Chapitres pour les Oblats 1873-1899

      

Les cas de conscience

Chapitre du 5 février 1890

“Outre les Conférences sur la vie religieuse, il y aura chaque semaine des entretiens sur le dogme, les cas de conscience, les différentes difficultés qui se présentent dans l’exercice du saint ministère. L’enseignement de saint François de Sales sera spécialement suivi dans ces matières, et on adoptera plus particulièrement sa doctrine sur les points qu’il a traités dans ses oeuvres” (Const., Art. XVII:2; p.63-64).

Ces conférences sont surtout nécessaires dans les maisons de missionnaires et de prêtres voués au saint ministère. Elles sont moins nécessaires ailleurs. Il faut pourtant que dans les collèges, que dans les œuvres de jeunes gens et d'enfants, il y ait une direction uniforme et comprise. Les conférences sur les cas de conscience sont absolument nécessaires dans les Congrégations de prêtres missionnaires appelés à exercer le saint ministère. Nous suppléons un peu à cela pour le moment par nos cours de théologie au Noviciat. Il faut prendre garde en donnant cet enseignement théologique de bien suivre la doctrine de saint François de Sales. Quand nous serons plus nombreux, il sera bien désirable que nous ayons ces conférences régulièrement.

Demandez bien au bon Dieu de nous envoyer du monde. On en réclame partout, en Grèce, en Afrique, à l'Équateur. Dans la direction extérieure et intérieure des collèges, il faut prendre soin de s'appuyer toujours sur le point moral, sur une idée philosophique ou théologique qui soit le point autour duquel tourne tout ce qu'on fait, et que ce point d'appui soit une pensée de saint François de Sales, quelque chose de sa doctrine: ses recommandations sur la charité, sur l'amour de Dieu et du prochain, sur le zèle du salut des âmes. Prenez les idées données là-dessus par notre saint Fondateur et faites-les passer dans vos actes et vos paroles. Je le dis en passant, il faut que le professeur, le surveillant, se pénètre bien de cette doctrine, qu'il fasse bien ce qui est marqué dans le programme, dans le règlement et qu'il le fasse dans cet esprit. Alors on n'est pas isolé, on est dans le mouvement général; on entre dans la pensée de notre saint Fondateur, dans celle de l'obéissance, dans le sens de l'effort commun; on fait l'œuvre à laquelle on est appelé. Si on se place en dehors de là, on n'atteint pas son but.

Ce qui fait la force d'une Congrégation, c'est quand tout le monde agit dans le même sens. Voilà une voiture très chargée; si tout le monde pousse dans la même direction et ensemble, on a bientôt fait de l'ébranler et de la mettre en mouvement, mais si l'un pousse à droite et l'autre à gauche. on n'aboutit à rien. En ne faisant que peu de choses, mais en le faisant bien dans le sens indiqué, on fait beaucoup; en le faisant dans un autre sens, on arrête le mouvement général. C'est une vertu essentiellement religieuse que l'obéissance et la souplesse dans l'obéissance. Plus on donne de soi, à ce point de vue, et plus l'on produit d'effet; plus l'on travaille aux dépens de la nature, de l'inclination propre, et plus l'on obtient de résultats. La perfection religieuse, c'est cette souplesse entre les mains de Dieu et de l'obéissance, de la règle, de la direction donnée. C'est être comme une pâte molle qui prend la forme qu'on lui donne, et cette souplesse a une action d'une grande portée. La capacité personnelle d'un chacun se mesure par cela; c'est le thermomètre, le pèse-liqueur; on voit par là jusqu'où peuvent aller les forces, la capacité, l'intelligence; on voit cela à la facilité que l'on a à se quitter soi-même pour entrer dans le mouvement général. Ce qui fait la beauté, la force de la vie religieuse, c'est cela.

Voilà pourquoi on recommande ces conférences, destinées à bien déterminer la marche à suivre, le sens dans lequel chacun doit faire effort. Chez les Père Jésuites, cette direction est bien sensible. Tous confessent et dirigent de la même manière. Il faut que nous fassions de même. Nous n'avons rien à craindre et pouvons marcher de l'avant, puisque notre doctrine est celle du Docteur infaillible. C'est une doctrine qui va bien aux âmes, qui est facile à comprendre et à pratiquer.

“Tous les prêtres devront se confesser deux fois ou au moins une fois par la semaine, à l’un des confesseurs de la maison désignés à cet effet, et non à d’autres, sans la permission du supérieur, et ils devront célébrer tous les jours la Sainte-Messe, à moins d’un empêchement” (Const., Art. XVII:3; p. 64).

“... à l'un des confesseurs de la maison désignés à cet effet ...” — Jusqu'ici nos confesseurs n'ont pas été en très grand nombre. Chacun peut choisir son confesseur parmi les Pères qui confessent. Choisissez celui que vous croirez, devant Dieu, plus apte à vous bien diriger; que chacun suive en cela sa liberté de sentiment et d'attrait, sans autre considération que son intérêt personnel et spirituel.

Que vos confessions soient claires, simples, courtes, pas tellement que vous ne disiez pas tout ce que vous avez à dire, mais de façon à ce que le péché soit bien accusé tel qu'il est, nettement et pieusement. La confession doit être quelque chose de saint, de sacré, qu'il faut faire avec le plus de piété possible, car le fruit de la confession, c'est l'application réelle et positive de la mort et de la passion de Notre-Seigneur. Il faut se recueillir un peu avant la confession; il n'est pas besoin d'une grande préparation; quelques minutes suffisent. Dites les choses comme elles sont, comme vous les comprenez. En les disant, pensez combien vos offenses ont été sensibles au Cœur de Notre-Seigneur, vous qui avez reçu beaucoup plus de grâces que beaucoup d'autres. La confession bien faite est extrêmement profitable à l'âme.

“[Les Oblats qui ne sont pas prêtres] s’approcheront de la Sainte Communion deux fois la semaine, outre les dimanches et les jours de fête, suivant l'avis de leur directeur” (Const., Art. XVII:3; p. 65).

La sainte Communion ne doit pas être pour nous une chose habituelle. Il faut toujours acheter la sainte Communion. Faisons pour cela quelques pratiques, quelque chose pour nous préparer, soit la veille, soit le matin. N'allons pas à Dieu sans lui apporter nos dons, nos présents. C'était la pratique de notre saint Fondateur et il faut lui être fidèle. Que la sainte Communion ne devienne jamais une habitude, et pour cela n'allons jamais au bon Dieu les mains vides. Le prêtre ne s'approchait du tabernacle qu'avec les pains de proposition dans les mains. Offrons au bon Dieu, nous aussi, en nous approchant de son tabernacle, quelque chose de nos goûts, de notre volonté.

“Tous pratiqueront chaque semaine un ou plusieurs exercices de pénitence, tels qu’ils se trouvent dans les Constitutions de saint François de Sales. Ces exercices auront le double but d’humilier et de mortifier les Oblats. Les exercices destinés à les humilier se font au réfectoire ou au Chapitre. Les autres se pratiquent en cellule, selon l’avis du Supérieur” (Const., Art. XVII:3; p. 65).

Quand un pénitent, une pénitente nous demande en confession de pratiquer tel ou tel exercice de pénitence, il faut voir si cette pratique est bien proportionnée aux mauvais penchants, aux forces physiques, aux inclinations mauvaises et aussi à l'attrait de la pénitence que le bon Dieu donne à certaines âmes. Notre saint Fondateur aimait à pratiquer ces exercices de pénitence; il le faisait d'une façon très dure et toujours en suite de l'obéissance qu'il rendait à son confesseur M. Michel. La pénitence est nécessaire. La Sainte Ecriture nous la montre en maints endroits comme indispensable pour le salut. Que chacun porte donc sa croix. La croix habituelle, la croix de tous les jours n'est pas suffisante, il faut y ajouter quelque chose. C'est le secret de bien des réussites.

Je demandais au neveu de M. Harmel:  “Comment votre oncle peut-il arriver à faire tant de choses?”
— “Venez dans sa chambre”, me répondit-il. Là je constatai qu'il couchait sur la dure.
— “Il se relève la nuit pour prier, me dit son neveu, et il dort très peu. Voilà pourquoi sans doute il arrive à faire quelque chose”.

Le secret de la sainteté du Curé d'Ars était dans la pénitence. Il en est de même de Don Bosco. Un de mes condisciples, le Père Bonaventure, qui certes n'était pas un aigle en fait d'intelligence, a fait beaucoup de bien dans un grand nombre de paroisses, et il devait cela à ses mortifications. C'est là le grand moyen de faire quelque chose. Que chacun de nous ait donc quelque pratique spéciale de mortification, comme la Règle le marque, quelque chose de bien positif. Les maladies, ce que nous souffrons dans notre corps, peut être offert sans doute; le bon Dieu fait à chacun sa part, son compte, mais cela ne suffit pas, il faut ajouter quelque chose. Déjà, ne sortons jamais de table sans mortification. Et puis voyons ce que nous pouvons et devons ajouter à cela, d'accord avec notre confesseur et notre Supérieur, afin d'être bien en règle avec les Constitutions et le bon Dieu, afin de bien équilibrer le budget de notre “doit” et de notre “avoir”. Nous n'entrerons pas au ciel sans que tout soit en règle.

“En communauté, on suivra constamment l'usage de ne prendre qu’un seul mets au souper du vendredi” (Const., Art. XVII:3; p. 65-66).

Il faut bien se conformer à cet article des Constitutions, quand la santé et les forces le permettent. Quand l'alimentation peut être suffisante avec un seul plat, il faut se borner à celui-là; quand elle serait insuffisante, on peut manger un peu des deux plats. Mais je crois qu'il est bien de tenir, autant que possible, à ce que la Règle marque. Ne passons pas un jour de notre vie sans souffrir effectivement quelque chose pour le bon Dieu. La souffrance morale est quelque chose, mais la souffrance physique librement acceptée est nécessaire. Notre corps doit souffrir pour être racheté et la souffrance du corps est indispensable à la santé de l'âme.