Chapitres pour les Oblats 1873-1899

      

Les voeux et la solitude annuelle

Chapitre du 17 février1890

“Tous les Oblats de saint François de Sales renouvelleront leurs promesses et leurs voeux le 21 Novembre, fête de la Présentation de la Sainte Vierge” (Const., Art. XIX:1; p. 67).

La Présentation est pour nous une grande fête; c'est une époque de renouvellement. Beaucoup de communautés religieuses s'y préparent par une retraite afin de se préparer à la rénovation des vœux, et c'est une excellente coutume.

“Ils feront chaque année les exercices de la solitude, prescrits par saint François de Sales. Ces exercices seront de cinq jours au moins et de dix jours au plus. On se conformera à la méthode et aux enseignements donnés par saint François de Sales et par sainte de Chantal, et on s’efforcera de conserver l’esprit de ces saints Fondateurs, tant pour la confession que pour l’exercice de la présence de Dieu, pour le temps et la méthode d’oraison. La pratique fidèle de ces enseignements conservera l’esprit de la Congrégation, et lui fera produire des fruits abondants” (Const., Art. XIX:2; p. 68).

Voilà ce qu'on nous dit à Rome, puisque notre Règle est approuvée à Rome. Nous ne devons pas admettre un temps de solitude excédant dix jours; dix jours sont déjà une bien grande fatigue. Quel est le moyen de bien faire la retraite? C'est de bien faire le règlement de la retraite, d'aller d'une chose à l'autre simplement comme elle est prescrite; c'est aussi de préparer son âme à la tentation, parce que toujours une âme qui doit être gratifiée par le bon Dieu de quelque faveur spéciale, éprouve auparavant des peines spirituelles. Aussi faut-il avoir bien soin, quand nous faisons notre retraite ou quand nous la faisons faire à d'autres, de nous appuyer et de nous encourager sur cette pensée de saint François de Sales que ce qui produit le fruit de la retraite, ce sont les exercices de la retraite eux-mêmes; qu'il n'y a pas à chercher dans la retraite d'autres moyens de sanctification que de faire bien, l'un après l'autre, chacun des exercices qui la composent, et de bien accepter chacune des souffrances qui s'y rencontrent. Notre-Seigneur Jésus-Christ ne nous a pas rachetés par de sublimes pensées, par des actes merveilleux, mais par ses souffrances, par sa déréliction.

Si le bon Dieu vous envoie dans la retraite des lumières vives, des consolations sensibles, ce sera très bien, vous les accepterez avec reconnaissance; mais si vous n'avez rien, si votre âme est sèche, vous tâcherez de bien unir votre volonté à celle du bon Dieu; si même votre âme est tourmentée, vous crierez à Notre-Seigneur, du milieu des flots et de la tempête: “Au secours, Seigneur, nouspérissons” (Mt 8:25). Il ne faut pas se faire de la retraite une idée fausse et la regarder comme un temps où se passeront des choses extraordinaires et singulières. Faisons bien la retraite dans l'esprit de notre saint Fondateur; qu'il n'y ait rien de forcé, de contraint. Je ne veux pas dire qu'il faille prendre toutes ses aises pendant la retraite. Non, là surtout il faut de la mortification, mais allez au bon Dieu simplement et doucement. Que ce soit la retraite elle-même qui fasse la retraite.

Reposez-vous auprès du bon Dieu et là, dans ce repos, vous recevrez les grâces et les lumières qui vous sont nécessaires pour le reste de l'année. Je ne blâme pas ceux qui font la retraite dans un esprit différent; ils peuvent avoir d'excellents résultats; je n'en juge pas, parce que, pour le dire en passant, il est bien difficile de voir d'un aussi bon œil des pratiques toutes contraires aux nôtres, un enseignement qui n'est point le nôtre, et par conséquent il est bien difficile de juger impartialement ce qui se fait ailleurs. Nous, nous n'agissons pas autrement que je vous ai dit. Se monter l'imagination par une contemplation excessive des grandes vérités, se frapper par des considérations effrayantes, c'est bon peut-être, mais qu'est-ce que cela dure de temps? et qu'est-ce que cela produit en définitive? Le diable prend sa revanche et revient avec sept autres esprits plus mauvais, et l'état du pauvre patient est pire. Je dis cela parce qu'une longue expérience me l'a appris. Comme saint Paul, je ne vous dirai pas que c'est un “ordre du Seigneur” (1 Co 7:25), mais je crois bien que c'est l'esprit du Seigneur, “l’Esprit de Dieu” (1 Co 7:40).

Vous pouvez conclure de tout cela combien la retraite est une chose grave et sérieuse; c'est la base de toute l'année. C'est un grand avertissement que je donne à tout le monde: attachons-nous à notre esprit, attachons-nous à notre Directoire. Tout est là. Voilà le P.B qui prêche à Saint-Urbain [Troyes]; Il a prêché notre manière de faire l'oraison; le curé de Saint Urbain, sa nièce qui demeure avec lui, lui disent: “A la bonne heure: nous comprenons l'oraison faite de cette manière-là; c'est bon, c'est pratique, tout le monde le comprend, tout le monde peut le faire”. Et voilà M. Le Curé extrêmement content. Or le curé de Saint-Urbain n'est pas un ignorant, ni un homme sans expérience. Voilà le vrai et facile moyen d'aller à Dieu, comme dit la sainte Eglise: “Iter tutum ac planum”.

Mais pour bien prêcher cela, il faut le comprendre, et pour le comprendre il faut le pratiquer. Soyons des hommes de Dieu. Si nous avons Dieu pour mobile en toutes nos œuvres, toutes nos actions, toutes nos pensées remonteront à lui; non pas qu'il faille penser perpétuellement à Dieu, on deviendrait fou; si l'on n'avait plus qu'une pensée, une idée fixe, ce serait insensé. Mais que tout en nous prenne la direction de Dieu, remonte à lui. Sans doute nous ne serons pas toujours fidèles; mais le bon Dieu pardonne beaucoup. C'est une chose immense que ce moyen que nous avons de remonter ainsi sans cesse à Dieu par le Directoire.

La bonne Mère voyait là-dedans le moyen de renouveler le monde. Il faut que nous comprenions cela et que nous le fassions. Il ne faut pas que nous soyons des cymbales retentissantes; la cymbale fait du bruit, et c'est tout. Ce n'est pas le bruit que nous ferons, ce ne sont pas les agissements de notre volonté qui produiront quelque bien. Dieu ne donnera pas sa grâce à notre bruit et à notre volonté. Il faut que le bon Dieu devienne notre personnalité. Il nous faut déloger de nous-mêmes, de notre personne, de notre volonté. En dehors de cela, nous ne ferons rien. Je reviens souvent sur les mêmes idées; je voudrais bien vous en voir pénétrés.

Toutes les lettres que je reçois me montrent la confiance illimitée que l'on porte aux Oblats de saint François de Sales. On admet notre doctrine sans aucune réserve parce que l'on voit que c'est la vraie doctrine de saint François de Sales. Partout maintenant on étudie davantage saint François de Sales; l'Eglise toute entière, les Evêques, les Congrégations religieuses se sentent attirés à lui. On nous regarde. Voilà, dit-on, des gens qui viennent et qui disent: “La doctrine de saint François de Sales est notre doctrine et notre vie. Cela doit être bien beau”. Mais si ces gens-là ne sont pas vraiment pénétrés de la doctrine de saint François de Sales, qu'est-ce qu'ils viennent faire? Soyez plutôt maçon, si c'est votre métier! Ce sentiment universel que l'on a à notre endroit nous oblige à une grande vigilance. Que chacun revienne bien sur soi-même. Que chacun fasse bien son oraison le matin et prépare bien sa journée avec le bon Dieu. Mettons-nous bien en marche: "Dieu aime celui qui donne avec joie” (2 Co 9:7). On a l'âme libre, le cœur content; on est à sa place et à son aise.

“On ne pourra, pendant ces solitudes, prendre aucune direction étrangère, et s’il était utile à quelques Oblats de recourir au dehors pour la confession, ils le feraient en un autre temps; ou s’il était nécessaire qu’ils le fissent pour leur solitude, il serait du devoir des Supérieurs de choisir ou d’indiquer les prêtres dont l’esprit se rapprocherait le plus de notre manière de vivre et de juger dans les choses spirituelles. On fera la Confession annuelle selon l’avis du confesseur. Il est d’usage de la faire depuis la dernière retraite”(Const., Art. XIX:3; p. 68-69).

C'est Rome qui dit cela. Elle ne veut pas que pendant la retraite on se retire tant soit peu en dehors de la communauté et de son modus vivendi; elle veut que pendant la retraite la confession de retraite soit faite à un Oblat et que l'on s'abstienne bien de se mettre, en ce temps-là, sous la direction d'un religieux d'un autre ordre, d'un Père Jésuite ou d'un Père Capucin, quelque science ou quelque vertu qu'il puisse avoir. C'est la retraite qui fait la direction de l'année toute entière, il ne faut pas que pendant ce temps on soit exposé à subir une direction différente de celle de la Congrégation.