Chapitres pour les Oblats 1873-1899

      

Comment se comporter en communauté

Chapitre du 18 juin 1890

“Afin de conserver la charité et l'union fraternelle, tous les Oblats auront les uns pour les autres un grand respect, et ils se le témoigneront réciproquement d’une manière simple, cordiale et affectueuse. Ils éviteront à la fois toute espèce d’amitié particulière et toute espèce d’aversion. Tous porteront un grand respect et honneur aux Supérieurs, ne passeront jamais devant eux sans les saluer, ne les contrediront pas. Ils apporteront toujours les uns vis-à-vis des autres, dans leurs paroles et leurs procédés, la déférence et les convenances voulues, surtout envers les prêtres. Les Oblats ne s’aborderont et ne se rencontreront jamais sans se saluer”.

“On observera de garder continuellement le silence, excepté pendant le temps de la récréation. Quand il sera nécessaire de dire une parole pour quelque service, on le fera brièvement, à voix basse, surtout à l’Eglise, dans la sacristie, au dortoir et au réfectoire” (Const., Art. XXI:1-2 [1-3]; p. 74-76).

Un Religieux doit garder le silence. Le silence est l'âme de la vie religieuse. Des vers que je lisais dans une inscription à la Grande Chartreuse, témoignent que cet ordre a conservé sa ferveur par l'emploi de trois moyens: la solitude, le silence et la visite, c'est-à-dire le soin que les supérieurs mettent à visiter les Religieux dans leur cellule, afin qu'il ne s'y glisse rien qui soit contre la Règle. Jamais les Chartreux n'ont eu besoin de réforme. Ils vivent maintenant comme ils vivaient au temps de saint Bruno; ils ont le même habit, la même règle, 1e même esprit.

Le silence garde l'âme, il porte au respect de soi-même et des autres, il fait entendre la parole de Dieu. On fait silence dans le lieu saint, dans l'Eglise pour entendre la parole de Dieu, et par respect pour sa présence : il faut avoir ce respect et cette attention partout où Dieu est, et partout où Dieu parle. Tous les Pères de la vie spirituelle ont dit de très belles choses sur le silence, sur cette mortification qui maintient dans le recueillement, et favorise la récollection.

“Quand il sera nécessaire de dire une parole pour quelque service, on le fera brièvement, à voix basse ...” — Il ne faut pas prolonger cette infraction nécessaire à la loi du silence au-delà de ce qui est forcé. Il faut parler alors courtement et bassement, comme dit notre saint Fondateur, afin de ne pas troubler le silence des autres. Restons toujours bien dans ces limites, surtout à l'Eglise, à la sacristie aussi, où il ne faut jamais parler que quand c'est absolument nécessaire, et à voix basse. Jamais des Religieux ne doivent parler entre eux à la sacristie, l'Eglise le défend du reste expressément.

Notre règle porte la même prescription pour le réfectoire qui est un lieu régulier. Vous pouvez faire une expérience. Gardez bien le silence au réfectoire par esprit religieux, et vous verrez ce que le bon Dieu vous donnera là; comme aussi au dortoir , si vous gardez bien aussi le silence au dortoir. Le bon Dieu est magnifique au dortoir, au réfectoire, quand il rencontre là un religieux bien pénétré de recueillement, un Religieux qui ne soit pas une machine.

Qu'on observe ces prescriptions de la Règle partout, dans toutes les maisons, à Foicy, au Petit Collège comme partout. Qu'on garde religieusement le silence à la Chambre de communauté, au dortoir, au réfectoire. Cette recommandation-là est tellement capitale que sans cela on ne sera jamais religieux.

Je me souviens d'avoir confessé un homme qui se mourait, il était bien vieux, il avait plus de 80 ans. Avant la Révolution il avait été novice Capucin, il avait fait tout son noviciat. Comment l'avait-il fait? A la légère, je le suppose; car je n'ai jamais rencontré d'homme ayant oublié autant que celui-là et le bon Dieu et les lois les plus élémentaires de la morale et de l'honnêteté. Ce n'était pas un méchant homme sans doute; mais il ne lui était absolument rien resté de sa vie religieuse. Pourquoi.? Parce que sans doute il n'avait pas su être fidèle aux petites prescriptions de la Règle, au silence au dortoir, au réfectoire; s'il avait observé tout cela, il lui serait resté certainement quelque chose du sens moral et religieux.

Faites bien attention à cela . Il ne faut pas entrer machinalement au dortoir , au réfectoire, dans les lieux réguliers. J'insiste là-dessus. Il y a là de grandes grâces à recueillir.

“En quelque lieu que l'on parle, et même pendant le temps de la récréation, on évitera les éclats de voix et le ton de contestation, qui seraient de mauvaise édification pour les frères et les étrangers” .

“On évitera de faire du bruit en marchant dans la maison, dans sa cellule, en fermant et en ouvrant les portes, et on conservera dans ses mouvements la gravité et la tranquillité convenables” (Const., Art. XXI:4; p. 76 ).

Evitez bien, le ton d'autorité, d'acrimonie: ce n'est pas reçu dans la bonne société, et ce n'est pas chrétien. Dans nos conversations entre nous, et surtout dans nos conversations devant les étrangers, il faut bien nous surveiller nous-mêmes. Soyez bien religieux aussi dans toutes vos démarches , prenant soin de ne pas faire de bruit en marchant dans la maison, dans sa cellule: cela édifie. Le bruit que l'on fait, fait envoler les anges, disent les Maîtres de la vie spirituelle. Le silence extérieur porte au recueillement, et invite les autres à l'imiter.

Vous savez ce que disait notre saint Fondateur à Sœur Simplicienne qui lui avait demandé comment il ferait s'il était religieuse de la Visitation. “Je me tiendrais si attentif à pratiquer les petites et menues observances, que par ce moyen je tâcherais de gagner le cœur de Dieu. Je garderais bien le silence, je parlerais bien doucement, je fermerais et ouvrirais les portes bien doucement, parce que notre mère le veut. Je porterais la vue bien basse, et marcherais fort doucement, car Dieu et ses anges nous regardent toujours, et aiment extrêmement ceux qui font bien”.

“On ne sera ordinairement pas moins de trois ensemble, et on s’efforcera de contribuer à la récréation par des entretiens et une contenance agréables. On évitera les plaisanteries et les jeux de mots blessants, les discussion sur des sujets qui peuvent compromettre la charité” (Const., Art. XXI: 6; p. 76-77).

“On ne sera ordinairement pas moins de trois ensemble ..." — Cela veut dire qu'il faut éviter d'être deux ensemble, éviter de se séparer de la communauté: une telle manière de faire ne serait pas du tout religieuse. Il faut bien se garder d'avoir, parmi ses frères, quelque ami particulier auquel on confie ses affections, ses peines, ses joies. Sans doute il est bien permis de préférer l'un de ses frères à l'autre, d'avoir plus de confiance en lui; mais il ne faut pas que ces rapports deviennent fréquents, de façon à blesser la charité. Les amitiés particulières, où il y a quelque recherche de soi-même, sont extrêmement mauvaises. Il faut avoir le cœur plus large, plus étendu. Ayez vos préférences sans doute, mais que ce ne soit pas au détriment de la charité générale.

“On s'efforcera de contribuer à la récréation par des entretiens et une contenance agréables ...” — La charité doit s'efforcer d'être agréable. Il faut que les conversations de la récréation soient un délassement et non pas une nouvelle fatigue: on a besoin de quelque détente. Les Constitutions recommandent d'éviter les plaisanteries blessantes: un petit mot agréable, qui ne blesse pas celui à qui il s'adresse, est excellent. Rien de mieux, mais dès que cela peut tourner au sérieux, et contrister le prochain, il faut s'en abstenir, et bien prendre garde de ne jamais blesser personne ni en plaisantant sur les défauts naturels, ni sur autre chose.

“On ne devra rien dire ou faire qui puisse offenser les autres, ni se montrer soi-même blessé de leurs paroles ou de leurs actes” (Const., Art. XXI:7; p. 77).

Quand nous sentons que quelque chose nous blesse tâchons de surmonter cela, faisons bon visage et avalons ce petit morceau que nous tend la main de Dieu, prenant bien garde qu'un autre ne s'aperçoive pas de ce qui nous a émus.

“Dans la conversation, on ne manifestera jamais ses répugnances ou ses difficultés pour la pratique de la règle ou pour la direction” (Const., Art. XXI:8; p. 77).

Nos impressions se communiqueraient à d'autres et nous leur causerions le mal que nous avons nous-mêmes. C'est un moyen infaillible pour que le bon Dieu se retire de nous, et nous retire toute grâce de vocation.

“Tous observeront le plus grand secret sur ce qui sera dit et fait au Chapitre, sur les ordres des supérieurs, sur les choses de la Direction” (Const., Art. XX:9 [8]; p. 77-78).

Il s’établirait volontiers parmi les novices, me dit-on, un genre particulier: on bavarde sur ceci, sur cela; on place celui‑ci ici, celui-là là, on discute, on place, on arrange. Ce genre-là me déplaît extrêmement, et doit déplaire à la communauté. Il y a bien là sans doute une petite excuse. Si l'on n'aimait pas un peu son affaire, on ne s'en occuperait pas tant; mais il faut aimer sa vocation d'une autre façon. C'est exactement comme de mauvais élèves de Séminaire quand approche le moment des Ordinations. Ce genre est tout à fait le contre-pied de celui que nous devons avoir. Laissez aux femmes les bavardages et les commérages sur les choses dont vous n'êtes pas chargés. Elevez votre âme au-dessus de tout cela. C'est ainsi qu'on perd l'esprit religieux, la dignité morale nécessaire au religieux.

On s'interdira tout murmure contre ses frères et surtout contre les supérieurs. On ne se figure pas combien un murmure de religieux fait mauvais effet sur les gens du monde. Cela leur paraît une énormité. Nous-mêmes, s'il nous arrive d'entendre quelque religieux se plaindre de quelqu'un de sa communauté, nous le jugeons mal immédiatement. On veut se passer une petite satisfaction d'amour-propre, une petite vengeance, se payer d'un petit mécontentement: tout cela en soi est misérable, et produit des effets désastreux. Ce qui fera qu'on aimera les Oblats, qu'on les estimera, c'est cela: qu'ils ne fassent pas de commérages: qu'ils ne soient pas des hommes à idées fixes, singulières; qu'on les voie toujours unis de cœur à leur communauté; qu'ils ne cherchent pas à s'imposer, là où ils iront, avec autorité: et on aura confiance en eux, et ils feront beaucoup de bien. Qu'ils soient réservés disant bien tout au supérieur.

Tout se désorganise à l'heure qu'il est, chacun se regarde avant de s'aborder. On aura confiance en nous, si on nous voit bons, simples, droits, ne cherchant pas à dominer les âmes, mais cherchant seulement à leur apprendre à trouver et à suivre le bon Dieu. C'est pour cela que nous sommes fondés. Et voilà pourquoi on demande partout des Oblats. Nous serions 200 prêtres à l'heure qu'il est, que demain matin j'aurais trouvé où caser presque tout le monde. Notre manière de faire affriande tout le monde. Si nous sommes cela, si nous sommes ce que nous devons être, c'est bon, c'est ce qu'il faut et ce que l'on demande. S'il y a autre chose en nous, à quoi aboutirons-nous? C'est un paquet entouré de beau papier doré; mais le dedans ne vaut pas l'étiquette.