Chapitres pour les Oblats 1873-1899

      

Le voeu de chasteté

Chapitre du 27 mars 1889

“La chasteté étant l'un des principaux ornements de l'état religieux, les Oblats la conserveront avec un soin tout spécial” (Const., Art. VII:1; p. 22).

La chasteté est la gloire de l'état religieux ; c'est la chasteté qui sépare le plus le religieux du monde. Dans le monde on vit facilement pauvre, soumis à une obéissance quelconque; tous les employés, les militaires obéissent. La chasteté est le privilège plus particulier des religieux et des prêtres. Il nous faut donc attacher une grande importance au vœu de chasteté. Ce vœu pour nous ne renferme pas seulement l'accomplissement de la loi de Dieu qui défend toute faute contre la sainte vertu; mais il nous oblige encore à différentes choses qui ne sont pas précisément commandées par la loi de Dieu; il nous fait nous abstenir d'autres choses qui ne sont nullement défendues par le Décalogue. Ces différentes observances sont propres à la vie religieuse; elles sont destinées à protéger le vœu de chasteté lui-même.

“Ils garderont tous leurs sens, tant intérieurs qu’extérieurs, avec une vigilance sans cesse renouvelée” (Const., Art. VII:1; p. 22).

Par sens intérieurs on entend ici l'imagination. Sans doute,  philosophiquement parlant, l'imagination n'est pas un sens, mais c'est le nom que lui donnent les maîtres de la vie spirituelle et les théologiens.

“Ils observeront la plus grande modestie dans toutes leurs actions, ne se permettant quoi que ce soit qui offense cette sainte vertu” (Const., Art. VII:2; p. 22).

Il faut dans toutes nos actions, non seulement ne rien faire qui scandalise ou qui blesse le prochain, mais il faut faire en sorte que tout dans nos manières d'être, dans nos agissements, retienne l'empreinte de cette modestie religieuse qui est de si grande édification. Il faut que nous ayons dans les rapports du saint ministère avec les femmes, avec les jeunes filles, une très grande sollicitude pour rester toujours dans les limites de la modestie religieuse. Faites bien la part de la délicatesse de la femme et de la jeune fille; non seulement de sa délicatesse, mais de son impressionnabilité. Généralement quand un prêtre, quand un religieux a des manières trop familières, qu'il a l'air de se mettre à l'aise, il scandalise les femmes ; et les femmes en cela ont raison.

La règle des Oblats doit être de ne jamais se trouver avec une femme sans être un peu gêné. Je ne veux pas dire qu'il faille paraître embarrassé; mais il ne faut pas se mettre à l'aise, il faut sentir quelque gêne. Que ce soit une règle invariable. Une fois que vous vous serez mis à l'aise devant une femme, vous ne serez plus un prêtre pour elle; elle ne sentira plus de distance entre elle et vous. Il ne faut rien exagérer; je ne veux pas prétendre qu'alors votre ministère deviendrait inutile; mais il est certain que cette femme n'aura plus pour vous le même respect, la même confiance.

Voyez Notre-Seigneur quand il parle à la Samaritaine; les Disciples s'étonnent de le voir s'entretenir avec une femme. Voyez, comme sa parole est grave, sérieuse, comme elle tient cette femme à distance, de telle sorte que cette femme s'écrie : “Voilà de belles choses; mais nous, nous attendons le Messie”. Tout de suite elle prend un ton sérieux, elle parle des choses qui lui paraissent les plus graves et les plus importantes. Cette manière de faire a des conséquences très grandes, elle inspire tout de suite la confiance. Le prêtre, le religieux qui agit ainsi n'est plus un homme comme un autre: “Nous portons toujours et partout en notre corps les souffrances de mort de Jésus” (2 Co 4:10). C'est surtout dans cette occasion-là qu'il faut porter en nous la mortification de Notre-Seigneur.

Pour l'extérieur, donc, prenez garde de ne pas vous asseoir d'une façon nonchalante, en étendant les jambes, en les croisant. Autrefois ces règles de bienséance étaient fidèlement observées, dans l'ancien clergé. Reprenons-les. Elles nous attireront le respect, la confiance. J'insiste encore. Avec les femmes, soyez toujours un peu sur le qui-vive; qu'il n'y ait pas de laisser-aller. Soyez bien réservés dans la tenue, sans être guindés ni exagérés.

“Ils veilleront sur leur regards avec une attention continuelle, ne les arrêtant jamais sur aucun objet dangereux” (Const., Art. VII:2; p. 23).

“La mort”, dit le Saint-Esprit, “est grimpé par nos fenêtres” (Jr 9:20). Soyons bien réservés dans les regards. Mgr l'archevêque de Paris me racontait que quand il était coadjuteur, il sortait de temps en temps en soutane noire, en chapeau noir et s'en allait dans les rues de Paris. Souvent devant les marchands de gravures, il voyait des prêtres arrêtés et de sa canne ou de son parapluie il leur donnait en passant un petit coup. Le prêtre se retournait, peu gracieusement quelquefois. Qu'est-ce que lui voulait ce vieux prêtre? Voulait-il lui faire la leçon? Mais il reconnaissait bientôt le coadjuteur et filait en baissant pavillon. Il faut éviter ces choses-là, cela scandalise beaucoup. A tous les coins de rues il y a des affiches faites souvent pour corrompre le peuple et pervertir ses mœurs. C'est un scandale de voir des ecclésiastiques s'arrêter là-devant. C'est une chose très importante.

Rappelez-vous cette recommandation. Vous entendrez quelquefois des personnes du monde vous dire: “Ce qu'on a sous les yeux, tableaux, gravures, statues, il ne faut pas tant y prendre garde. A Paris on en voit bien d'autres et on n'en est pas plus mauvais pour autant”. C'est un fait d'expérience, je n'ai jamais vu un enfant chaste, je ne dis pas un petit garçon, je parle même des petites filles, je n'ai jamais vu un enfant chaste, quand il n'était pas réservé dans ses regards, quand il n'avait pas cette modestie qui fait détourner les yeux des objets dangereux.

“Ils s'observeront dans leurs paroles, ne se permettant jamais aucune conversation ni même aucune expression, capable de porter atteinte à la sainte vertu” (Const., Art. VII:2; p. 23).

Il faut bien éviter toute espèce de plaisanterie équivoque et tout ce qui peut ramener la pensée vers des objets dangereux. Que notre conversation soit toute immaculée, toute pure. Evitons avec soin toute expression, non seulement contraire à notre vœu, mais même à la bonne éducation. Veillez aussi sur les lectures. Toute lecture dangereuse n'est pas sans péché, sans faute. Le démon se sert de cela. Il en rappelle le souvenir, il fatigue l'esprit d'images dangereuses et souvent finit par ébranler la volonté.

“Ils veilleront sur toutes leurs pensées, ne s’en permettant jamais aucune qui puisse avoir l’apparence même du péché” (Const., Art. VII:2; p. 23).

Il faut bien éviter jusqu'à l'apparence du péché. Accueillir une pensée mauvaise est par cela même une faute grave, mortelle, de l'avis de tous les théologiens. Si vous avez affaire à des personnes scrupuleuses et quand il s'agit aussi de former la conscience des enfants, évitez de leur faire une conscience embarrassée. Tâchez de voir le fond de l'âme et apprenez-leur à distinguer, comme dit notre saint Fondateur, entre le sentiment et le consentement. Il est des précautions de direction qu'il faut prendre soigneusement. Pour ce qui nous concerne personnellement, coupons court tout de suite avec toute espèce de pensées qui peuvent être dangereuses.

“Ils veilleront sur leurs cœurs, ne s'attachant qu'à Dieu, tenant avec jalousie à n’admettre aucune dilection que la sienne” (Const., Art. VII:2; p. 23).

Toute affection doit venir de Dieu et remonter à lui. Il ne faut pas admettre d'autre dilection que la sienne. Il faut aimer ses parents, ses amis, les âmes que nous avons la charge de mener à Dieu, mais il faut éviter avec soin toute attache du cœur, toute affection sensible, toute amitié défendue. Cela serait directement contraire à notre vœu de chasteté. Ces affections de cœur sont toujours néfastes. Il faut les bien éviter; elles tournent toujours mal, elles détournent peu à peu de Dieu et finissent par amener des chutes terribles. Il faut placer toutes nos affections, toutes nos sympathies dans l'amour que nous avons pour Dieu. La charité doit retourner pure à Dieu comme elle est descendue pure de lui.