Chapitres pour les Oblats 1873-1899

      

Correction fraternelle et reddition de comptes

Chapitre du 12 février1890

“Chaque mois le supérieur ou celui qui tiendra sa place devra faire, soit en chapitre, soit en particulier, la correction fraternelle à tous les Oblats, sur les fautes ou les défauts, relativement aux règles et aux Constitutions” (Const., Art. XVIII:1; p.66).

Ce serait assurément une chose excellente que de pouvoir faire la correction fraternelle en chapitre. C'est très bon. Rappelez-vous la parole de Notre-Seigneur: Il ne faut pas coudre un morceau d'étoffe neuf à un vieil habit, car la pièce neuve arrachera tout; il ne faut pas mettre du vin nouveau dans de vieilles outres, car il les fera éclater. L'épreuve la plus sûre de discerner les esprits et de s'assurer de la vocation d'un religieux, c'est la correction en chapitre. Quand nous serons assez parfaits pour faire cela, nous aurons fait un grand pas. Jusqu'à ce que nous soyons arrivés là, la correction reste à la charge du Supérieur, qui doit chaque mois voir devant Dieu et sa conscience ce qu'il a à dire à chaque religieux. Le supérieur devra faire, disent les Constitutions, la correction sur les fautes relativement aux Règles et aux Constitutions. La correction n'est pas la chose la plus commode de la besogne du Supérieur.

“Chaque membre de la Congrégation pourra rendre compte, à son Supérieur, en dehors de sa confession, des manquements publics qu’il aura faits aux Constitutions, de ce qu’il aura pu perdre ou acquérir dans la pratique de l’Observance et des vertus qui lui sont recommandées” (Const., Art. XVIII:2; p. 66).

J'aurais mieux aimé qu'on rendît la reddition de comptes obligatoire et la correction facultative. La règle a été faite autrement, je m'y soumets. Cela me fournit l'occasion de dire un petit mot sur cet article de la reddition de comptes. Je préfère cinquante fois la reddition à la correction . Je ne m'insurge pas contre le changement apporté à la rédaction primitive de nos Constitutions, mais quand quelque chose vous pince, on peut bien dire: Oh là! La reddition de comptes a une tournure plus salésienne. L'inférieur vient au Supérieur, il lui ouvre son âme; il lui rend compte simplement, bonnement; il lui montre son mal, comme le malade au médecin, comme l'enfant à son père. Dans la correction c'est le supérieur qui va à l'inférieur, et ce n'est pas bien facile d’attaquer un individu, de lui dire: “Il y a ceci, il y a cela de mal en vous!”.

Je ne saurais trop vous engager à bien pratiquer la reddition de comptes, cordialement, simplement, fournissant ainsi au supérieur l'occasion de vous dire vos fautes, vos défauts. Il faudra faire cela bien exactement tous les mois; il faudra bien dire ce en quoi on a manqué à la Règle, ses inclinations, ses dispositions, ses difficultés. Une foule de choses pénibles sont adoucies ou prévenues par la reddition de comptes. Les esprits s’entendent mieux, les cœurs sont plus à l'unisson. La candeur des rapports avec le supérieur est assurément ce qu'il faut recommander le plus.

“Ce point est facultatif et nullement obligatoire” (Const., Art. XVIII:2; p. 66).

Ce qui a impressionné à Rome et a fait ajouter cette ligne à nos Constitutions, c'est l'abus qu'on a pu faire dans certaines communautés de la reddition de comptes. Ces abus ont été assez graves; certains supérieurs ont été trop loin; on a dénoncé ces faits répréhensibles à Rome et Rome a pris une mesure générale. Mais une chose bien remarquable à observer et qu'il faut que tout le monde retienne bien: dans la reddition de comptes telle que la prescrit saint François de Sales et qu'elle se pratique à la Visitation, on n'a jamais trouvé rien à reprocher. A la Visitation, la reddition de comptes est obligatoire. Si le confesseur ne se rend pas un compte bien exact des choses, il pourra se piquer de voir que la Maîtresse des novices ou la Supérieure fera de la direction, qu'une directrice de pensionnat interdira la Communion à telle ou telle jeune fille: “Cela ne la regarde pas, c'est mon droit!” Il faut bien s'entendre là-dessus.

Qu'avons-nous en résumé le droit de faire? Nous avons le droit de faire le bien et de sauver les âmes, et de ratifier tout ce qui peut être bon et utile aux âmes. Dans le monde une mère de famille qui voit, une veille ou un matin de Communion, sa fille peu sage et peu disposée à recevoir Notre-Seigneur, n'hésitera pas et personne ne le lui reprochera; c'est naturel, c'est légitime. Si le confesseur prétend que par là son droit est lésé, s'il se pique, s'il se monte, il est maladroit; ce n'est plus une question de zèle ou de prudence. C'est une question d'amour- propre et d'orgueil.

Il est bon sans doute que le confesseur ait l'autorité en ces sortes de choses; personne ne songe à le lui contester, mais il ne faut pas exagérer cette autorité et en outrepasser les limites. Que l'Oblat, confesseur, aumônier, se conforme bien à cette manière d'agir. Mais, j'aurai donc le dessous! Etes-vous là pour avoir un dessus ou un dessous? Vous êtes là pour opérer le plus grand bien des âmes! Un sacrifice d'amour-propre se présente à faire, faites ce sacrifice. Mettez là un confesseur, un aumônier plein de jugement et de capacité: “Je suis là,” dira-t-il, “pour le plus grand bien, et le plus grand bien sera la paix et la concorde. Il ne s'agit pas d'une chose contraire à mon devoir, par conséquent ce ne sera pas contraire à mon droit. Mon seul droit est de faire le bien, de me sacrifier, de me donner”. Et puis , humainement parlant, croyez-vous agir imprudemment, en étant ainsi conciliant sur ces points de détail? Vous avez l'air de ne pas tenir compte de vos droits, de céder; vous obtiendrez bénévolement dix fois plus que si vous les mainteniez “avec vos griffes” [“unguibus et rostro”].

Que ce soit là ce qui distingue les Oblats de saint François de Sales. Soyons bons. Les bons hommes ne sont pas les plus bêtes, croyez-moi. Un bon homme est souvent un homme qui a du caractère, de l'esprit et du jugement. On donne tout à celui qui n'exige rien; on retire tout de celui qui veut exiger quelque chose. Que ce soit bien là notre manière d'agir. A Saint Ch*****, il y a un directeur qui est un homme très recommandable. Mais mettez avec lui un aumônier qui soit à cheval sur ses droits et tout sera compromis. "Sans les Oblats, me disait M.L., le patronage serait tombé". L'aumônier, le P.D. monte en chaire pour faire son instruction: "Mes enfants,” dit le Directeur, “voilà ce que le Père a à vous dire, telle chose , telle chose et encore telle chose”, et il continue sur ce ton pendant une demi-heure, puis le bon Père descend de sa chaire sans avoir ouvert la bouche.

Le Directeur, qui est un laïque, a violé les droits de l'aumônier? Il s'agit bien de cela! Il a dit de bonnes choses, il est content, les enfants sont contents, et l'aumônier aussi est content, puisqu'il voit que le bien se fait! Il est plus content que s'il avait prêché le plus beau sermon du monde.

C'est une tactique bien importante à suivre dans les oeuvres. Vous avez une communauté de femmes à diriger; laissez faire à celles qui sont en charge tout ce qui ne sera pas mal, tout ce qui ne sera pas trop énorme, quand bien même cela le serait un peu. Croyez-moi, nous n'amoindrirons point notre autorité, bien au contraire. Faites bien cela, parce qu'il n'y aura peut-être que nous qui le ferons; eh bien! ce sera notre spécialité. Etant Oblat, j'aime mieux aller faire ma reddition de comptes à mon supérieur que de me laisser attaquer par lui; c'est plus commode pour lui et pour moi. Vous obligez de la sorte votre supérieur à remplir son devoir et vous le lui facilitez; les religieux font bien d'aider leur supérieur. Dites-lui vos affaires bonnement, simplement: vous vous êtes monté la tête contre celui-ci, contre celui-là; vous agissez peu cordialement en ceci, en cela; dites-le. Saint François de Sales rendait compte tous les soirs à M. Michel et se confessait humblement. Encouragez-vous bien dans cette simplicité, dans cette candeur; ayez tous les mêmes sentiments et mettez-vous bien à la pratique de la reddition de comptes. Je vous y engage fortement.