Chapitres pour les Oblats 1873-1899

      

Chasteté dans le comportement personnel

Chapitre du 15 mai 1889

Nous avons terminé l'explication du vœu de chasteté. Je vous rappelle que ce mot chasteté, qui veut dire retenue, embrasse non seulement la fuite des fautes opposées à la sainte vertu, mais encore notre tenue, notre extérieur: à l'église d'abord, je vous recommande bien de ne pas vous accouder, de ne pas vous appuyer, de ne pas croiser, étant à genoux, un pied sur l'autre; mais de tenir le corps droit, la tête un peu inclinée, les yeux modestement baissés. Il ne faut jamais vous départir de ces pratiques, c'est à cela que l'on reconnaîtra les Oblats. Il faut aussi bien avoir soin de n'avoir dans sa démarche, dans ses habits, rien d'extraordinaire, de bizarre, de singulier. Il faut marcher sans affectation, évitant trop de précipitation ou de lenteur. Ne portez pas en marchant vos yeux à droite ou à gauche pour regarder les personnes qui passent. Cela est l'indice certain d'une âme qui n'a rien au-dedans pour l'occuper et qui cherche sa vie au dehors. Ce scandale des manières est bien à éviter dans la rue. Le monde est tellement mauvais qu'on interprète mal les choses les meilleures. Allons-y bonnement, simplement, nous attachant toujours à ce qui nous est recommandé.

Dans les rapports du saint ministère avec les jeunes filles, ayez soin de ne jamais les traiter comme frère et sœur, ou en camarade. Gardez toujours une certaine distance. Evitez bien dans vos lettres surtout tout ce qui sent le monde: que tout soit rempli au contraire de gravité religieuse, de sainteté. La lettre d'un religieux ne doit jamais ressembler à la lettre d'une autre personne. On peut écrire à ses amis assez librement, mais qu'on reste toujours dans les limites de la modestie et de la gravité religieuses. Toutes les fois qu'on écrit à une femme, que la lettre soit conçue de telle sorte qu'elle puisse être lue par tout le monde. Il peut y avoir sans doute des choses secrètes, des choses de conscience. Mais encore, que ces choses- là soient dites de telle façon que rien ne choque et ne scandalise les personnes qui les pourraient lire. Je regarde cette recommandation-là comme capitale.

Vous porterez donc la mortification partout, évitant dans la tenue le laisser-aller, le sans-gêne, la nonchalance. Surveillez-vous bien. Encore une fois, c'est là notre pratique, c'est là notre principale observance religieuse. Nous ne nous privons de rien, nous n'avons pas d'austérités; nous devons prendre pour modèle notre saint Fondateur. Lui-même se modelait sur Notre-Seigneur. Cette gêne qui résulte de cet effort de veiller sur soi-même a bien sa valeur. Je vous conjure “par la modestie du Christ” -  [per modestiam Christi”], disait saint Paul aux premiers chrétiens (2 Co 10:1, Vulgate). Je vous conjure par quelque chose de bien admirable, quelque chose qui vous est cher et dont le souvenir a un grand prix pour vous, par cette tenue modeste et réservée, par cet ensemble de dignité et de simplicité qui rayonnait de la personne du Sauveur. Ces choses-là, il faut les faire par un motif surnaturel. Si nous agissons naturellement, c'est bien sans doute. Si c'est le résultat de notre travail personnel, des observations que nous nous sommes faites à nous-mêmes, il n'y a rien à redire. Mais si c'est par vertu surnaturelle que nous agissons, si c'est pour le bon Dieu, ce sera bien plus méritoire.

Que dans la pratique de la Règle extérieure, nous apportions toujours un grand esprit de simplicité et d'exactitude. Ce que nous ne pouvons pas faire par suite d'une impossibilité physique, c'est bien, mais obtenons-en toujours la permission. S'il n'y a pas moyen dans le moment, tenons-nous-en à ce qu'i1 sera possible de faire. Conservons partout et toujours cette gêne; le fardeau de la loi de Dieu doit peser sur tout notre être, il sera la sauvegarde de notre vertu, de notre dignité personnelle de tout ce que nous devons faire et accomplir au milieu du monde.

Le P. Lambey reste chargé de veiller à l'exécution des différents points extérieurs de la Règle. Le P. Lambert le suppléera en son absence. Je fais appel à la fois à la piété de tous, pour que tous vous mettiez la main à l'ordre extérieur de la communauté. C'est pour nous le meilleur moyen de faire du bien. Mais qu'on ne laisse rien passer.

Tous les maîtres de la vie spirituelle disent là-dessus des choses bien touchantes. Notre-Seigneur, font-ils remarquer, reste attaché à la colonne, à la croix, tant que l'heure n'est pas venue de glorifier son Père par sa mort. Quand le moment marqué est arrivé, “C’est achevé” s'écrie-t-il (Jn 19:30). Voilà l'Oblat, voilà la physionomie qu'il doit avoir, l'influence de la tenue extérieure sur toute la vie religieuse. La sève de l'arbre monte à l'intérieur et à l'extérieur; mais celle de l'extérieur est plus nécessaire encore que celle de l'intérieur. Cette sève environne l'arbre, et garde et protège le tronc tout entier.

Que chacun s'applique bien à cela. Quand on s'en va en voyage, en mission, qu'on emporte bien cela avec soi. C'est notre héritage, notre façon d'être, c'est le mieux pour nous. Que chacun fasse bien l'abandon de sa propre nature, que chacun se corrige et tâche d'arriver à un certain niveau. Ce sera pour chacun en particulier une occasion de mérite, et une force très grande pour toute la communauté. Portons bien en nous l'image de notre saint Fondateur, qui est l'image de Notre-Seigneur.