Chapitres pour les Oblats 1873-1899

      

La récréation

Chapitre du 26 mars 1890

“En quelque lieu que l'on parle pendant les récréations, on montrera un visage ouvert, simple. On ne sera ordinairement pas moins de trois ensemble, et on s’efforcera de contribuer à la récréation par des entretiens et une contenance agréables. On évitera les plaisanteries et les jeux de mots blessants, les discussions sur des sujets qui peuvent compromettre la charité” (Const., Art. XXI:6; p. 76-77 ).

Il faut que les Oblats, toutes les fois qu'ils se trouvent ensemble, se montrent confrères vrais, et sincères amis en Notre-Seigneur. S'il y a des différences de caractère, elles doivent disparaître devant la loi de la charité. Toute discussion n'est pas défendue; on peut ne pas être d'accord, et chercher à s'éclairer sur tel ou tel point, dans les lettres ou dans les sciences. Ce qui est défendu c'est la critique des personnes, c'est aussi les discussions politiques.

Ne lisons point de journaux; il y a encore des Collèges où on en lit. Je le défends; qu'on n'en lise point. C'est une grande perte de temps que la lecture des journaux. Le meilleur journal politique ne vaut rien. C'est bon pour les gens du monde: il faut bien que quelqu'un combatte de cette manière-là pour la bonne cause, puisque le journalisme est si puissant aujourd'hui. Si plus tard quelqu'un de nos religieux est chargé par l'obéissance de collaborer à un journal politique, il le ferait, tout comme il ferait une classe de sixième, tout comme il planterait des carottes ou des choux, si on l'en chargeait. Mais je veux qu'en dehors de là on évite absolument la lecture des journaux politiques: c'est une perte de temps, je le répète, et surtout c'est une grande humiliation. C'est le journal qui dirige les sentiments et les pensées: on est à la merci de son journal. N'est-ce pas la mauvaise presse qui dirige le monde aujourd'hui ?

Il y a deux vieilles femmes à côté de chez moi; elles lisent toujours le journal quand je passe. Elles lisent La Lanterne. Elles feraient mieux de dire leur chapelet. Il y a quelques années, au lieu de lire La Lanterne pendant le Carême, elles auraient lu l'évangile. Mais les journaux conquièrent tout.

Il y a un pays qui serait resté très bon, et qui se perd de jour en jour, c'est la Suisse: la Suisse se perd par les journaux. “A Genève chaque homme intelligent a quatre journaux”, me disait Mgr Mermillod. “Il en rédige un et il en reçoit trois autres”. Notre ressource et notre moyen d'action à nous, ce n'est pas la lecture des journaux, c'est la prière et c'est l'union au bon Dieu. Le Directoire, voilà notre journal à nous: nous y apprendrons à être toujours victorieux. Je voudrais vous inspirer l'horreur du journal pour vous-mêmes, bien entendu, car à vos pénitents il faut des journaux. Il ne faut pas craindre de leur conseiller de lire tel ou tel bon journal. Mais pour nous, encore une fois, n'en lisons point. Les Anges de paix s'en vont, quand nous lisons des journaux et nous n'avons plus l'assistance du bon Dieu.

Mais, mon Père ce que vous nous dites ressemble beaucoup à une direction de vieilles femmes. Non, pas de vieilles femmes, mais peut-être de petits enfants. C'est une conduite bien habile, mes amis, que de faire comme les enfants, et de ne pas nous mêler de ce qui ne nous regarde pas. Qu'on ait dans chaque maison une revue. Ceux qui ont à prêcher, à diriger, ne peuvent pourtant pas ignorer absolument ce qui se passe et ce qui se dit. Dans chaque maison qu'on ait donc quelque chose de la localité: La Semaine Religieuse est suffisante en général, pour apprendre les choses les plus importantes des événements extérieurs. Mais n'ayons aucun rapport avec les journaux politiques, rédigés la plupart du temps par des gens peu honorables, et qu'il est bien humiliant de voir prendre la direction de nos opinions et de nos conditions.

“On ne devra rien dire ou faire qui puisse offenser les autres, ni se montrer soi-même blessé de leurs paroles ou de leurs actes” (Const., Art. XXI:7; p. 77).

Dans l'âme comme dans le corps il y a toujours quelque côté faible; dans notre corps nous ne sommes pas trop forts, nous souffrons tantôt du bras, ou de la tête; dans notre âme aussi il y a des parties faibles et dans l'âme de tous ceux qui nous entourent. Il y a quelque côté qui faiblit, dans la manière de voir, dans les opinions, dans la moralité. Quand vous êtes avec vos frères, voyez et évitez, eu égard à leurs côtés faibles, ce qui pourrait leur faire de la peine. Si cela est arrivé, ne manquez pas de dire un petit mot pour tout raccommoder, un petit mot qui lie davantage.

“Dans la conversation, on ne manifestera jamais ses répugnances ou ses difficultés pour la pratique de la Règle ou pour la direction” (Const., Art. XXI:8; p. 77).

Ce serait une grosse faute. Il faudrait s'en confesser et en faire sa coulpe au chapitre. Ces fautes-là compromettent la vocation et même le salut. Joignez à cela, que le mal est épidémique et qu'une plainte confiée mal à propos peut compromettre la vocation et le salut d'un autre. La première année que j'étais au Grand Séminaire, un de mes condisciples, touché par la grâce, priait avec une très grande ferveur. Je fis un jour une petite plaisanterie à ce sujet en récréation. Je ne sais plus bien ce que je dis, mais ce n'était pas grand-chose. M. Chevalier me gronda: "Ne faites jamais cela", me dit-il, "prenez-y bien garde, vous pouvez détruire par un mot les attentions de la grâce divine dans une âme et ruiner tous ses effets". Ces paroles de M. Chevalier me frappèrent beaucoup et je ne les oubliai jamais.

“Tous observeront le plus grand secret sur tout ce qui sera dit et fait au Chapitre, sur les ordres des supérieurs, sur les choses de la direction” (Const., Art. XXI:9; p. 77-78).

J'entends dire que, de certains côtés, on parle beaucoup de choses et d'autres, de ce qui a été dit, de ce qui a été fait, de ce qui se fera; je n'en fais pas sans doute un reproche amer; cela peut être l'indice d'un certain attachement à la maison, puisqu'on aime tant à parler de tout ce qui la concerne. Mais comme la Règle défend ces sortes de conversations, il faut parler d'autre chose. Oui, évitons de nous entretenir de celui-ci, de celui-là, de telle ou telle mesure qui a été prise, du gouvernement de la communauté. Ce ne sont pas trop les profès qui s'occupent de cela; cela se fait davantage du côté du noviciat. Je dirai un petit mot vendredi à ce sujet. Ce n'est pas mauvaise volonté, je le répète: dès lors qu'on parle de la communauté c'est qu'on y est attaché; mais restons bien dans les limites que nous impose la Règle.

“Personne ne portera la plus légère atteinte à la réputation des Oblats, et principalement des Supérieurs. On s’interdira tout murmure contre ses frères, et surtout contre les Supérieurs. On évitera toute censure et tout blâme contre ce qui se fait dans la Congrégation, et on observera cette loi pour les autres congrégations religieuses” (Const., Art. XXI:10; p. 78).

Il est bien certain que ceux qui portent atteinte à la réputation de leurs frères sont bien coupables. Ces sortes de fautes ont toujours un dénouement bien funeste. On perd sa vocation, le bon Dieu se retire. D'autre part on s'isole de ceux qui blâment et murmurent: quelle confiance peut-on avoir en eux et quelle sérieuse amitié peut-on lier avec eux? Je n'ai pas vu un seul religieux, faisant cela sans en porter cruellement la peine. Je ne veux pas dire de noms propres. Mais je me rappelle deux ou trois Pères Jésuites par exemple qui ont quitté leur Institut d'une manière très lamentable, et le principe de leur défection était les murmures et les plaintes qu'ils faisaient à des prêtres ou à des laïques contre leur communauté. Le bon Dieu ne bénit jamais un enfant qui dit du mal de son père ou de sa mère. Si l'on a quelque chose sur le cœur, on va à son supérieur; et il est bien rare qu'un religieux qui a quelque peine et qui vient simplement trouver son supérieur n'en reçoive pas une grande consolation, et une Direction bien bonne.

Si l'on veut suivre une autre voie, on se perd. J'ai reçu hier un prospectus de l'abbé Gaittet, annonçant un ouvrage : Les Souvenirs d'un prêtre romain devenu prêtre orthodoxe russe. Il a fait un traité pour prouver que l'Eglise russe est la vraie. C'était un homme distingué, un homme d'esprit et de moyens, au-dessus du commun; ce qui l'a conduit là c’est l'amour- propre, c'est l'orgueil froissé. Il a eu à se plaindre de plusieurs confrères, qui avaient cru qu'il allait trop loin. On l'a censuré à Rome: il n'a pas voulu se soumettre et le voilà en rébellion ouverte. Mes Amis, il faut être bien fidèles.

“Personne ne s'enquerra curieusement de l'administration de la maison; on n’en parlera pas ensemble. On ne parlera ni de la nourriture, ni du vêtement, ni du coucher. Ces sortes de questions ne se traiteront jamais que par ceux qui en ont la charge” (Const., Art. XXI:11; p. 78-79).

Il faut être au-dessus de cela. Si l'on a quelque réclamation à faire, il faut s'adresser à l'économe. Prenons bien garde de nous abaisser au rôle d'un domestique qui se plaint , qui cherche à attraper ce qui plaît à ses goûts.

“On évitera les questions irritantes, sur la politique, sur les différentes nations, provinces. On s’habituera à se confier uniquement à la sagesse et à la toute-puissance de Dieu, dans les choses de ce monde” (Const., Art. XXI:12; p. 79).

On s'habituera à se confier uniquement à la sagesse et à la toute puissance de Dieu dans les choses de ce monde. Cette confiance en Dieu est la preuve d'une grande sagesse: c'est se retirer du guêpier où tout le monde va se faire piquer et écharper: la politique. Confions-nous à celui qui seul mène tout. En envoyant ce Chapitre-là, le Secrétaire transmettra à tous nos Pères mes souhaits à l'occasion des fêtes de Pâques. Que chacun participe à la Résurrection de Notre-Seigneur. Que chacun laisse là la tombe, la vie matérielle, les embarras, les misères de la nature, tout ce qui charge et fatigue l'âme, et l'empêche d'aller librement à Dieu. Que Notre-Seigneur donne à chacune de nos âmes quelque bonne apparition, afin que nous puissions dire avec Madeleine : Rabboni! Après la Résurrection, Notre-Seigneur donne à manger à ses disciples, mais il ne leur donne pas du pain sec (Cf. Lc 24:42; Jn 21:9-10; 13). Qu'il nous fasse sentir aussi quelques-unes de ses consolations.