Chapitres pour les Oblats 1873-1899

      

Nous venons pour aider

Chapitre du 20 novembre 1889

“Pour les retraites et les missions, on aura soin de ne jamais les accepter que sur la demande expresse des curés et des supérieurs” Const., Art XV:10; p. 56).

Il  ne faut jamais aller là où nous ne sommes pas demandés. Et il y a toujours de grandes précautions à prendre avec Messieurs les curés, avec Messieurs les vicaires. Pour bien faire les choses, il faut que là comme partout nous nous tenions bien petits, bien vraiment Oblats de Saint François de Sales par notre douceur, par notre mansuétude, par notre humilité. Cela résiste à tout. Rien ne peut surmonter cela. On laisse passer les coups de vent, on courbe le dos sous 1'orage, on apporte toujours une grande condescendance, dans toutes les oeuvres dont on est chargé, et on fait du bien. Il est un grand principe dont nous ne devons jamais nous départir; c'est que, quand nous sommes envoyés quelque part, nous y venons pour aider. Nous allons dans une paroisse, c'est pour aider le curé. Nous allons dans une communauté, c’est pour aider le supérieur ou la supérieure. Nous allons dans une oeuvre, c’est pour aider le directeur. Le bien que nous ferons sera le complément de celui qu'ils auront fait: ce sera précisément le bien qu'ils n'auront pas fait. Il faut donc donner notre concours, notre volonté, notre aide au bien qui se fait déjà, quelque imparfait qu'il puisse nous sembler. Ce doit être notre point de départ.

Il faut bien nous garder de cet orgueil de ministère qui nous ferait mépriser l'oeuvre des autres et leur substituer la nôtre. Ce sont les autres qui ont avant tout grâce d'état. C'est le supérieur, c'est le directeur qui posent la base et nous ne faisons que les compléter. Voilà un directeur d'oeuvre, je suppose un laïque: il empiète sur les droits du prêtre, de l'aumônier, il ne met pas dans l'exercice de son zèle tout le discernement désirable. Qu'est-ce que cela fait? Et s'il arrive à faire confesser deux enfants de plus, est-ce que ce ne sera pas un grand bonheur?

Faisons bien ce que le Sauveur fait pour nous. Il répare ce que nous faisons de mal, il complète notre oeuvre, il se met après nous. Faisons ainsi et mettons nous bien après le directeur, après le curé, après le supérieur: conservons et perfectionnons ce qu'il a fait de tout notre coeur, de tout notre esprit, de toute notre estime. Que ce soit là notre cachet, C'est tout à fait ce que faisait notre saint Fondateur, ce que faisait la bonne Mère Marie de Sales. Il faut nous mettre en face de ce qui est bien, ne pas brouiller les cartes, et le bon Dieu bénira singulièrement ce que nous aurons fait.

Rappelons-nous encore que ce qui opère, c'est ce que nous souffrons. La rédemption des âmes, comme au jour de la Passion, est un mystère de souffrance. C'est l'histoire de notre dévouement, de notre abnégation, de notre patience. Il faut bien comprendre cela. Et ce que je dis des oeuvres, je le dis des collèges, des ateliers. Tous ceux qui sont là ayant autorité, tous ceux qui président à la chose, ont grâce pour cette chose. Il faut entrer dans leur esprit, à moins qu'il ne soit manifestement mauvais. Il ne faut pas se heurter, il ne faut pas être à l'égard l'un de l'autre des vases de terre qui se choquent et se brisent.  C'est une règle de très grande sagesse et de très grande prudence, même au point de vue humain. C'est aussi la marque d'une très grande capacité que de se dire: “Dans cette affaire-là, voilà ma part. Cette art est grosse comme une tête d'épingle peut-être, mais elle m’attirera la grâce de Dieu”.

Le religieux n'est pas un homme comme un autre: il n'agit pas de lui-même, mais il agit en suite de l'obéissance. Son action ne doit pas être personnelle, mais ce doit être l'accomplissement de la volonté de Dieu en lui, par lui. Il faut donc toujours faire la part complète et entière au supérieur et l'aider dans la mesure d'une participation qui fasse que le bien s'opère. Si cela vous coûte, tant mieux. C'est là notre emploi, c’est 1à notre office.

Il est un mot du Livre des Maccabées que je relis tous les ans dans le bréviaire et qui est bien remarquable. Rome, dit-il, a obtenu l'empire du monde par la patience et par la réflexion, la sagesse prudente, en se rendant bien compte de la situation telle qu'elle était pour en profiter. Voilà toute l'histoire de Rome. Cet esprit, il faut le porter dans vos paroles, dans vos intentions, dans vos affections, dans votre travail. Voilà le vrai sens du travail religieux. Alors le religieux agit ainsi respectueusement devant sa besogne; il la fait avec sagesse, avec mesure; il voit ce que les circonstances personnelles réclament de sacrifices de lui; il acquiesce à tout ce que Dieu demande et jusqu'où Dieu le veut. Il faut bien comprendre que ce doit être là notre physionomie. Toutes nos affaires, nos relations avec le dehors doivent être entièrement dans cette manière de faire. Avec cela on peut aller partout, être chargé de tout, tout faire. Il n'est pas besoin d'autre science que celle-là, j'entends en fait de savoir-faire. Une foule d'entreprises, bien bonnes, bien excellentes, n'aboutissent pas à cause de cela. Cela aboutira toujours; cette manière d'agir est presque invincible et invariable du côté des hommes. Elle l'est toujours du côté de Dieu, puisque c'est sa volonté.

Les Constitutions nous recommandent l'entente avec le curé, surtout quand il s'agit d'oeuvre à établir, et cela est bien sage. Si l’on agit en dehors de lui, contrairement à son avis, le lendemain de votre départ la chose sera balayée. En pareil cas, non seulement il faut s'entendre avec le curé, mais il faut voir si lui-même n’a pas commencé quelque chose. Si vous pouvez l'aider dans ce sens-là, entrez dans ses idées. Quand même ses idées ne seraient pas tout à fait bien justes, bien logiques, cela vaudra dix fois mieux que de marcher dans un autre sens. Aidez-le dans ce qu'il veut faire et vous réussirez mieux que là où il ne vous aidera jamais. Faites souvent la prière de Salomon: "Donne-moi celle qui partage ton trône, la Sagesse” (Sg 9:4). Donnez-moi, Seigneur, votre sagesse qui m'assiste et me dirige dans mon travail. Voyez comme vous avez besoin du bon Dieu, comme tout est là, comme il faut par conséquent tout faire avec son Directoire. L'homme que fait-il? Il ne faut pas dire qu'il ne fait rien: il fait tout. Dieu n'agit pas sans lui, mais il faut qu’il s'abandonne complètement entre les mains de Dieu; ce n'est qu'à la condition de cette remise entière qu'il peut faire quelque chose.

Ce que je viens de dire s'applique aux missions, aussi bien qu'à toutes les autres oeuvres. Il faut bien prendre cette méthode de notre saint Fondateur, il faut bien se pénétrer de sa doctrine, de ce qu’il recommandait à ses curés, de ce qu’il disait dans ses lettres. Prenons son esprit aussi bien dans sa manière de parler et de prêcher. Ses sermons sont bien utiles à étudier. Sans doute il a fait un petit sacrifice au goût et au style du temps, mais en dehors de cela, tout est marqué au coin de la plus grande sagesse, de la science, de la vraie doctrine. Voyez comme il se sert de la théologie, de l'Ecriture sainte, des Pères. Voyez surtout comme il est fidèle à ce grand principe qu'il faut parler pour son auditoire. Voyez comme il s’adresse à ceux qui sont devant lui. Dans toutes les circonstances où il porte la parole, jamais il ne fait de discours pour faire un discours; il change de ton et d'allure suivant les circonstances et les personnes auxquelles il s'adresse. Il y aurait beaucoup de choses à dire là-dessus. Prenez-le pour modèle: prenez ce principe de notre saint Fondateur pour base de votre prédication. Le sacrifice de nous-mêmes, l'imitation bien entendue de notre saint Fondateur, voilà la double recommandation que nous fait la Sainte Eglise par l'entremise de nos Constitutions. Demandez bien à notre saint Fondateur, à la bonne Mère Marie de Sales de vous bien pénétrer de ce grand point de notre vocation.

Je recommande bien aux prières de la communauté nos missions. Je reçois des lettres du Cap où l’on me dit qu'on a beaucoup à  souffrir de la famine. De Riobamba aussi on se recommande à nos prières. Il n'y a pas la famine, mais nos pères sont loin d'être riches et ils ont aussi des souffrances à endurer de toute façon. Mais ni le P. David, ni le P. Simon ne se découragent, au contraire. De Calvinia aussi, le P. Ceyte m'écrit de temps à autre. Il a bien à lutter dans cette mission. Il faut bien prier pour lui. Il a contre lui, je ne sais combien de ministres protestants, grassement payés, et il est là tout seul avec son bon frère qui fume du matin au soir.