Chapitres pour les Oblats 1873-1899

      

Le voeu de chasteté

Chapitre du 6 mars 1889

“La chasteté étant l'un des principaux ornements de l'état religieux, les Oblats la conserveront avec un soin tout spécial. Ils garderont tous leurs sens, tant intérieurs qu’extérieurs, avec une vigilance sans cesse renouvelée” (Const., Art. VII:1; p. 22).

La chasteté est l'un des principaux ornements de l'état religieux, et c'est ainsi que dans le monde on comprend, on sent le religieux, on comprend et on sent le prêtre. Non seulement on attend d'eux la chasteté négative, celle qui se borne à s'abstenir du mal, mais on en attend la chasteté positive: “Nous sommes bien, pour Dieu, la bonne odeur de Jésus-Christ” (2 Co 2:15). Il faut que nous portions autour de nous, au milieu du monde, l'impression de la chasteté non seulement essentielle, mais complète. Il ne faut pas que nous paraissions nous rechercher nous-mêmes, rechercher nos aises, notre bien-être; il faut que nous pratiquions la mortification et la chasteté dans nos paroles, dans nos actes, dans notre tenue. Il ne faut pas, sans doute, que nous ayons une tenue guindée, gênée, ridicule, des yeux singuliers, une figure drôle. Ce serait le contraire de notre esprit. Mais sans avoir une tenue gênée, il faut que nous sachions nous gêner dans notre tenue, nous tenir droits, marcher en gens bien élevés, qui n'ont rien d'étrange, de saccadé, de négligé et de laisser-aller.

Dans la manière de nous tenir à table, il faut aussi nous mortifier, ne pas avoir l'air sans-gêne, mais il faut nécessairement que nous nous gênions pour cela et que nous ne le laissions pas paraître. Qu'on ne voie paraître en nous que la simplicité et la bonne éducation. Cette simplicité-là, c'est la perfection, et rien ne coûte plus à la nature que la simplicité, la chose et la manière d'être qui conviennent. Pour arriver à être simple, il faut beaucoup plus de travail que pour arriver à produire de l'effet. C'est le génie,que la simplicité.

Donc votre chasteté comprendra non seulement l'intérieur, mais aussi l'extérieur du religieux: “Nous sommes bien, pour Dieu, la bonne odeur de Jésus-Christ” (2 Co 2:15). On ne peut juger de quelqu'un que par l'extérieur. Un extérieur simple, recueilli est une prédication bien éloquente. “Allons prêcher, disait saint François d'Assise au Frère Léon”. Et ils parcoururent sans rien dire les rues de la ville . Quand ils furent de retour, le Frère Léon s'étonnait: “Nous avons prêché en effet, dit saint François, et d'une prédication plus efficace que ne l'eussent été des paroles”. Les bons religieux font plus de bien en se montrant qu'en parlant. Qu'il n'y ait aucune exagération en quoi que ce soit. Portons en nous la mortification de Notre-Seigneur, sans avoir l'air gêné, sans que personne s'en aperçoive. Cette modestie était l'un des grands désirs de notre saint Fondateur, il la recommandait fréquemment, il la recommandait surtout à ses prêtres dans ses synodes.

“Ils observeront la plus grande modestie dans toutes leurs actions, ne se permettant quoi que ce soit qui offense cette sainte vertu” (Const., Art. VII:2; p. 22).

Quand la tentation nous obsède, il faut avoir recours à la prière, et aussi à la distraction qui est peut-être alors meilleure encore que la prière. Il faut en effet dans ce cas que la prière soit aidée par quelque chose d'extérieur, quelque occupation qui donne à l'esprit un autre courant. La mortification, la pénitence est aussi bien utile en cette occasion, il ne faut pas l'oublier. Mortifions-nous beaucoup et toujours sans que cela paraisse. Voilà quelque chose qui nous contrarie, personne ne s'en apercevra, hâtons-nous d'en profiter. Il faudrait que nous ayons à notre service une foule de ces petits moyens de faire quelque chose pour Dieu; ils pourraient nous être d'une grande utilité.

“Ils veilleront sur leur regards avec une attention continuelle, ne les arrêtant jamais sur aucun objet dangereux” (Const., Art. VII:2; p. 23).

Il faut s'abstenir avec soin de tout regard mauvais. La conscience nous en ferait un devoir, quand même la règle religieuse ne les défendrait pas spécialement.

“Ils s'observeront dans leurs paroles, ne se permettant jamais aucune conversation, ni même aucune expression, capable de porter atteinte à la sainte vertu” (Const., Art. VII:2; p. 23).

Les religieux doivent être très chastes dans leurs paroles; jamais il ne doit y avoir dans leur conversation de mots à double entente, de choses dangereuses ou imprudentes; leur conversation doit être immaculée. Le moindre écart de ce côté-là serait un très grand scandale. “Dans la bouche des laïcs, les bagatelles sont des bagatelles,”disait saint Bernard, “dans la bouche du prêtre, elles sont des blasphèmes”. Il y a beaucoup de choses qui, dans les conversations des gens du monde, ne sont pas des péchés, et qui seraient coupables pour des religieux. Beaucoup de manières de dire peuvent être permises jusqu'à un certain point aux séculiers, qui ne seraient jamais pardonnables dans notre bouche.

“Ils veilleront sur toutes leurs pensées, ne s’en permettant jamais aucune qui puisse avoir l’apparence même du péché” (Const., Art. VII:2; p. 23).
Il ne faut jamais s'arrêter aux imaginations coupables qui conduisent au mal et sont elles-mêmes un grand mal. Quand ces pensées sont fatigantes et reviennent malgré nous, il ne faut pas nous en tourmenter; il ne faut pas lutter, mais fuir. C'est le conseil que donnent tous les maîtres de la vie spirituelle. Il vaut mieux laisser son manteau comme Joseph et s'enfuir que d'essayer de résister. Tâchez alors de vous occuper d'autres pensées, de vous appliquer à une autre besogne, si vous le pouvez.

“Ils veilleront sur leurs cœurs, ne s'attachant qu'à Dieu, tenant avec jalousie à n’admettre aucune dilection que la sienne” (Const., Art. VII:2; p. 23).

Il faut beaucoup veiller sur ses affections: ces choses-là sont très délicates. Qu'elles soient toujours selon Dieu et pour Dieu et qu'elles n'aillent jamais jusqu'à prendre notre cœur. Sitôt que nous ressentons quelque trouble, quelque embarras, c'est la preuve qu'il a là une affection dangereuse; il faut éviter le danger. Tâchez alors de vous distraire un peu de cette préoccupation, non pas en luttant directement, mais en évitant l'occasion et vous fortifiant par la prière et la mortification contre cette tendance.

On se fait généralement de grandes illusions sur ce sujet des affections. Bien souvent quand on croit aimer quelqu'un ou quelque chose, c'est soi-même qu'on aime; l'affection sort de nous et elle revient à nous augmentée plus ou moins considérablement. La Règle nous oblige de n'aimer qu'en Dieu et pour Dieu et de ne nous attacher qu'à lui.

La chasteté ainsi comprise est bien réellement l'ornement de la vie religieuse; elle en est aussi le bonheur et la félicité: “Heureux les coeurs purs” (Mt 5:8). Cela n'est pas vrai seulement pour le ciel. Toutes les Béatitudes ont leur réalisation dès ici-bas: elles font le bonheur de l'homme complètement, c’est-à-dire sur la terre et dans le ciel. Quand on a le cœur pur on voit Dieu dès maintenant, on voit sa volonté, son amour; on verra sa félicité dans le ciel et on la partagera dans cette vision de Dieu qui est la béatitude éternelle. Soyons donc de vrais religieux, portant partout par leur modestie, l'édification et la bonne odeur de Jésus-Christ. Je recommande instamment à vos prières l'âme de Mgr Zitelli, sous-secrétaire à la Propagande et l'un de nos amis dévoués. Je désire bien que chaque prêtre, s'il ne l'a pas encore fait, dise trois messes à son intention, afin de lui témoigner notre reconnaissance de tous les services qu'il nous a rendus.