Chapitres pour les Oblats 1873-1899

      

Fidélité à la Règle

Chapitre du 17 avril 1889 (Mercredi saint)

L'importance de la Semaine Sainte attire tout à elle; elle appelle nécessairement un mot d'édification sur la manière dont nous devons la passer.

Les solennités de l'Eglise, les mystères de la Passion à méditer, les lectures, les entretiens spirituels sont de bonnes choses; mais ce n'est pas grand chose quand l'action n'est pas en rapport avec les lectures ou les méditations. Notre-Seigneur lui-même nous a rachetés non seulement par sa volonté, mais par sa mort et sa passion. Il a été attaché à la croix par des clous. Il n'en est pas descendu, il y est mort, alors même que les Pharisiens lui criaient: “Descendez et nous croirons en vous” (Cf. Mt 27:42).

La meilleure manière de sanctifier cette semaine et celles qui suivront, c'est l'exacte observance. Nous avons une vie décousue, nous sommes un peu d'un côté et un peu d'un autre, l'action de la communauté n'apparaît pas beaucoup. Nos chambres ne sont pas contiguës comme des cellules, les exercices extérieurs de communauté ne sont guère possibles. Par conséquent, ces exercices extérieurs manqueront bientôt si la fidélité d'un chacun n'est pas absolue. Fait-on grand mal en étant infidèle? Oui, le sang de Notre-Seigneur devient inutile pour notre âme. Aucune obligation bien étroite ne nous lie. Nous ne nous sommes pas beaucoup préoccupés jusqu'ici de donner une forme extérieure bien arrêtée à la communauté; jusqu'ici nous n'étions pas bien nombreux. Mais il est extrêmement nécessaire que chacun à part soi y mette toute sa conscience. La généralité des hommes n'a pas de conscience. Trouver quelqu'un ayant de la conscience est chose extrêmement rare. Il faut pourtant que tous nous ayons de la conscience. C'est l'unique moyen qui soit à notre disposition pour faire observer notre Règle.

Ayons de la conscience. Pour moi, mes amis, je ne crois pas avoir passé jamais un seul instant de ma vie sans avoir sur les bras, dans le cœur, les obligations de ma charge, quand j'étais séminariste, professeur ou dans le saint ministère. Je ne comprends pas qu'on puisse exister en dehors de là. C'est probablement pour cela que l'idée ne m'est jamais venue de prendre des mesures extérieures pour faire observer la Règle. Voilà l'heure du lever; on ne se lève pas. Il n'y a pas de péché? Si, il y a un très grand péché et, au bout de quelque temps, la faute devient un crime: en effet on perd sa vocation! Vous ne faites pas l'oraison. C'est un très grand péché, car cela vous met dans l'état de froideur et d'indifférence à l'endroit de Dieu et de votre vocation, cela vous enlève les grâces qui vous étaient destinées. Quand vous n'aurez plus de grâces pour vous, comment pourrez-vous en donner aux autres?

Quel est l'arbre que Notre-Seigneur maudit dans l'Evangile? Il ne maudit pas un chêne: le chêne ne porte pas de fruits bons à manger. Il ne maudit pas un palmier: le palmier n'a pas des fruits à la portée de tout le monde. Il maudit le figuier qui ne donne pas les fruits qu'il devait donner au passant. Le figuier, c'est le religieux. Il ne porte pas de fruits, il ne nourrit pas le passant. Il sera maudit et la malédiction le desséchera. Ayez bien peur, mes amis, de la malédiction du figuier.

Je me suis fâché, parce que j'ai appris que parmi vous il y en avait quelques-uns qui négligent la Règle, qui ne se lèvent pas à l'heure, qui ne font pas l’oraison. Comment, vous faites cela? Mais, séminariste, je n'aurais jamais voulu agir ainsi. Je suis vieux, malade souvent, je ne puis pas pratiquer la Règle d'un bout à l'autre, mais je fais ce que je peux. Et je suis profondément étonné d'apprendre qu'il y ait parmi vous de telles négligences. Je ne veux pas dire des choses trop fortes. Vous n'êtes pas des séminaristes. Qu'on m'envoie un séminariste, un être insignifiant si vous le voulez, je prendrai les moyens qu'il faudra pour le faire marcher; s'il lui faut la "schlague" [= punition en usage dans l’armée allemande, d’où: manière brutale de se faire obéir] on la lui donnera, et au moins il ira bien.

J'ai un peu d'émotion, mes amis, je ne la regrette pas. Ces choses-là attirent la malédiction de Dieu. Elles déterminent un marasme, un état d'anéantissement complet. Voyez les pays protestants. À moins qu'il n'y ait là auprès des catholiques un bon curé, vigilant, actif, zélé, on ne sait pas trop quelle est la foi des gens auxquels on a affaire: c'est un mélange de catholicisme et de protestantisme. Il en est de même dans la vie religieuse. Les autres religieux ne sont pas soutenus dans leurs efforts, l'indifférence envahit tout.

Le Père Lambey, et à son défaut, le Père Lambert, sera chargé désormais de veiller à l'accomplissement de la Règle extérieure. On est malade, on ne se lève pas à l'heure, c'est bien. Mais qu'on y mette un peu d'énergie. Il y a des personnes qui sont malades toute leur vie, et pourtant elles trouvent la force de faire leur devoir. Saint Louis de Gonzague, saint Alphonse de Liguori étaient toujours malades. Notre saint Fondateur souffrait considérablement. Cela ne l'empêchait pas d'être fidèle au règlement qu'il s'était tracé. Il faut sans doute avoir un peu pitié des malades, mais il faut aussi que les malades sachent ne pas s'alanguir.

Je désire que, pendant la Semaine Sainte, nous soyons tous bien attachés à l'observance. Notre-Seigneur porte sa croix, son sang coule, que ce sang ne soit pas perdu, et que, recueilli par nous, il puisse être appliqué aux âmes qui doivent le recevoir par nous. Nous ne nous rendons pas bien compte, sans doute, de ce qui existe. Si la Communion des Saints s'étend à toute l'Eglise, la communion des biens spirituels existe aussi entre les religieux. C'est là la source, la force, le nerf de tout le christianisme et de toute la vie religieuse. Si, dans une communauté de religieux, chacun n'apporte pas sa quote-part d'effort et de travail, que devient la communauté? Nous devons nous sanctifier pour nous et pour les autres. Soyons des saints. Que notre sainteté agisse sur l'âme de nos frères et surtout sur les âmes de ceux que Notre-Seigneur a destinés de toute éternité à être sauvés par nous. Sans cela, ce n'est pas la peine d'être religieux. C'est à ce point de vue là qu'il faut nous placer; tout autre point de vue serait faux et mauvais. Tout le monde peut se lever à l'heure le matin. Il faut être impitoyable et n'admettre aucune exception. Ceux qui peuvent aller à l'oraison en commun, doivent y aller. S'ils ne le peuvent pas, ils doivent en demander la permission et rendre compte au P. Lambey de la manière dont ils y suppléent.

Pour la pratique de la Règle, qu'on soit bien fidèle à dire et à faire ensemble ce qui est réglé. Le P. Perrot affichera la liste de ces exercices dans le corridor des religieux. Il ne faut jamais qu'un religieux soit une heure sans sentir sur ses épaules le fardeau: “Qu'ai-je à faire? que dois-je faire maintenant?” Tout cela est réclamé d'autant plus sérieusement que les Oblats ont l'obligation, ainsi que le disait la bonne Mère, de faire comprendre aux autres cette voie de fidélité à Dieu, d'y faire entrer les autres. Que faire, si vous ne comprenez pas le premier mot de vos exercices, de votre Directoire, de la fidélité? Est-ce qu'un ébéniste sait son état parce qu'il a été flâner dans une boutique, qu'il a regardé travailler les autres, sans rien faire que jaser? Comment apprendrez-vous l'état religieux, si vous n'êtes pas tout entier à la besogne, si vous ne sentez pas peser sur vos épaules la charge, l'obligation?

Ce que j'ai dit du lever, je le dis de l'exercice du matin, de l'oraison, de la messe, des lectures, des examens, de l'exercice du soir. Il y a là de quoi être un très bon saint religieux. Notre saint Fondateur n'est pas devenu saint autrement, la bonne Mère n'est pas devenue sainte autrement. Je le répète, ce doit être un fardeau de tout instant. Prenons bien tous la résolution de porter le fardeau, d'être parfaitement fidèles à l'observance, de faire comme le Sauveur qui reste attaché à la croix, afin que nous puissions recevoir toutes les grâces que Dieu nous destine et pour nous et pour les autres.

Nous allons le faire d'autant plus fidèlement que nous allons tous signer le Postulatoire pour la béatification et la canonisation de la bonne Mère. En canonisant la bonne Mère, on ne canonisera pas les Oblats, mais on en canonisera l'image, le modèle. Elle est la marraine de l'institut et le modèle de chaque religieux.

Je dis aujourd'hui des choses bien fortes, mais je les maintiens. C'est pour que chacun se pénètre de ces vérités-là, pour que chaque Oblat arrive à observer exactement, complètement la règle extérieure, pour que chacun porte continuellement le joug du Seigneur, se demandant à chaque instant: “Qu'ai-je à faire? Quelle obligation m'incombe? Je dois être vraiment religieux, relié en toutes mes actions à la Volonté de Dieu au moment présent”.