Chapitres pour les Oblats 1873-1899

      

La direction d’intention

Chapitre du 22 avril 1891

“Les Frères qui voudront prospérer, et faire progrès en la voie de Notre-Seigneur, doivent au commencement de toutes leurs actions, tant intérieures qu’extérieures, demander sa grâce, et offrir à sa divine bonté tout ce qu’ils feront de bien, se préparant ainsi à supporter toute la peine et mortification qui s’y rencontra, avec paix et douceur d’esprit, comme provenante de la main paternelle de notre bon Dieu et Sauveur, duquel la très sainte intention est de les faire mériter par tels moyens, pour par après les récompenser de l’abondance de son amour. Et qu’ils ne négligent point ceci ès choses petites et qui leur semblent de petite importance; voire même si on les emploie à des choses qui leur soient du tout agréables, et conformes à leur volonté, comme de boire, manger, se reposer, et récréer, et choses semblables; afin que suivant le conseil de l’Apôtre, tout ce qu’ils feront soit fait au nom de Dieu et pour son seul plaisir” (Dir., Art. III; p. 32).

Ce chapitre-là, c'est la substance de la doctrine évangélique. Il nous enseigne pratiquement l'union de notre volonté, l'union de notre intelligence avec Dieu, non pas seulement en général, en des termes vagues, mais pratiquement, je le répète, en toute circonstance, de telle sorte que nous accomplissions le précepte, le conseil de l'Apôtre: “Soit que vous mangiez, soit que vous buviez, et quoi que vous fassiez, faites tout pour la gloire de Dieu” (1 Co 10:31). C’est-à-dire: en toute chose soyons unis à Notre-Seigneur Jésus-Christ. Vous pouvez remarquer comment tout du reste dans notre Règle concourt à amener cet état-là, à nous faire prendre cette habitude. Rien n'est extérieur dans notre vie spirituelle.

Nous devons nous sanctifier dans toutes les conditions et toutes les circonstances, c’est-à-dire que nous devons unir sans cesse notre volonté à la volonté divine, en nous affectionnant à toutes les vertus que nous devons pratiquer, dans la souffrance et dans l'épreuve. Peu importe la manière dont nous nous unirons à Dieu, cela est indifférent, pourvu que nous allions à lui par la croix, par le renoncement à notre volonté et à notre esprit pour nous unir à la volonté et à la pensée divines: tout est là. C'est avec raison que notre saint Fondateur dit que si nous voulons faire progrès et prospérer en la voie de Notre-Seigneur, il faut nous unir à lui en chacun de nos actes, l'un après l'autre, dans les actes intérieurs aussi bien que dans les extérieurs, dans nos pensées, dans nos prières, dans notre travail, dans nos travaux intellectuels, nos études, nos réflexions.

Soyons fidèles à la direction d'intention, quand nous passons d'un acte à un autre, d'un ordre d'idées, de réflexion à un autre. C'est une habitude à prendre. Lorsqu'on s'y met de bon cœur, on a bientôt fait d'en prendre l'habitude, et cela devient naturel. Il ne faut pas pour cela aller chercher bien loin: Notre-Seigneur est là près de nous. Demandons-lui sa grâce pour faire convenablement ce que nous avons à faire, à étudier, pour ne pas nous tromper à la suite de notre propre volonté, pour bien conduire les âmes que nous avons à gouverner. Demandons- lui que notre main soit adroite pour que nous puissions arriver à bien dans le travail qui nous est confié. Demandons cette grâce à Dieu pour toutes nos actions. Offrons ensuite toutes ces actions à Dieu; ne les faisons pas pour nous, mais pour lui. Et aussi acceptons par avance la croix. Tout travail est une peine. Si notre travail nous plaît, Dieu permettra quelque ennui inhérent à l'œuvre, ou provenant d'une autre cause. C'est ce qui bénit notre travail et lui donne son mérite, sa saveur. Dieu ne permet pas que notre vie soit insipide et sans caractère. Habituons-nous de bonne heure à ne jamais dire: “C'est assez”, et surtout: “C'est trop”. Si Dieu trouvait qu'autre chose fût mieux, il nous le donnerait. Il faut accepter tout avec force et résignation. La grâce est toujours là pour nous aider à porter la peine et mortification.

“... se préparant ainsi à supporter toute la peine et mortification ...” — La peine, c'est déjà beaucoup, la mortification est pire encore. La mortification, ce sont les humiliations, les froissements. Acceptons tout. Faisons comme Notre-Seigneur: “Au lieu de la joie qui lui était proposée [Jésus] endura une croix, dont il méprisa l’infamie” (He 12:2). Agréons toute peine et mortification comme venant de Dieu. C'est par ce petit chapitre-là que s'est sanctifiée surtout la bonne Mère. Quelque événement, quelque épreuve qu’il arrivât, à elle ou à la communauté, elle avait la paix en elle, la douceur d'esprit. C'était sa grande sainteté. Elle recevait tout avec reconnaissance et action de grâces. C'était tout son secret.

Avec cela on n'a pas besoin de chercher rien d'extraordinaire pour se sanctifier. Voilà les matériaux de l'édifice, voilà les effets de notre commerce spirituel. Nous avons là devant nous, entre les mains, tous les éléments de la sainteté, de la plus grande sainteté, de celle que Dieu lui-même a choisie pour nous.

En comprenant bien et pratiquant cette manière de faire, notre vie devient sage et forte, nous marchons avec une grande assurance. Nous recevons tout de la main de son père, les témoignages de son affection. L'acceptation de la volonté divine faite dans ces dispositions est assurément une grande marque d'union au bon Dieu. Quand on va dans ce sens, on est assurément en train de faire son chemin du côté de la sainteté. Dieu récompense par le don de son amour ceux qui marchent dans cette voie. Ils reçoivent non pas seulement pour eux, mais aussi de quoi donner aux autres. C'est une véritable communion, dans laquelle il s'unit fortement à nous. Voilà le secret de notre force. C'est à cette mesure-là que l'on doit mesurer les Oblats.

Affectionnez-vous donc bien à cet article. Nous nous rendrons cette pratique plus facile, nous deviendrons agréables à Dieu, en acceptant de la main paternelle de Dieu, non seulement nos croix et souffrances, mais tout, quand nous mangeons et buvons, quand nous avons faim et soif, quand nous nous reposons, quand nous sommes fatigués, que ce soit une petite fête pour nous, réjouissons-nous! Voyons là la volonté de Dieu, unissons-nous à elle, correspondons à ses desseins sur nous.

Je me rappelle une lettre que m'avait écrite l’abbé de Mallet, alors que j'étais encore au séminaire: “Ne faites pas beaucoup d'exercices, me disait‑il. Un seul suffit: unissez votre volonté à tout ce que Dieu demandera de vous, et ainsi vous deviendrez un prêtre selon son cœur”. Et effectivement c'est un exercice continuel de toutes les vertus que cette union à Dieu. Il n'y a pas à chercher, à inventer. Ce qui est là, c'est tout ce qu'il nous faut. Nous trouverons Dieu dans les moindres petites choses. Il y a là de quoi nous rendre plus saints que tout ce que nous pourrions imaginer. Chacun de nous demandera cette grâce pour soi et pour les autres. Nous sommes dans le temps pascal. C'est le temps de l'âme religieuse. Notre-Seigneur apparaît à ses Apôtres, à ses disciples. Ce sont des visites toutes de charité, toutes intérieures, qui apportent un grand bien à l'âme. Saint Thomas a été confirmé dans la foi, les Apôtres ont été consolés, Notre-Seigneur leur a donné le pouvoir de lier et de délier les péchés, il a prédit l'avenir de l'Eglise, il a donné un enseignement tout spécial pour les Apôtres. Il leur a appris à prêcher, il leur a parlé plus clairement, plus affectueusement qu'il ne l'avait fait pendant toute sa vie. Il mange avec eux. Pendant sa vie, il mangeait avec eux dans le désert du pain, quelques poissons. Après sa résurrection, il y joint un rayon de miel au le bord du lac. Profitons bien nous aussi du temps pascal, et entrons pour cela dans l'esprit de la direction d'intention. Tout ce qui peut être apparent, c'est bien: le zèle, l'apostolat, le sacrifice, le martyre, mais tout cela se trouve enfermé dans la direction d'intention. C'est là qu'on trouve le moyen de tout bien faire, de tout supporter, et d'arriver au point de sainteté que le bon Dieu a marqué pour nous. Sanctifions-nous ainsi ici-bas pour être glorifiés au ciel.