Chapitres pour les Oblats 1873-1899

      

Méthodes pour faire oraison

Chapitre du 15 avril 1891

La vie d'oraison est la vie propre du religieux. Les premiers religieux, saint Pacôme, saint Antoine, saint Paul, menaient une vie d'oraison continuelle. Les règles des anciens ordres religieux témoignent de fréquentes prières. L'oraison était quelque chose d'habituel pour eux; c'était essentiellement une vie de prière. En dehors de la prière, vraiment il n'y avait rien pour eux. Sans doute ils travaillaient; mais le travail était comme enchâssé, englobé, fondu dans l'esprit d'oraison. Ils pratiquaient plus ou moins l'oraison, la méditation, comme on l'a appelée dans la suite. Ils n'en faisaient peut-être pas un exercice distinct, à part, comme on fait maintenant. Lleur vie était une oraison perpétuelle. C'était une disposition constante du cœur et de la volonté, et de l'esprit, à se retourner sans cesse vers le bon Dieu. Voilà le vrai sens du mot religieux, relié à Dieu, “religatus”.

En dehors de cet esprit d'oraison, qui doit être notre vie à nous aussi, nous avons un exercice particulier qui s'appelle l'oraison. Il y a de nombreuses méthodes d'oraison. On a beaucoup écrit sur l'oraison. Quelquefois on a un peu fait erreur. On a confondu l'étude, la méditation, avec l'oraison proprement dite. L'oraison, d'après la définition qu'en donnait la bonne Mère, c'est un entretien cordial, affectueux, avec le bon Dieu. L'oraison peut se faire de bien des façons. Il y a, je le répète, même pour l'oraison entendue dans son vrai sens, bien des méthodes. Ce temps de l'oraison peut être, pour un assez grand nombre d'âmes, un temps de sécheresse, où l'on ne voit rien, où l'on ne sent rien.

Quand on est ainsi dans la sécheresse, il y a deux moyens de se tirer d'affaire pour l'oraison: ou bien prendre un livre et méditer, ou plus parfaitement, mieux encore, se tenir là très humblement uni à la volonté de Dieu,” comme “un chef d’oeuvre de lourdeur”(Ps 73:22; voire note b dands la BJ). Humilions-nous, restons là sans parole, si nous n'en avons pas, sans exercice de la pensée, de la volonté, si nous ne pouvons faire autrement. L'âme qui fera cela généreusement gagnera beaucoup. C'est la meilleure manière d'agir en temps de sécheresse. Il n'y a pas à chercher à faire autrement son oraison. Il suffit de se tenir en esprit au pied de la croix de Notre-Seigneur, ou au pied de rien du tout , si nous ne pouvons même pas aller jusqu'à la croix. Là faisons un acte généreux d'humiliation, d'anéantissement.

Voilà de toutes les méthodes d'oraison celle qui est préférable, celle qui est la plus profitable. Il faut du renoncement pour en arriver là, ce n'est pas facile. Mais nos efforts seront bien récompensés. Cette oraison d'anéantissement devant Dieu, c'est l'oraison du publicain dans le temple, qui se frappe la poitrine sans oser lever les yeux. Cet exercice, je le répète, est la part d'un grand nombre. Bien des âmes, toutes les fois qu'elles ont à parler au bon Dieu, se trouvent dans l'impuissance de lui rien dire. C'est un exercice vraiment méritoire que de se trouver là devant Dieu, sans cœur, sans volonté, avec des pensées étrangères. Faites l'oraison comme je vous dis, et vous recevrez des fruits extrêmement abondants. Mettez Dieu à votre place, et qu'il ne reste plus rien de vous-mêmes. Apprenez cela aux personnes, enseignez-leur cette manière de faire. Cette oraison-là est la plus difficile.

La seconde méthode d'oraison que je conseillerai ensuite est la préparation de la journée devant Dieu. De même que le marchand prépare son étalage, l'ouvrier ses outils, il faut que nous aussi nous préparions notre journée, nos communions, notre travail, nos difficultés, nos rapports avec les élèves, avec le prochain, avec nous-mêmes, nos résistances à la tentation. Il faut préparer sa journée devant Dieu et en Dieu. Toute âme qui appelle le bon Dieu à son secours, obtient certainement le secours du bon Dieu: elle a en mains le moyen de réparer ses faiblesses et ses fautes. Dans telle ou telle circonstance il arrive qu'elle manque de courage. Seigneur, soyez avec moi, éclairez-moi, illuminez-moi.

Saint Bernard disait qu'il ne savait rien, qu'il n'avait rien dans l'intelligence ni dans la pensée qui ne lui vînt de Dieu. Attachons‑nous, nous aussi, à la lumière divine. Dans nos études, demandons la grâce de comprendre et de savoir: c'est là le grand moyen. De nous-mêmes, nos ressources sont si minimes et si courtes! Vous pourrez toujours arriver par le moyen de l'obéissance et de la confiance. Dites au bon Dieu le matin: “Donnez-moi votre lumière; je vous la demande maintenant d'avance. Pendant que j'étudierai, je vous la réclamerai encore. Si j'oublie alors de vous invoquer, pensez-y pour moi, mon Dieu, et donnez-moi alors ce qu'il me faudra”.

Voilà la vraie méthode d'avoir le bon Dieu avec soi. Une troisième méthode d'oraison, c'est celle qu'il est bon d'employer dans quelques circonstances particulières. Voilà une première communion, une grande fête, Pâques ou Noël, un pèlerinage, une occasion spéciale. Nous ressentons un vif attrait du bon Dieu pour nous occuper de telle ou telle manière dans l'oraison, nous avons une grâce toute particulière à demander, suivons cet attrait. Occupons‑nous de ces pensées que Dieu nous donne, varions‑les, quand nous sentons que nous retombons sur nous-mêmes.

Un jour où vous serez fatigué, épuisé, vous pouvez bien vous servir aussi de votre petit memento des devoirs journaliers, de votre Directoire lui‑même, en le suivant pas à pas, en prenant l'un après l'autre chacun des exercices, ou vous arrêtant plus particulièrement sur l'un d'eux: le lever, la direction d'intention, etc. Cette dernière manière est très bonne en voyage. Prenez l'exercice de la préparation, votre livre en main, et suivez tout ce que recommande notre saint Fondateur. En voyage ou quand vous serez fatigué, distrait, vous aurez ainsi une excellente ressource pour tenir votre esprit plus attentif à Dieu. N'oubliez pas dans votre oraison de recommander votre journée au bon Dieu, de bien vous mettre sous sa protection et de lui demander de veiller sur vous.

Vous n'avez pas pu faire votre oraison le matin: suppléez-y dans le courant de la journée; trouvez un moment pour la faire. Si vous ne pouvez absolument pas, dites alors: “Mon Dieu, je ne peux pas vous donner une demi‑heure, je vous donne toute la journée, avec d'autant plus de bonne volonté que je n'ai pu ce matin accomplir mon devoir quotidien”. Et efforcez‑vous de faire toutes vos actions dans l'union la plus intime avec le bon Dieu. Notre saint Fondateur a bien raison de dire que l'exercice de l'oraison est l'un des plus importants de la vie religieuse. C'est l'oraison qui fait les saints. Ce qui a fait la bonne Mère, c'est l'esprit d'oraison. C'est surtout à l'oraison du soir qu'elle s'occupait avec le bon Dieu de sa charge, des âmes, du gouvernement de la maison, de ses peines et de ses difficultés. Devenons de bons religieux, afin d'avoir du monde. Ce qui attire des novices, ce sont de bons religieux. L'odeur, le parfum du bon religieux attire d'autres âmes qui viennent. Attirons‑en par notre esprit d'oraison.