Chapitres pour les Oblats 1873-1899

      

Le supérieur

Chapitre du 22 mai 1889

“Le supérieur fera observer exactement toutes les Constitutions. Il n’y changera rien ou n’innovera rien” (Const., Art. IX:1; p. 39).

Le supérieur général lui-même ne peut rien changer, innover ou modifier de son autorité privée. Cependant le chapitre général peut provisoirement admettre de légères modifications aux Constitutions pour des raisons absolument nécessaires et graves, et sous la réserve de l'approbation de la cour de Rome à qui la chose doit être soumise. Ces modifications, d'autre part, ne peuvent être que temporaires. Les Constitutions sont la foi fondamentale de la Congrégation. Elles nous sont données par l'Eglise. Et de même que les simples fidèles ne peuvent pas se dispenser des lois de 1'Eglise, de même la Congrégation ne peut pas se dispenser de ses Règles.

“Il observera lui-même les Constitutions et il ne s'en dispensera que pour des motifs notables et évidents” (Const., Art. IX:2; p. 40).

Il est bien certain que le supérieur est obligé d'observer les Constitutions. Quand il a besoin de dispense, comme il n'y a personne pour la lui donner, c'est à 1ui de juger en son âme et conscience jusqu'où il peut aller et s'il peut se dispenser de telle ou telle obligation.

“Il sera l'âme et le cœur de la Congrégation, l'animant de sa charité, la vivifiant de son zèle, l’entretenant dans la paix, la concorde, et s’efforçant de la maintenir dans l’esprit de saint François de Sales, tant pour la pratique que pour la doctrine” (Const., Art. IX:3; p. 40).

Il faut nous rappeler que, par rapport à cette recommandation des Constitutions, nous sommes tous un peu supérieurs par quelque côté. Il faut que tous ceux qui ont quelque charge, quelque emploi, se regardent comme ayant en quelque sorte charge d'âmes. Un ancien grand vicaire de Paris me disait : “Dans le clergé de Paris, il y a deux catégories de prêtres: les curés ou vicaires ont du zèle; ils marchent de l'avant, ils sentent le poids de la charge des âmes. Les employés sont de braves et honnêtes gens, ils mènent leur petite brouette devant eux”. Mes amis, nous ne devons pas être des employés, des honnêtes gens faisant tant bien que mal leur petite affaire. Nous sommes, en tant que religieux et prêtres, la partie active et militante de l'Eglise. La charge qui nous est confiée n'est pas une place où nous venons gagner notre vie ou essayer de faire fortune. Nous sommes donc tous supérieurs sous ce rapport, supérieur de l'office que nous avons à gouverner, des âmes dont nous avons la charge. Nous ne sommes sans doute pas supérieurs dans le sens absolu du mot, mais nous devons prendre dans l'exercice de notre charge les sentiments que nous recommandent ici les Constitutions, animer les âmes qui nous sont confiées de notre charité. “Airain qui sonne ou cymbale qui retentit” (1 Co 13:1), voilà ce que l'on est sans cette charité vivifiant de son zèle. Le zèle, c'est du feu, c'est quelque chose d'actif et de brûlant, ce ne sont pas des charbons éteints.

Soyons bien embrasés de zèle, et non pas tièdes. Rappelons-nous la malédiction prononcée par Dieu contre les tièdes: “Je connais ta conduite: tu n’es ni froid ni chaud — que n’es-tu l’un ou l’autre! — [...] ainsi, puisque te voilà tiède, je vais te vomir de ma bouche” (Ap 3:15). Il faut avoir le zèle du cœur, donner son cœur tout entier à la besogne qui nous est confiée. Les demi-coeurs, dit saint François de Sales, à quoi sont-ils bons? Que rien ne soit si bien fait que notre classe, que notre étude, que notre travail manuel. Mettons-nous-y tout entiers, corps et âme. Il n'y a pas d'acte indifférent quand on est religieux. Disciples de Notre-Seigneur, nous devons marcher sur ses traces; or il est venu apporter le feu sur la terre: “Je suis venu jeter un feu sur la terre” (Lc 12:49).

“... l'entretenant dans la paix, la concorde...” — C'est là un grand point, une chose essentielle. Toutes les fois que nous sommes chargés de quelqu'un, il faut avoir bien grand soin de n'en jamais dire de mal. C'est une chose qui est bien défendue aux curés par rapport à leurs paroissiens; à plus forte raison cela doit-il être défendu à un frère de dire du mal de son frère, de ceux qui sont sous ses ordres. Qu'on fasse ses réflexions à qui de droit, en toute cordialité, mais qu'on n'aille pas au-delà. Toute maison divisée contre elle-même périra.

“... et s'efforçant de la maintenir dans l'esprit de S. François de Sales ...” — Il faut bien éviter, dans la direction des âmes, tout ce qui s'écarte de notre esprit, tout ce qui lui est étranger. Nous avons nos Constitutions, les écrits de la bonne Mère, les Œuvres de saint François de Sales, les chapitres que je vous fais, voilà la doctrine. Et tout le reste, dit notre saint Fondateur, “pour bon qu'il semble être, et qu'en effet il le fût, il ne serait pas pour eux, je les en assure”. Une communauté qui garde son esprit tient toujours sa place dans l'Eglise de Dieu, celle qui subit des modifications est bien promptement annihilée. Chacun, dans notre charge, conservons bien l'esprit de saint François de Sales, “tant pour la pratique que pour la doctrine”. Ce qui fait que la Visitation n'a jamais eu à subir de réforme, c'est qu'elle a toujours observé fidèlement sa Règle et a maintenu ses traditions et son esprit.

La pratique, c'est la Règle, le Directoire, l'observance. Il faut être fidèles aussi à l'esprit quant à la doctrine. Cette doctrine, l'Eglise l'a reconnue et approuvée. N'adoptons pas des manières de faire et d'agir en dehors de là, en dehors de notre saint Fondateur. Nous sommes les gardiens de sa doctrine et nous ne sommes pas les gardiens de la doctrine des autres; maintenons-la avec une grande fidélité et une grande énergie. Il est bien certain que la doctrine de notre saint Fondateur est une doctrine qui est applicable à tous les temps. On a fait des prédictions sur la Visitation, on a dit qu’elle durerait jusqu'à la fin du monde. Il n'y a rien d'étonnant à cela. Quelle cause pourrait donc surgir qui rendît inutile ce que notre saint Fondateur a enseigné?

J'insiste sur ces conditions que nous devons apporter à notre besogne: la charité, le zèle, la concorde, l'attachement à notre esprit. Ne faisons rien mollement ou avec indifférence. Ne faisons pas les choses pour qu'elles soient faites, mais pour atteindre le but que Dieu nous demande d'atteindre. La chose en elle-même n'est rien, ce n'est qu'un moyen. Le but à atteindre par la chose est tout: c'est l'effet auquel nous devons arriver. La paix, la concorde, je reviens là-dessus, c'est la condition absolue, nécessaire de la vie et de l'existence d'un ordre, du nôtre tout spécialement, puisque nous sommes fondés sur la charité et que notre grande affaire est de la pratiquer. Il faut bien éviter tout ce qui peut séparer les cœurs et les esprits.

Mettez toujours une bonne interprétation à ce que l'on dit, à ce que l'on fait. Pratiquez bien cette vertu que les Pères grecs ont appelée eutrapélie, l'interprétation favorable, l'explication bienveillante. Quand un Père commet une faute, une erreur et qu'il la voit excusée, interprétée favorablement, cela le lie davantage à ses frères, à la communauté. Dieu permet souvent ces fautes qui peuvent produire ensuite un plus grand bien. C’est là l'esprit de saint François de Sales tant pour la doctrine que pour la pratique. Que rien ne nous fasse jamais modifier cette doctrine de saint François de Sales. Appliquons toujours cette doctrine dans toutes les circonstances. Elle conduira les âmes à la vie intérieure, elle leur procurera les grâces les plus abondantes.

Je vous rappelle que nous sommes dans le temps pascal et qu'il faut bien exciter notre piété pendant ce temps. Notre-Seigneur visite les Apôtres et leur apporte sa paix, il leur fait voir et toucher ses plaies, il leur donne leur mission et les envoie par le monde, il fait descendre sur eux l’Esprit-Saint. Lisez les évangiles de saint Jean qui ont rapport à ce temps de Pâques. L'Eglise naissante vit uniquement de lui: il est là sur la terre uniquement pour les Apôtres. Unissons-nous aux Apôtres et demandons à Notre-Seigneur les grâces qu'il leur a données. Les âmes qui aiment Notre-Seigneur le trouvent, au temps de Pâques, plus facilement que dans les autres temps.