Chapitres pour les Oblats 1873-1899

      

Les “souhaits particuliers”

Chapitre du 25 février 1891

“Nous n’avons aucun lien, que le lien de la dilection qui est le lien de la perfection: car la dilection est forte comme la mort, et le zèle d’amour ferme comme l’enfer. Comme donc pourrait-on avoir des liens plus forts que les liens de la dilection, qui est le lien de la perfection?” (Dir., p. 10-11).

Saint François de Sales a écrit ces lignes en tête du Directoire pour nous faire voir la place fondamentale que la charité doit occuper dans nos intentions et l'estime profonde en laquelle nous la devons tenir. Quand il a écrit cet article, il n'avait pas encore jugé à propos de faire faire aux Visitandines les trois vœux religieux. La pensée intime qui le dominait et le conduisait était de faire une congrégation sans vœu, avec la simple promesse de la charité fraternelle. Il était très novateur, notre saint Fondateur. Non seulement il a enrichi l'Eglise d'une doctrine qui témoigne d'un génie profond, mais il a ouvert des horizons tout nouveaux. Pourquoi a-t-il rencontré autour de lui de si grandes difficultés, pourquoi cette opposition qui s'est formée contre toutes ses entreprises? Parce qu'on sentait que sa marche n'était plus dans le chemin ordinaire. Lui pourtant affirmait que ses pensées ne venaient point de lui, qu'elles étaient inspirées par l’Esprit-Saint. Saint François de Sales, en prenant pour base l'unique lien de la charité, concluait qu'on pouvait atteindre à la perfection religieuse en observant la charité fraternelle. La charité ne couvre-t-elle pas la multitude des péchés? Et la charité pour le prochain est-elle moins efficace que la charité envers Dieu?

Ce qu'on fait pour Dieu, par charité, est un moyen infaillible d'obtenir le pardon de ses fautes: c'est la destruction radicale du péché. Le péché ne peut pas résister davantage à la charité envers le prochain. La pratique de cette charité fait la beauté, la splendeur de la vie religieuse. Elle en fait aussi le bonheur et la félicité. Les sacrifices, les peines qu'apporte cette pratique, sont largement compensés par les joies qu'elle apporte, par les chagrins qu'elle évite. Quand on pratique parfaitement la charité, le bon Dieu donne entièrement, absolument tout ce dont on a besoin pour bien remplir toutes ses obligations.

Ce sera une bonne chose, pendant ce temps de carême, que nous fassions tous le vœu de charité envers le prochain. La pratique de la charité est en effet, au premier chef, la pratique de la mortification. Il faut sacrifier ses goûts, ses inclinations, ses idées. Vous jeûnez: c'est la mortification de votre estomac, de votre appétit. Vous pratiquez la charité fraternelle, vous mortifiez tout votre être, c'est le “sacrifice perpétuel” (Dn 8:11], et en même temps l'holocauste qui nous fait donner tout à Dieu.

Pendant ce carême, appliquons-nous donc tout particulièrement à la pratique de la charité, de la dilection envers le prochain. Cela produit beaucoup de bien au dedans, et c'est aussi ce qui produit le plus d'effet au dehors: “Voyez comme ils s'aiment!” Ce qu'on disait des premiers chrétiens doit être le caractère distinctif des Oblats: “Un seul coeur, une seule âme” (Ac 4:32). La charité doit nous donner cette unique manière de voir et de juger, qui fera notre force. Nous n'aurons pas de difficulté, en marchant dans ce sens, à suivre la voie de la raison. Nos principes ne seront pas hasardés; nous ne serons pas établis sur des bases variables. Toute notre physionomie reflétera quelque chose de droit, de simple, de régulier.

Que ceux donc qui veulent avancer dans la pratique de la vertu, comme dit le Directoire, s'exercent tout particulièrement à la charité pendant cette semaine, pendant ce carême. Chaque fois que nous aurons pratiqué quelque acte de charité envers le prochain, nous aurons assurément gagné beaucoup. La pratique de la charité fraternelle est le meilleur moyen pour aller à Dieu, en ce sens qu'il est le plus sûr. On ne peut pas se tromper, se faire d'illusions en la pratique de cette vertu comme on peut s'en faire même dans la pratique de la charité envers Dieu. C'est du reste le commandement spécial de Notre-Seigneur, “mon commandement” (Jn 15:12). Notre saint Fondateur, voyant donc ses enfants réunis dans la pratique de la charité fraternelle, chante à Dieu un hymne de gratitude, de reconnaissance. Il se réjouit de voir toutes ces âmes unies dans le même faisceau.

“O vrai Dieu! mais qui me fera tant de grâce que le Tout-Puissant écoute mon désir, et que lui-même écrive ce livre, afin que je le porte sur mes épaules, et que je m’en environne comme d’une couronne, et que je le prononce à chaque pas, et que je lui offre comme à un prince? Oui, Seigneur Jésus-Christ, écoutez l’exclamation que mon coeur fait pour vos serviteurs; écrivez vous-même en ce livre, et ne permettez pas qu’aucun y mette jamais son nom que par votre inspiration et mouvement, afin que ce volume soit un manteau d’honneur sur mes épaules, et une couronne de gloire sur ma tête; et ainsi je nommerai en toutes les aspirations que mon esprit fera vers vous, les noms qui y seront marqués, comme un cantique de joie et de louange, et en offrirai le rôle comme un bouquet de suavité à votre divine Providence. Faites, o Jésus, doux et saint amour de nos âmes, que l’an auquel chaque Frère écrira ses voeux et oblations en ce livre, lui soit un an de sanctification, le jour, un jour de salut, et l’heure, une heure de perdurable bénédiction; et que les coeurs que vous avez congrégés sous votre Nom et celui de votre chère Mère, ne se dispersent point; et que ce que vous avez assemblé ne se dissipe point; et que ce que vous avez conjoint ne se sépare point, mais que les noms marqués en ces feuilles périssables, soient à jamais écrits au livre des vivants, avec les justes qui règnent auprès de vous en la vie de l’immortelle félicité. Amen” (Dir., p; 11-14).

Voilà une promesse très formelle de notre saint Fondateur qui s'applique à nous, si nous sommes fidèles. Soeur Marie-Geneviève disait qu'elle voyait notre saint Fondateur devant le bon Dieu et qu'il était très occupé à remplir la mission que Dieu lui a donnée par toute la terre. Ayons donc confiance, quand nous essayons d'être fidèles, qu'il ne nous oublie pas devant le bon Dieu.

”... et j'en offrirai le rôle comme un bouquet de suavité à votre divine Providence.” — Le “rôle”, c’est-à-dire le rouleau, la liste. J'insiste beaucoup, mes amis, sur la grâce incomparable que nous avons d'appartenir au bon Dieu par cette voie-là. Notre saint Fondateur demande la persévérance; il faut en effet du courage, et beaucoup de courage. Un moyen suggéré par notre saint Fondateur pour aider cette persévérance, c'est de recommencer toujours. Vous venez de faire une faute; ne vous arrêtez pas, ne vous découragez pas. Dites: “Pardonnez-moi, Seigneur, voici que je recommence une vie nouvelle, voici que je recommence à faire mieux”. Le passé est le passé; je le laisse à la miséricorde de Dieu et ne m'en occupe plus. C'est là un grand moyen pour ne pas se décourager et pour avancer toujours.

“Donc, très chers Frères, mes fils très désirés, ma joie et ma couronne, demeurez ainsi en Notre-Seigneur, mes bien-aimés. 0 Fils des colloques célestes, je vous prie, ains je vous conjure, de sentir tous un même amour, et de vivre tous en un même accord de cette vocation en Jésus-Christ Notre-Seigneur et en sa Mère notre Dame. Amen” (Dir., p. 14-15).

Notre saint Fondateur demande là, dans toute l'effusion de son âme, et de son cœur, que 1es âmes de ses enfants vivent toujours ainsi unies, fidèles à la Règle, constantes en leur bonne volonté. On fera bien de se pénétrer de ces paroles-là, de les méditer souvent. Elles nous marquent tout ce qu'il y a de bon, d'excellent, de doux, d'assuré dans notre sainte vocation. Ces choses-là, c'est tout pour nous, parce que Dieu est amour et charité. Si nous nous aimons les uns les autres, nous aimerons bien notre vocation, notre devoir, les charges qui nous sont confiées; nous vivrons comme dit saint Jean, de la vie de la charité: “Celui qui demeure dans l’amour demeure en Dieu et Dieu demeure en lui” (1 Jn 4:16). Demandons cette charité, demandons que nous demeurions en Dieu et que Dieu demeure en nous. Voilà notre doctrine, voilà la foi qui doit nous nourrir. Quand nous allons et que nous venons, en toute occasion et circonstance, disons volontiers quelque petit mot au bon Dieu, et nous trouverons là un bien grand secours. Chacun a besoin de secours, surtout en carême, c'est le temps de la tentation. En carême, il survient toujours des choses difficiles. Il faut bien remarquer qu'on a toujours alors plus à souffrir, à endurer, à pâtir. Prions le bon Dieu, lui qui sème notre chemin d'un peu plus d'épines, de nous munir et de nous prémunir contre toutes les épreuves.