Chapitres pour les Oblats 1873-1899

      

Comment se conduire dans les oeuvres

Chapitre du 30 octobre 1889

“Dans les oeuvres on se dirigera, quant au but et aux moyens, selon le plan de notre bienheureux Père, voulant faire et conserver des chrétiens sincères, généreux, forts dans la foi, fondés dans le détachement d’eux-mêmes, dans l’humilité et la mansuétude chrétiennes” Const., Art XV:8; p. 55-56).

Le but de notre bienheureux père était de faire des chretiens sincères. Le diable est le père du mensonge, et partout où il exerce son influence, il amène le mensonge, il écarte la sincérité. Ce qui manque le plus aux chrétiens de nos jours, à ceux qui entreprennent la vie religieuse, c'est la sincérité, une conscience sincère.

Nous devons être sincères avec nous-mêmes, afin que nous puissions apprendre la sincérité aux autres, afin que nous ayons grâce pour la donner. On a grâce en effet que pour ce que l'on fait bien soi-même. C’est un don que l'on n’obtient qu'à ce prix. Il faut donc nous juger bien nous-mêmes, bien voir ce que nous sommes, bien faire nos examens matin et soir, ne pas nous surfaire. Faisons nos examens bonnement et simplement, en jetant un regard sur le champ de nos opérations, sur nos pensées, nos actes. Il n'y a pas d'effort d'humilité à faire; voyons seulement la vérité. Si nous sommes sincères avec notre conscience, nous apprendrons la sincérité aux autres.

Encore une fois, le nombre des chrétiens sincères est petit, et la sincerité que nous devons apprendre au peuple chrétien doit sortir de notre sincérité envers nous-mêmes. Il faut sans doute ménager les faibles. Il est quelquefois des préjugés qu'il faut ménager quelque peu pour arriver au but. Dans ces cas-là, faisons ce que nous dit la prudence, allons jusqu’où la loi de Dieu le permet. Et au fur et à mesure que nous gagnerons du terrain, amenons peu à peu les âmes à cette sincérité complète, à ne pas se faire d'illusions, à être vrais vis-à-vis de la loi, de leurs obligations. Que ce soit là notre caractère particulier, la simplicité, une extrême sincérité, afin que nous puissions bien apprendre aux autres à être sincères. Demandons bien au bon Dieu cette âme complètement sincère. Gardons-nous bien de rejeter les âmes qui ne nous apportent pas cette complète sincérité: cela vient de la faiblesse ou de la passion. Quelquefois c'est le résultat d'une faiblesse corporelle: on n’a pas la force physique de s'attacher constamment à la vérité. Usez de patience, de ménagement, pour arriver au but que nous montre notre saint Fondateur: atteindre peu à peu cette sincérité complète.

Je vous recommande cette manière de faire avec les élèves. Faites leur comprendre que la sincérité est un devoir pour eux, qu'ils ne doivent pas s'habituer à conserver une chose, à ne pas en admettre une autre, qu'ils doivent marcher franchement et ouvertement, reconnaissant les fautes qu'ils commettent et s'en accusant en toute simplicité. “Tout homme n’est que mensonge” (Ps 116:11). Voyez comme la sincérité est rare. Et voyez aussi comme  c'est le but auquel tend notre saint Fondateur. Il a élevé tout son édifice de vie spirituelle là-dessus; et sa base est bien solide et bien vraie. On peut avoir d'autres moyens de mortification; tous les moyens sont bons sans doute, mais on est loin d'aller si vite qu’avec les moyens de notre saint Fondateur. On court le risque d'arriver cent ans après lui.

La générosité: La générosité consiste à avoir le coeur bien large envers tout prochain, à sacrifier pour lui notre bourse, si nous l'avions.  Mais notre seul bien à nous religieux, la seule chose que nous ayons à sacrifier, c’est notre inclination, notre volonté. Donnons donc généreusement pour le prochain nos inclinations, nos goûts, nos opinions. Or, mes amis, quand on donne quelque chose, on ne l'a plus et cela coûte. Donnons sans regarder et sans faire retour sur nous-mêmes. Ce qui est mieux pour le bien de la paix, de la charité, abandonnons nos opinions ou gardons-nous de les faire valoir, quand il n'y a nulle obligation, et de la sorte nous serons plus généreux que si nous abandonnions notre bourse.

Il faut apprendre aux élèves à être généreux, à faire l'aumône, à donner à 1’eglise. C'était en grande pratique dans l'ancienne éducation. Tout le monde donnait le superflu. Aujourd’hui personne n'en a, personne n'a ce qu'il faut. Avec 50.000 livres de rentes, les gens font des dettes, entament leur capital. Ne parlons donc plus de superflu, puisque personne ne s'en reconnaît plus. Recommandez néanmoins sans cesse la générosité, apprenez à ceux qui ont beaucoup à donner beaucoup, à ceux qui ont peu à donner leur peu de bon coeur. Quand on peut amener les enfants, les jeunes gens, à être généreux complètement, à sacrifier non seulement de leur bourse, mais de leurs inclinations, de leurs goûts, de leurs volontés, on a alors accompli une oeuvre bien excellente.

“... forts dans la foi ...” — Pour arriver à avoir des chrétiens forts dans la foi, il faut leur donner l'instruction indispensable à cette vertu. Il faut donc avoir déjà soi-même une foi bien vive et établie sur des bases solides. La base la plus solide de la foi, c'est l'histoire, l'histoire de la religion. Quand cette histoire a été bien enseignée, bien comprise, la foi s'appuie sur ce fondement sérieux, les convictions sont fortes, inébranlables; elles résistent à toutes les attaques du dehors. Attachez-vous donc bien à l'instruction religieuse. Quand vous avez à la faire en classe, dans les catéchisme, dans la prédication, prenez bien les moyens de l'établir solidement sur des faits clairs et sûrs, en donnant aux âmes l'amour des choses de Dieu, la foi inébranlable. C'est bien là l'esprit de notre saint Fondateur, c’est bien là ce qu’il a fait dans sa vie. C'était ainsi qu'il procédait et il a implanté la foi bien solidement dans les âmes. Voyez! Quelles sont les populations qui sont restées fidèles et fortes dans leur foi? Les populations qui ont été évangélisées selon la doctrine de saint François de Sales. Il n'y a pas eu grand éclat dans cette évangélisation, mais les résultats ont été solides. Voyez, comme je  vous le disais l'autre jour, comme la Savoie, comme l'Ouest de la France, sont restés chrétiens.

“... fondés dans le détachement d'eux-mêmes ...” —  C'est là une grande vertu, un grand don de Dieu. Il faut tâcher d'en arriver là peu à peu. Les circonstances ne nous manquent pas pour pratiquer ce détachement: le détachement de notre propre jugement, de notre sensualité, du moi, ce détachement qui porte l'âme, sans obstacles, vers Dieu et vers le prochain, sans lequel il n'y a pas de christianisme, ce détachement qui repose tout entier sur le sacrifice. Dans les familles bien chrétiennes, on élève les enfants dans l'habitude du sacrifice, on leur apprend à ne pas écouter leurs fantaisies, à se détacher de leurs goûts, à ne pas se suivre eux-mêmes, à n'être pas présomptueux, à ne pas donner leur avis dans les choses qui ne les regardent pas. C'est ainsi que l'on façonne des hommes sérieux et chrétiens. Si chacun abonde dans son ens, reste soi, il arrive que toute société ne sera plus qu’une réunion d’individus juxtaposés. Il n’y aura plus de force de cohésion. Chacun sera tout seul, n'agira qu'avec soi, n'aura personne pour l'aider, pour le soutenir. Il n’y aura pas de société possible.

“... dans l’humilité et la mansuétude chrétienne.”  — Notre-Seigneur nous donne cette grande leçon d'humilité et de mansuétude chrétiennes. “Chargez-vous de mon joug et mettez-vous à mon école, car je suis doux doux et humble de coeur” (Mt 11:29). Notre-Seigneur ne pouvait pas avoir l'humilité d'esprit; il ne pouvait pas se considérer, lui qui est Dieu, comme le dernier et le plus misérable des hommes. Mais il avait cette humilité qui lui faisait aimer la petitesse, l'anéantissement. Il s'humiliait devant son Père, devant les puissances de ce monde, il s'humiliait dans la maison de Nazareth, obéissant à Marie et à Joseph, il faisait ses délices divines de cette obéissance. L'humilité en effet n'est pas quelque chose qui rabaisse, qui témoigne de la bassesse d'esprit ou de coeur. Non, au contraire. Comme dit saint Augustin, l'appétit, la convoitise ramène et borne tout à nous-mêmes, l’humilité rapporte tout à Dieu,  nous élève jusqu'à lui. Elle nous fait juger de nous-mêmes tout comme le bon Dieu en juge.

La mansuétude chrétienne, la douceur qui est la marque de la force, c'est toujours l’histoire de Samson trouvant dans la bouche du lion un rayon de miel. La vraie force, le courage, l'énergie sont dans  la douceur. C'est par là que nous domptons et surmontons toute chose. Il faut bien nous rappeler ces paroles du Sauveur: “Je suis doux et humble de coeur” (Mt 11:29). Il faut nous les rappeler dans nos rapports avec le prochain, de la sorte nous les mettrons en pratique et nous pourrons les apprendre aux autres. Que  le Sauveur soit avec nous dans la pratique des vertus, car ce ne sera pas une petite besogne.