'elle vous a éclairé, vous la dites d'une façon intéressante, tout le monde vous écoute. L'impression qu'elle vous a faite, vous la communiquez aux autres. C'est le secret de toute éloquence. Il y a là quelque chose de vif, de vrai, de personnel.

Je vous citerai un fait à propos de ces lumières que l'on peut trouver dans la sainte Ecriture. Mgr de Prilly, évêque de Châlons, a trouvé moyen de faire un livre de méditations sur le psaume “Heureux, impeccables en leur voie” (Ps 119). Il y a là 100 ou 120 versets qui répètent continuellement la même chose et roulent sur la même idée. C'est un livre de méditation, charmant, délicieux. De bons curés de ce temps-là s'en servaient pour leur méditation et en retiraient de grands fruits. Un grand principe, c'est de ne jamais aller chercher midi à quatorze heures. Voilà le bréviaire que l'Eglise nous a mis entre les mains. Profitons-en. Que ce soit un fonds sur lequel nous puissions nous appuyer.

Lisez à loisir les prières du bréviaire, celles de la Messe; d'un bout à l'autre vous verrez qu'il y a dans chaque prière une profonde doctrine. Vous avez un mot à dire, une instruction, à faire à la messe, vous n'avez pas grand temps pour la préparer, prenez une des pensées qui vous seront venues pendant la sainte messe, sur le sacrifice de Jésus-Christ, sur les saints dont c'est la fête. Dans le communicantes, il y a des pensées ravissantes quand on les médite. Rien n'élève et n'encourage davantage les âmes que ces grandes et belles pensées de la communion des saints. Nous prononçons ces paroles tous les jours, et nous n'y faisons pas attention. Il faut que la sainte messe, le saint office soient tout pour nous. C'est là qu'il faut aller chercher nos inspirations. Voyez ce que fait notre Saint-Père le Pape, il ramène tout à ce grand principe. Il fait dire à la fin de la messe des Ave Maria, un Salve Regina. Ce n'est pas une dévotion personnelle à la sainte Vierge qu'il impose à tout le monde. Il faut prier contre le diable. Le Pape ajoute cette prière à la messe. Il se sert de tout ce que tout le monde comprend, sait, aime pour diriger ainsi contre le diable l'intercession de l'Eglise universelle. Il prend ce qu'il a entre les mains et qui est entre les mains de tout le monde. Faisons de même.

Je le répète. Ce qui nous vient pendant la prière et l'oraison, pendant la récitation du bréviaire et pendant la sainte messe bien dite ou bien entendue, ce sont des lumières qu'il faut recueillir, de “l’or purifié” (Ap 3:18).  C'est cet or chaud, brûlant, qui communiquera la chaleur et la vie, en enrichissant ceux à qui nous le donnerons.

Les Frères disent l'office des Pater et Ave. Il faut qu'eux aussi prennent bien les pensées que nous suggère saint François de Sales. Qu'ils récitent leurs Pater et Ave avec leur ange gardien, leurs saints patrons, la bonne Mère Marie de Sales. Alors on se sent aidé; il arrive de bonnes et saintes pensées. Eux aussi auraient leur petit carnet pour écrire le petit mot du bon Dieu qui les a touchés, que ce serait une fort bonne chose. On reverrait cela par après, et cela ferait encore du bien. Les Frères ne sont pas appelés à la besogne matérielle seulement; ils peuvent aussi avoir à faire le catéchisme. Voyez ceux qui sont au Cap. Ils peuvent avoir presque autant d'influence que les Pères; ils ont moins de science sans doute, mais ils peuvent aussi mieux se mettre à la portée de certaines âmes, mieux leur parler leur langage, comprendre et réfuter leurs objections. Il est donc bien à propos que les Frères eux aussi ne négligent pas ce que Dieu leur donne. Rappelez-vous le Pater du roulier, et tout ce que le bon Dieu lui donnait. Nous recevons les lumières du bon Dieu par la prière et par les sacrements. Nous ne pouvons pas user des sacrements tous les jours et toute la journée; par conséquent notre moyen de communication avec Dieu le plus fréquent, le plus ordinaire, c'est encore la prière. C'est la prière qui nous donnera les lumières du Saint-Esprit.

Attachons‑nous bien à notre office, disons‑le avec attention et piété. Le saint office nous parlera, nous instruira, nous éclairera. Attachons‑nous aussi tout particulièrement à l'office qu'indique notre saint Fondateur, l'office des Pater et des Ave. Répandons‑le et enseignons‑le. Il deviendra le petit office des Associés de saint François de Sales. Nous sommes tellement surmenés, distraits, jetés à droite et à gauche que nous n'aurons, si nous n'y prenons garde, plus guère grand-chose sur quoi nous appuyer. Attachons‑nous donc très cordialement à notre office, à notre office récité avec le Directoire, avec grande religion et grande foi. Il sera notre soutien et notre consolation. Nous trouverons du cœur avec lui. Notre vie ne sera pas sèche, isolée, détachée de Notre-Seigneur, ne nous laissera pas orphelins.