Chapitres pour les Oblats 1873-1899

      

Comment prêchent les Oblats

Chapitre du 22 janvier 1890

“Outre les Conférences sur la vie religieuse, il y aura chaque semaine des entretiens sur le dogme, les cas de conscience, les différentes difficultés qui se présentent dans l’exercice du saint ministère. L’enseignement de saint François de Sales sera spécialement suivi dans ces matières, et on adoptera plus particulièrement sa doctrine sur les points qu’il a traités dans ses oeuvres” (Const., Art. XVII:2; p. 63-64).

Il serait bien désirable que nous puissions avoir ces conférences théologiques dès maintenant; mais dans chaque maison, le nombre de nos religieux ne suffisant pas à la besogne, ce n'est guère possible d'observer exactement ce point des Constitutions. On y arrivera un peu plus tard. Il faut y penser et tâcher de se mettre en mesure d'ici peu. Ce serait une chose bien utile que ces conférences. On prêche, on confesse, on fait le catéchisme; si chacun fait cela à son idée, cela n'est plus une communauté. Voilà pour la prédication par exemple. Tous nous avons appris au séminaire, — je parle des plus anciens — à prêcher comme on prêchait au siècle de Louis XIV. Depuis cent ans, on ne prêche plus au peuple. Les petits enfants ont le catéchisme, le peuple n'a plus rien. Tous les sermons faits depuis cent ans, personne ne les écoute. Au concile du Vatican, on devait s'occuper de cette réforme de la prédication. Mgr Mermillod devait être un des rapporteurs, je crois; on devait donner des enseignements pratiques sur la manière de prêcher actuellement. Malheureusement le Concile n'a pu être terminé.

Les Pères de la Compagnie de Jésus ont compris ce besoin des âmes. Ils ont depuis quelques temps modifié leur méthode. Mais jusqu’à il y a vingt ans, pour qui prêchait-on et qu'apprenait-on à ses auditeurs? Le prédicateur développait un texte, faisait de savantes considérations théologiques; mais qui comprenait, qui écoutait et surtout qui en profitait? Telle femme chrétienne qui ne manquait jamais la messe du dimanche, n'aura jamais peut-être entendu quoi que ce soit qui lui puisse convenir, qui soit pratique pour elle et lui apprenne à bien remplir ses devoirs d'épouse et de mère de famille. Pendant ce temps-là le diable parlait; dans les collèges et les écoles, dans les journaux, dans les livres et partout, le diable parlait; son langage était intelligible et intéressant; il parlait fort juste à son sens et il ravissait les âmes en foule. Il est donc nécessaire que nous ayons des conférences pour apprendre à prêcher, à faire le catéchisme, à diriger les âmes de la même manière et de la manière qui sera la plus utile au salut des âmes qui nous sont confiées. Dieu permet que de nouveaux ordres surgissent, afin que ces ordres nouveaux remédient aux besoins spéciaux des temps qui les voient naître.

Les Père Jésuites ont eu leur genre de prédication à eux, approprié aux besoins du temps où ils ont paru. Les Oblats doivent être, dans un sens analogue, les hommes du jour; ils doivent combattre les mensonges, les mauvaises pensées du jour et non plus les mensonges et les mauvaises pensées de Voltaire, de J.J. Rousseau ou bien des hérétiques d'autrefois.

Voyez quand saint Paul prêche, comme ses sermons sont appropriés au caractère et à la nature de ses auditeurs. Il prêche à l'Aréopage: “Y a-t-il un peuple au monde plus religieux que vous, Athéniens?", et il leur annonce le Dieu inconnu auquel ils avaient dressé un autel. Quand il s'adresse aux Hébreux, aux Juifs réunis à Rome, il leur retrace la suite de 1'Histoire Sainte depuis Adam jusqu'à Notre-Seigneur; sa parole est vivante, incisive; elle touche ses auditeurs ce n'est pas un froid sermon, une instruction compassée. Les sermons du XVIIe  siècle étaient bons au temps où les fidèles étaient instruits, où un certain nombre d'entre eux avaient fait des études théologiques. On allait à l'église pour entendre la prédication; l'exposé des vérités chrétiennes savamment fait et avec une diction irréprochable était écouté avec intérêt. On fait encore au Vatican, toutes les semaines, pour le Pape et pour les Cardinaux, des discours analogues. Vous y assisteriez que vous y prendriez des choses intéressantes. Mais rappelez-vous, quand vous êtes en chaire, que vous n'êtes pas devant le Pape et qu'il faut bien se garder de dire ce que vous diriez au Pape, aux quelques hommes, aux quelques femmes qui sont réunis devant vous. Il serait grandement à désirer donc que nous eussions des conférences sur la prédication. J'ai chargé le P. Bony de donner aux novices et à nos jeunes Pères, des principes de prédication. Je crois qu'il est bien entré dans mes manières de voir. Que tout le monde prêche donc bien de la même manière, de la façon que j'ai répétée si souvent; et que personne ne se lance dans la prédication à l'aventure.

Le P.P. a prêché, il y a quelques semaines, aux paroissiens de saint Rémy. Il leur a prêché la vie de leur patron, il leur a expliqué les peintures de leur église; tout le monde a été content et tout le monde a écouté. Et le bon curé de Saint Nicolas a dit en sortant au prédicateur: "Nous, nous avons fait fausse route, vous avez la vraie manière de prêcher". Vous voulez prêcher sur la foi; irez-vous faire de belles et savantes considérations sur la foi? Personne ne vous écoutera. Dites à vos auditeurs ce que c'est que la foi, l'absolue nécessité pour nous d'avoir la foi. Dites-leur ensuite :”Vous devez croire ceci, cela; et il ne faut pas que ce soit une simple adhésion de votre esprit, il faut y mettre votre cœur, votre volonté, vos actes”.

Voilà comment il faut faire pour entendre la messe avec foi, pour faire vos prières avec foi, pour travailler avec foi. Voilà le fonds du sermon que vous prêcherez. Donnez à ce fonds une forme convenable, appropriée à vos auditeurs; dites-leur cela de la manière qui leur convient, présentez-leur cela d'une façon qui leur agrée, qui les touche. J'ai à prêcher pour le 3e dimanche après l'Epiphanie; est-ce que je vais aller prendre un sermonnaire, un journal de prédication, en reproduire les idées, peut-être les phrases? C'est une absurdité. Donnez votre livre à vos auditeurs, cela vaudra mieux! Quatre cents personnes assisteront à votre sermon; il n'y en a peut-être pas deux qui recueilleront une des pensées de votre livre que vous aurez débitées. Je ne dis pas qu'il ne faille jamais se servir de sermonnaire; vous pouvez vous en servir assurément et, quand vous y rencontrez quelque chose de bon, le prendre et vous en servir. Mais je ne veux pas que vous prêchiez les sermons des sermonnaires. Assimilez-vous ce qu'il y a de bon, ce qui vous va; mais faites-le vôtre, et prêchez de votre fonds et non de celui des autres.

Pour prêcher ainsi, il vous faut de l'acquis; il faut avoir étudié la théologie, la Sainte Ecriture, les Saints-Pères, l'Histoire. Il n'est pas absolument nécessaire d'avoir étudié chacune de ces choses à fond et régulièrement: la vie d'un homme n'y suffirait pas. Pénétrez-vous bien de ce que vous avez étudié, recueillez vos observations personnelles, rappelez-vous les sermons que vous avez entendus; tout cela est excellent. Et surtout prenez des notes. Vous faites une lecture, c'est dans le Traité de l'Amour de Dieu; voilà une bonne pensée, quelque chose de neuf, d'intéressant qui pourra vous servir, mettez-le dans vos notes. Voilà une histoire agréable et instructive, un trait pris dans une revue, une semaine religieuse: je le mets dans mes notes. Au bout de quelque temps, j'ai là , sous la main, un stock de choses intéressantes, neuves. Je range tout cela sur des feuilles volantes placées dans un carton par lettres alphabétiques et j'ai là des matériaux précieux. On me charge de prêcher; si je ne suis pas trop neuf et que j'aie un peu de jugement, je bâtis moi-même mon plan. Si je me défie de moi, je vais consulter un de nos Pères plus expérimenté.

J'ai une instruction à faire sur le saint nom de Jésus: il ne faut pas que je fasse arriver toute la Bible, toute l'Histoire, toute la théologie à propos du Nom de Jésus. Un de nos Pères, dimanche dernier, a invoqué Napoléon 1er à l'appui de l'efficacité du Saint Nom de Jésus; il y avait beaucoup trop de choses dans son sermon. C'est le Nom de Jésus que je veux prêcher; je vais montrer d'abord ce que c'est qu'un nom, l'influence d'un nom, quand c'est Dieu lui-même qui le donne; je fais des applications de tout cela au nom de Jésus; j'en montre la puissance, l'efficacité; je montre les saints puisant dans l'invocation de ce Nom leur sainteté, les martyrs y trouvant la force de mourir pour Dieu. Tout le monde écoute, tout le monde comprend. Ce qu'ont dit les fabricants de sermonnaires est très bon; prenez-en pour le servir à vos auditeurs; mais prenez-en par ci par là, avec le bout de votre couteau, et ne faites pas manger à vos convives un lapin cuit depuis six semaines ou depuis deux siècles. Chacun a sa méthode pour prêcher; voilà la méthode que nous devons avoir. Autrefois chaque sermon était un fragment de somme théologique; prêcher de la théologie pure est absurde aujourd'hui; ce que vous direz, personne ne le comprendra, si vous ne servez que de la théologie. Que la méthode que je vous donne soit la méthode de la Congrégation.

Nous avions à Troyes un homme de savoir et de jugement, ingénieur des mines. Je le rencontre un jour et lui dis:  "Vous ne venez pas au sermon?”

— “Vos sermons de ville, me répondit-il, je ne goûte pas cela. Il n'y a qu'un prédicateur que je goûte. Quand je vais à Marnay j'aime entendre le curé Feuchot”.
— “Mais ce n'est pas un orateur pourtant!”
— “C'est précisément pour cela que je l'aime! Lui, au moins, dit des choses sensées et pratiques!”

Mettez donc bien de côté, dans vos notes, tout ce que vous trouverez à votre goût dans vos lectures, quand vous lirez la Sainte Ecriture, quand vous réciterez votre bréviaire, quand vous ferez de la théologie; notez tout ce qui vous intéresse, que ce soit sacré ou profane; que vous le trouviez dans un livre ou que vous l'entendiez, peu importe, pourvu que vous en puissiez tirer profit. Alors vous serez intéressant, vous ne donnerez pas des sermons rococos; on vous écoutera et on profitera.