Chapitres pour les Oblats 1873-1899

      

Le supérieur, le silence

Chapitre du 19 mars 1890

Je désire bien que les rédactions des Chapitres soient faites avec une grande exactitude et qu'on les envoie dans toutes nos maisons afin qu'on se conforme bien partout à ce que je dis ici. Il est bien important qu'on s'attache bien fortement au sens que je donne aux Constitutions et au Directoire. Nos maisons se développent. Voilà qu'on m'écrit de Rio-Bamba qu'il y a déjà de jeunes postulants. Il ne faut pas que le titre d'Oblat de saint François de Sales soit seulement un nom, une étiquette, il ne faut pas exposer nos Pères des maisons éloignées d'ici, à abonder chacun dans son sens.

Si notre règle extérieure était sévère et austère, ce serait plus facile d'être bon religieux. On verrait bien ceux qui pratiqueraient la Règle, ceux qui porteraient des bas ou des souliers au lieu de marcher pieds nus, ceux qui déjeuneraient au lieu de jeûner. Il faut que nous nous efforcions d'autant de bien nous pénétrer de l'esprit de nos Règles. Si chacun s'isole, chacun avec les meilleures intentions du monde courra risque de faire sombrer la Congrégation. Pendant quarante ans j'ai vu de près la Visitation, j'ai vu comment tout se faisait. J'ai vu l'esprit d'obéissance qui y règne. Il ne faut pas que chacun pense avoir raison: il faut écouter le supérieur, il faut agir par obéissance; c'est l'unique moyen de garder l'esprit de la Congrégation. Et ce que je dis de moi, je le dit du supérieur qui me suivra.

Il faudra qu'il soit vraiment supérieur, qu'il interprète la Règle et que tous se conforment à ses interprétations. Je recommande bien cela, que le supérieur ne soit pas seulement supérieur de nom, qu'il ait bien toutes les prérogatives du supérieur: que chacun travaille dans le sens de l'obéissance donnée. Il n'y a pas à s'inquiéter pour cela, cela n'est pas difficile, il suffit que chaque religieux soit bien fidèle au Directoire, aux Constitutions, à l'obéissance. Dieu donnera la lumière à ceux qu'il trouvera fidèles. Il sera bien qu'on continue d'envoyer, comme on le fait, les chapitres du supérieur général dans toutes les maisons, afin que le même esprit règne partout. Il ne faut pas qu'il y ait parmi nous de petite Eglise, d'église dans l'Eglise de Dieu. Dans l'Eglise, tout émane du Pape et retourne à lui. Il faut aussi que dans l'Institut tout émane du supérieur général et retourne à lui.

Voyez ce que font nos Pères des Missions. Je reçois une grande lettre du Père David qui me donne les moindres détails sur leurs faits et gestes, et qui me demande les renseignements les plus minutieux, soumettant tout à l'obéissance. Le Père Simon fait la même chose. C'est le moyen pour nos Pères qui sont éloignés du centre de la communauté de trouver quelque appui et quelque consolation; c'est le moyen de ne pas faire fausse route, d'être vraiment forts et d'arriver à ses fins. Aussi nos Pères des Missions sont-ils sûrs de ne pas faire fausse route et je redoute moins quelque danger pour eux que pour nos Pères des Collèges. Il sera bien qu'on envoie exactement la rédaction des Chapitres: que dans chaque maison on la lise bien fidèlement, qu'elle fasse la base des chapitres de chaque semaine. Il est très difficile dans certains milieux de garder l'esprit religieux, à cause de la vie de dissipation dans laquelle on se trouve parfois jeté. Ainsi je constate qu'à Paris, il est très difficile d'avoir des Religieuses; je vois cela avec les Oblates. Petit à petit on perd d'un côté quand on acquiert d'un autre. Voyez les Pères Jésuites , ils font bien cela, ils concentrent la formation religieuse sur ce point, le respect et l'obéissance pour tout ce qui vient du supérieur. Leur système est celui-ci: tout ce qui vient de la Congrégation est bien fait, et est pour le mieux.

On leur fait le reproche d'être exclusifs. On a bien un peu tort : ce n'est que parce qu'ils sont exclusifs qu'ils sont ce qu'ils sont. Ayons bien la pensée que tout  autre chose que nous ferions ne serait pas si bon, comme le dit notre saint Fondateur; sans cela nous n'accomplirons pas le but de la Congrégation. Nous sommes obligés d'être beaucoup plus religieux que tous les autres religieux puisque nous n'avons pas les moyens extérieurs qu'ont les autres. Que le secrétaire du chapitre mette donc bien cela dans la rédaction du chapitre d'aujourd'hui. A toutes les réunions de chacune de nos maisons on lira les rédactions des chapitres du supérieur général. Ce ne sont pas des conférences rédigées, bien écrites, bien éloquentes; c'est l'enseignement tout simple et tout familier, c'est l'explication de la Règle. Voyez du reste l'Evangile. Est-ce un traité, est-ce une série de conférences, ce sont les propres paroles du Sauveur, ce sont des faits, ce sont ses actions et ses miracles. Voyez le Directoire de notre saint Fondateur; ce n'est pas un code de morale et de conduite rédigé par chapitres, avec une déduction rigoureuse d'un article à l'autre, comme dans les livres de morale et les livres de piété. Il est bien remarquable que toutes les législations premières ont revêtu cette forme simple et familière: ce n'est que plus tard qu'elles ont donné lieu à des interprétations savantes et méthodiques.

On observera de garder continuellement le silence, excepté pendant le temps de la récréation.Il faut s'accuser de ses manquements au silence aux coulpes et en confession et il faut demander pour cela une bonne pénitence. Nous ne serons pas religieux tant que nous ne garderons pas le silence, on n'a pas le bon Dieu avec soi: “Abondance de paroles ne va pas sans offense” (Pr 10:19). L'abondance des paroles montre un esprit léger et qui n'est pas d'une grande valeur. Quand on ne peut pas vivre dans le silence seul avec Dieu et qu'on est obligé de bavarder pour nourrir son âme, c'est bien triste. Si l'on est obligé de dire un petit mot à l'Église, il faut que ce soit extrêmement court.

“En quelque lieu que l'on parle, et même pendant le temps de la récréation, on évitera les éclats de voix et le ton de contestation, qui seraient de mauvaise édification pour les frères et pour les étrangers” (Const., Art. XXI:4; p. 76).

Il faut bien éviter d'élever la voix. La conversation peut bien s'échauffer un peu sans doute mais il ne faut pas d'éclats, il faut éviter les contestations. Voilà une discussion qui va s'élever entre vous et un de vos frères. Vous vous en apercevez. Faut-il couper court et net? Gardez-vous-en bien, vous pourriez froisser votre frère: mais terminez charitablement et cordialement l'entretien, ou donnez un autre tour à la conversation; finissez par un petit mot agréable; et surtout évitez bien toute contestation: saint François de Sales attache la plus grande importance à la cordialité des rapports.

Evitez de faire du bruit en marchant, en ouvrant et fermant les portes. Il faut marcher tout naturellement, tout simplement, mais non pas d'une façon ridicule; pour éviter de faire du bruits il ne faut pas prendre des précautions puériles et exagérées. Dans sa cellule il faut faire peu de bruit. Au réfectoire soyez bien calmes dans les mouvements.

J'ai fait un jour un grand plaisir à M. Thibaut, le supérieur du Grand-Séminaire de Dijon. Il me demandait ce que je pensais de la tenue de ses séminaristes. C'était après le dîner. Je lui dis, que je pensais qu'il y avait là bien du monde qui avait mangé sa soupe sans faire le moindre petit bruit. C'est la marque d'un esprit recueilli. Si des séminaristes font cela, des religieux peuvent le faire. Si nous ne sommes pas capables de faire de petites choses nous ne serons pas capables d'en faire de grosses. Quand l'arbre ne porte pas de fleurs, il n'aura pas non plus de fruits: “C’est à leurs fruits que vous les reconnaîtrez” (Mt 7:16). On pourrait dire que c'est par les fleurs encore plus que par les fruits, qu'on reconnaît les religieux. Les fleurs, c’est-à-dire ces délicatesses, ces attentions à être fidèles dans les plus petites choses.

Qu'on me comprenne bien. Qu'on fasse tout avec la perfection de la politesse du monde, mais en y joignant le sentiment de la présence du bon Dieu, la charité, le respect du prochain, les habitudes religieuses . J'appelle cela des fleurs; et quand elles paraissent on peut espérer des fruits très prochains, flores fructusque perennes. Il n'y a pas de religieux sans cela. Gardons bien pour nous la parole que le saint Concile de Trente dit pour les clercs:  "Que leur comportement soit empreint de sérieux, qu’il soit libre de tout excès et plein de révérence” -  "Nihil nisi grave modestum, ac religione plenum prae se ferant". Si c'est la règle pour les clercs, à plus forte raison cela doit-il l'être pour les religieux.